Pendant trois ans, des hommes d’affaires, des religieux et des organisations caritatives d’Arabie saoudite, du Qatar et du Koweït ont financé des groupes armés en Syrie. Avec l’accord tacite de leurs gouvernements.
Washington et des monarchies du Golfe, qui se réunissent jeudi en Arabie Saoudite, sont accusés de porter une part de responsabilité dans l'émergence de l'Etat islamique (EI), mais ont décidé d'agir, redoutant l'effet boomerang de politiques qui ont échoué, selon des experts.
"C'est bien qu'ils essaient maintenant d'étouffer le monstre qu'ils ont alimenté, à défaut de l'avoir créé", affirme François Heisbourg de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
Après des mois d'atermoiements, le secrétaire d'Etat américain John Kerry retrouve jeudi à Djeddah ses homologues des six monarchies du Golfe (Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman, Qatar), ainsi que d'Egypte, de Jordanie, d'Irak et de Turquie, pour discuter des moyens d'éliminer à terme toute présence de l'EI dans la région.
Le président Barack Obama doit s'exprimer mercredi soir à ce sujet, mais des spécialistes rappellent qu'il y a moins de deux semaines, il affirmait que Washington n'avait "pas encore de stratégie" après une série d'erreurs, selon eux, ces dernières années en Syrie et en Irak.
Frederic Wehrey, expert du Golfe et de la politique américaine au Moyen-Orient à l'institut Carnegie Endowment for International Peace, souligne les risques pris par les Etats-Unis "à chaque fois qu'ils jouent un jeu par procuration".
Les bénéficiaires de leur soutien peuvent finalement agir à l'encontre des "intérêts américains", notamment "en transférant des armes américaines à des acteurs hostiles", dit-il.
Pendant trois ans, des hommes d'affaires, des religieux et des organisations caritatives d'Arabie saoudite, du Qatar et du Koweït ont financé des groupes armés sunnites rivaux en Syrie. Ils avaient l'accord tacite de leurs gouvernements qui, de concert avec Washington, Londres, Paris ou Ankara, se mobilisaient pour faire tomber le régime de Bachar Al-Assad, rappellent des experts.
Il a été surtout question de l'Arabie saoudite et du Qatar, dont la rivalité a contribué à "la paralysie d'une opposition syrienne fragmentée", explique Frederic Wehrey. Mais le Koweït a aussi été une importante "source de financement pour des factions d'Al-Qaïda au sein de l'opposition syrienne comme le Front Al-Nosra", précise-t-il.
Le 15 août, le Conseil de sécurité de l'ONU a ajouté six noms, dont celui d'un important bailleur de fonds koweïtien Hajjaj Al-Ajmi, à une liste d'extrémistes sanctionnés pour leurs liens avec Al-Qaïda.
En Syrie, Ryad a essayé de soutenir des groupes nationalistes et, pour certains, islamistes qui n'étaient affiliés ni à Al-Qaïda ni à l'EI, selon M. Wehrey.
L'institut Conflict Armament Research a révélé, dans un rapport publié lundi, que l'EI combattait actuellement en Irak avec des armes américaines qui étaient initialement destinées à l'opposition modérée en Syrie.
Les roquettes anti-char utilisées par l'EI sont "identiques aux roquettes M79 livrées par l'Arabie Saoudite aux forces opérant sous la bannière de l'Armée syrienne libre", selon ce rapport.
Pompiers pyromanes
Quant au Qatar, il est intervenu dans le conflit syrien avec l'objectif de "projeter son influence dans la région". Il a apporté son soutien à des groupes liés à la confrérie des Frères musulmans qui avait le vent en poupe dans la foulée du Printemps arabe, rappelle M. Wehrey.
Après avoir joué "les pompiers pyromanes", Doha fait preuve d'"une plus grande prudence" depuis le renversement par l'armée égyptienne du président islamiste Mohamed Morsi en 2013 et la reprise en mains du dossier syrien par l'Arabie saoudite, selon l'expert.
Pour Washington, tout a changé début juin lorsque l'EI, qui a siphonné une partie des combattants d'Al-Qaïda en Syrie, a lancé une offensive foudroyante vers l'Irak, s'emparant de vastes territoires, dont des champs pétroliers.
"L'EI menace les intérêts américains et montre à quel point l'intervention américaine (de 2003) a échoué, ce mouvement étant apparu en Irak en 2006 et ayant survécu après le départ des troupes américaines en 2011", explique Mathieu Guidère, professeur d'études moyen-orientales à l'Université de Toulouse (France).
Les monarchies du Golfe sont conscientes de la menace que représente l'EI pour leur propre stabilité. Comme pour l'Afghanistan dans les années 1990, elles redoutent le retour de volontaires fanatisés ayant combattu en Syrie et en Irak.
Une étude du Soufan Group, citée par The Economist, a récemment fait état de la présence fin mai de 12.000 combattants de 81 pays en Syrie, dont 3.000 d'Occident et 2.500 d'Arabie saoudite.
Le roi saoudien Abdallah a averti l'Occident qu'il serait la prochaine cible des jihadistes en l'absence de réaction rapide. "Si on les néglige, je suis sûr qu'ils parviendront au bout d'un mois en Europe et un mois plus tard en Amérique".