Human Rights Watch accuse dans son rapport les forces de l’ordre d’avoir "dans certains cas transformé en terroristes des individus respectueux de la loi, en leur suggérant l’idée de commettre un acte terroriste.
Guet-apens ou prévention: le FBI a "encouragé, poussé et parfois même payé" des musulmans américains pour les inciter à commettre des attentats qu'ils n'auraient peut-être jamais envisagés, lors des opérations de filature menées depuis le 11-Septembre, conclut un rapport publié lundi.
A double tranchant, ces opérations, au cours desquelles un agent du FBI s'infiltre clandestinement dans les communautés musulmanes par le biais de la mosquée ou de l'école, sont illégales dans certains pays comme la France.
En visite en Norvège, le ministre américain de la Justice Eric Holder avait encouragé, le 8 juillet à Oslo, à les généraliser afin de mettre au jour d'éventuels complots d'attentats par des Européens radicalisés en Syrie.
Ces opérations, développées par le FBI pour lutter contre le crime organisé et étendues au terrorisme après le 11 septembre 2001, sont conduites "avec une précision et une précaution extraordinaires, pour veiller (...) à ce que les suspects ne soient ni piégés ni privés de leurs droits juridiques", avait alors assuré M. Holder.
Pourtant, l'organisation Human Rights Watch (HRW) accuse dans son rapport les forces de l'ordre d'avoir "dans certains cas transformé en terroristes des individus respectueux de la loi, en leur suggérant l'idée de commettre un acte terroriste".
Dans son document de 214 pages, HRW, aidée par des experts de l'Université de Columbia, étudie "en profondeur" 27 exemples concrets sur les quelque 500 affaires de terrorisme conduites par les tribunaux américains depuis les attentats du 11-Septembre.
Même s'ils se défendent d'en faire une généralité, les auteurs du rapport estiment que la moitié des condamnations de "terroristes en puissance" résultent de telles opérations sous couverture. Dans 30% des cas, l'agent infiltré a joué un rôle actif dans le montage du complot.
"On a dit aux Américains que leur gouvernement assurait leur sécurité en empêchant et en punissant le terrorisme à l'intérieur des Etats-Unis", a déclaré Andrea Prasow, l'un des auteurs.
"Mais regardez-y de plus près et vous réaliserez que nombre de ces individus n'auraient jamais commis de crime si les forces de l'ordre ne les
avaient pas encouragés, poussés, et parfois même payés pour commettre des actes
terroristes".
Dilemme
L'étude cite notamment "les quatre de Newburgh", accusés d'avoir planifié des attentats contre des synagogues et une base militaire américaine en 2009, alors que le gouvernement leur avait, selon un juge, "fourni l'idée du crime et les moyens, et (leur avait) dégagé la voie", transformant ainsi en "terroristes" des hommes "dont la bouffonnerie était shakespearienne".
Après avoir interviewé 215 individus, inculpés ou condamnés eux-mêmes, leurs proches, avocats, juges ou procureurs, HRW accuse les autorités de sciemment prendre pour cible la communauté musulmane, avec "un effet immédiat sur les pratiques" des fidèles qui se sentent traqués, a expliqué à la presse Tarek Ismail, conseiller à l'Université de Columbia.
Le porte-parole du ministère de la Justice, Marc Raimondi, s'est défendu en soulignant que ces opérations, validées par la Cour suprême, étaient un "outil de grande valeur pour protéger le pays du terrorisme".
Selon HRW, le FBI cible souvent des personnes vulnérables, souffrant de troubles mentaux et intellectuels.
Le rapport cite le cas de Rezwan Ferdaus, condamné à 17 ans de prison à l'âge de 27 ans pour avoir voulu attaquer le Pentagone et le Congrès avec des mini-drones bourrés d'explosifs. Un agent du FBI avait dit de Ferdaus qu'il avait "de toute évidence" des problèmes mentaux.
Interrogé par l'AFP, l'expert Mike German du Brennan Center, ex-agent du FBI, a réitéré ses "inquiétudes face aux excès du FBI en matière d'antiterrorisme (qui) à la fois violent la vie privée et les libertés civiques et ne sont pas efficaces contre les vraies menaces".
"Le vrai dilemme ici c'est comment les forces de l'ordre doivent répondre quand elles apprennent que quelqu'un parle d'une action violente ou terroriste", a réagi l'expert en sécurité nationale, JM Berger.
"Si l'on peut discuter d'où tracer la frontière" entre les vraies menaces et les simples activistes, "mieux comprendre la radicalisation peut conduire à moins de problèmes", a-t-il dit à l'AFP.