Combien de temps cela peut-il encore durer ?
Absence de croissance, chômage record, instabilité politique et peur du lendemain: deux ans après l'arrivée au pouvoir
du socialiste François Hollande, la France n'en finit plus de se morfondre dans un profond malaise.
"Les gens sont exaspérés par la situation économique car rien ne semble marcher", dit Stéphane Garelli, de l'International Institute for Management Development, basé en Suisse.
Le président a lui-même semblé incarner ce malaise lundi, lors d'une cérémonie en hommage à la Résistance pendant la Seconde guerre mondiale, lisant péniblement son discours sous la pluie, parfois en bafouillant, ses lunettes couvertes de buée.
Il venait de demander à son Premier ministre Manuel Valls de remanier son gouvernement pour mettre un terme aux critiques du ministre de l'Economie Arnaud Montebourg.
Ce second remaniement en cinq mois intervient dans un pays déjà frappé par un chômage de plus de 10%, des impôts en hausse et un déficit public qui a du mal à respecter la limite des 3% du PIB imposée aux Etats membres de l'Union européenne.
"Crise de régime" ont titré Le Figaro (droite) et Libération (gauche): deux quotidiens dont les titres coïncident rarement.
M. Valls a lui-même reconnu l'ampleur du malaise mardi soir à la télévision dans sa première intervention depuis le remaniement.
"Nous vivons une crise économique depuis des années avec un chômage de masse insupportable", a-t-il dit.
"Face à cette crise de confiance - parce que les Français ne font plus confiance aux politiques depuis des années -, face à cette crise d'identité de notre pays, comment doivent se comporter les responsables politiques ?", a-t-il demandé. "Ils doivent agir avec dignité, avec cohérence", a-t-il ajouté.
M. Montebourg a mis en garde lundi, en quittant le gouvernement, sur les conséquences des mesures "d'austérité".
"Elles frappent les classes populaires et moyennes (...) et les jettent dans le rejet de leurs dirigeants politiques, de la construction européenne et dans les bras des partis extrémistes destructeurs de notre République", a-t-il dit.
"Quelle austérité ?", s'est exclamé Stéphane Garelli. "Le gouvernement continue de dépenser 57 à 58% de son PIB, le niveau le plus élevé en Europe avec le Danemark", a-t-il relevé.
Le problème, pour Hervé Le Bras, de l'Ecole française des hautes études en sciences sociales (EHESS), c'est que "la croissance par tête d'habitant est bloquée depuis une quinzaine d'années".
"La population française augmente à un rythme de 0,4% par an", fait-il valoir, rappelant que "la France est le pays qui a la plus forte fécondité d'Europe et la crise de 2008 n'a rien changé".
Combien de temps cela peut-il encore durer ?
Or, les économistes et les institutions internationales prévoient une croissance d'à peine 0,7% cette année en France.
La France n'a jamais remis en cause les avantages sociaux accordés depuis la Seconde guerre mondiale. "Sans surplus la France ne sait plus quoi faire", résume cet expert.
D'autant plus que toute tentative de réformer semble à l'avance vouée à l'échec.
"Si vous essayez de toucher aux privilèges de quelqu'un, tout le monde se braquera pensant être le prochain sur la liste", explique Stéphane Garelli.
"On va le voir dans quelques jours avec les notaires, les huissiers, les pharmaciens", dit Hervé Le Bras, alors que le gouvernement doit engager une réforme des professions réglementées.
Ce malaise semble aggravé par un sentiment de déjà vu.
"On pense de plus en plus qu'il y a non seulement une perte d'emplois, mais aussi de puissance, de richesses, d'idées et même une perte d'identité", écrivait il y a un an Roger Cohen, un éditorialiste du New York Times, avant d'admettre qu'il ne faisait que citer un article qu'il avait lui-même écrit en... 1997.
Paradoxalement, la France figure régulièrement dans des enquêtes internationales en tête des pays où la qualité de vie est la plus élevée.
"Bien entendu, on se demande combien de temps cela peut encore durer", dit Piu Marie Eatwell, auteur de l'ouvrage "Ils mangent des chevaux, n'est-il pas vrai ?", qui s'en prend aux stéréotypes français.
Pour elle le Français moyen, bénéficiant d'une sécurité sociale et d'une éducation gratuites de premier ordre, broie du noir mais "reste plutôt privilégié".