"Cet assaut d’amabilités pourrait toutefois à terme laisser place, en oulisses, à des rivalités et à des batailles d’influence"
En créant leurs propres institutions financières, les puissances émergentes des Brics bousculent la gouvernance économique mondiale mais restent loin de détrôner le système actuel né de l'après-guerre et dominé par les Occidentaux.
Depuis tout juste 70 ans, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) forment les piliers de la gouvernance financière dans le monde, venant au secours de pays en difficulté ou appuyant des projets de développement.
Mais les deux institutions de Bretton Woods sont régulièrement critiquées pour leur incapacité à refléter l'ascension des grands pays émergents.
Deuxième puissance économique mondiale, la Chine continue de peser à peine plus lourd que l'Italie au sein du FMI. Et, depuis leur création en 1944, le Fonds comme la Banque mondiale n'ont été présidés que par des Européens ou des Américains.
"La réforme de la gouvernance mondiale est à l'arrêt en dépit des nombreuses promesses des économies développées de donner un plus grand rôle aux marchés émergents", indique à l'AFP Eswar Prasad, ancien expert du FMI et professeur à l'Université de Cornell.
Dans ce contexte, le lancement mardi du fonds de réserve et de la banque de développement des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) s'apparente à une première tentative concrète de corriger ces déséquilibres.
"Si les institutions existantes faisaient bien leur travail, on pourrait s'épargner l'effort de mettre sur pied une nouvelle banque ou un nouveau fonds", confirme à l'AFP Paulo Nogueira Batista, qui représente le Brésil et dix autres pays au FMI.
L'acte de naissance de ces deux institutions envoie d'ailleurs, en soi, un signal fort aux chancelleries occidentales où certains doutaient de la capacité des Brics à surmonter leurs divergences.
La création des deux institutions "change les règles du jeu dans le sens où elle scelle le passage des déclarations de principe sur la coopération entre pays à une réalité tangible", relève Eswar Prasad.
De nombreuses zones d'incertitude continuent pourtant d'entourer les deux nouvelles structures des Brics, donnant encore une importante longueur d'avance au FMI et à la Banque mondiale.
Batailles d'influence
Pour l'heure, seuls les pays des Brics pourront puiser dans les 50 milliards de dollars de leur banque de développement et les 100 milliards de leur fonds monétaire.
C'est toutefois quand d'autres Etats frapperont à la porte que ces institutions pourront faire la preuve --ou non-- de leur efficacité.
"Est-ce que les Brics prendront le risque financier de prêter à d'autres pays? Et quelles seront les conditions posées", s'interroge une source interne au FMI, contactée par l'AFP.
Habitué à renflouer les pays --et à se faire rembourser-- en échange de plans d'austérité, le FMI dispose d'une expertise qui "ne s'invente pas", poursuit cette source sous couvert de l'anonymat.
Certains redoutent également que les institutions des Brics --dominées par la Chine-- soient moins regardantes en termes de normes environnementales ou de lutte contre la corruption au moment d'accorder leur financement.
Conscients de leurs limites actuelles, les Brics prennent soin de préciser qu'ils travailleront étroitement avec le FMI. Certains de leurs financements ne seront d'ailleurs ouverts qu'aux pays bénéficiant déjà d'une assistance du Fonds.
La présidente brésilienne Dilma Rousseff a ainsi assuré n'avoir "aucun intérêt" à s'éloigner du FMI, tout en réitérant son souhait de "le
démocratiser".
Sans surprise, les deux institutions de Bretton Woods ont en retour sorti la carte de la coopération. La directrice générale du FMI Christine Lagarde a assuré jeudi que ses équipes seraient "ravies" de collaborer avec le fonds de réserve des Brics.
Quant à la Banque mondiale, concurrencée par des nouveaux acteurs du développement et engagée dans une vaste refonte interne, elle affirme "saluer" l'arrivée d'un "partenaire précieux" pour la lutte contre la pauvreté, selon un porte-parole interrogé par l'AFP.
Cet assaut d'amabilités pourrait toutefois à terme laisser place, en oulisses, à des rivalités et à des batailles d'influence"Nous n'avonspas créé ces institutions en opposition à quoi que ce soit", affirme le Brésilien Paulo Nogueira Batista. "Mais c'est un pas vers un monde multilatéral".