Papier d’analyse de l’AFP
La rébellion syrienne a subi son coup le plus dur avec l'élimination de la direction d'Ahrar al-Cham, l'un des principaux groupes luttant contre le régime mais aussi contre l'Etat islamique que Washington veut éradiquer tant en Irak qu'en Syrie.
L'attentat à la bombe dans un couloir conduisant à la cave où était réunie mardi soir la direction de l'organisation salafiste devrait entraîner une recomposition de la rébellion, estiment les experts. Parmi les 47 morts, figure son chef charismatique Hassan Abboud, connu sous le nom d'Abou Abdallah al-Hamawi.
"C'est indéniablement un coup très dur pour l'opposition puisque Ahrar en est un des piliers militaires", affirme à l'AFP Thomas Pierret, un des spécialistes de l'islam politique en Syrie.
Charles Lister, chercheur à Brooking Doha Center et également expert du conflit syrien, estime que "le Front islamique est dans une situation désespérée".
Ce Front, constitué en novembre 2013, regroupe des fractions islamistes, dont la plus importante est Ahrar al-Cham. Il se positionne entre les modérés de l'Armée syrienne libre (ASL), soutenue par l'Occident, et les jihadistes du Front al-Nosra et ceux de l'Etat islamique.
Pour éviter une débandade, Ahrar al-Cham a annoncé aussitôt avoir nommé comme nouveau chef Hachem al-Cheikh, connu sous le nom d'Abou Jaber, et comme commandant militaire Abou Saleh Tahane.
Nouvelle équation
Le "Mouvement islamique Ahrar al-Cham" était devenu six mois après sa création fin 2011 le plus grand groupe rebelle car il rassemblait des cadres aguerris et avait réussi à agglomérer des groupes armés locaux, sans idéologie bien définie. Au sommet de sa gloire, il comptait entre 10.000 et 20.000 hommes répartis sur tout le territoire syrien, mais principalement dans la région d'Idleb et de Hama, selon Thomas Pierret.
Il se déclare en faveur d'une théocratie en Syrie, basé sur la loi islamique, et a été financé par des groupes islamistes du Golfe, notamment le prêcheur salafiste koweïtien Hajjaj al-Ajami mais aussi du Qatar, dont il est réputé proche.
C'est ce mouvement qui, à partir de janvier 2014, a été à l'avant-garde de la lutte contre l'Etat islamique. Il a subi de lourdes pertes notamment à Raqqa et Deir Ezzor, dans le nord et l'est du pays.
Les experts sont partagés sur les conséquences de ce coup majeur porté à l'opposition.
Pour Charles Lister, "la dissolution du Front islamique sera un processus long mais il offrira une opportunité inestimable à l'opposition modérée pour récupérer ce qui fut la plus importante des fractions rebelles".
En revanche, Thomas Pierret estime que l'attentat "est susceptible surtout de renforcer l'EI car il risque de soustraire de l'équation un élément important de la coalition anti-EI et il est aussi possible qu'une partie de la base d'Ahrar rejoigne l'EI".
"L'effet de cet attentat ne sera pas immédiatement visible. Les combattants ne vont pas jeter leurs armes et rentrer chez eux. Mais ils vont vraisemblablement se diriger dans l'orbite d'autres fractions, si Ahrar est dans l'impossibilité de les diriger, les équiper et les financer", estime Aron Lund, un autre expert de la Syrie.
Selon lui "certains pourront se diriger vers des fractions proches de l'Armée syrienne libre comme l'armée des Moujahidine. En revanche ceux qui sont plus marqués par l'idéologie salafiste pourront trouver (les jihadistes) du Front al-Nosra plus à leur goût et d'autres enfin pourront rejoindre l'EI".
Dans sa première adresse mercredi comme chef d'Ahrar, le nouveau chef Abou Jaber a fait allusion au risque de désintégration. "Ne perdez pas espoir car c'est destructif. Ne laissez pas cette catastrophe entamer votre confiance", a-t-il déclaré.
L'EI et le régime bénéficiaires
Si les auteurs de l'attentat ne sont pas connus, ce coup sert les intérêts de l'EI et du régime, estime les experts.
"L'EI est le principal bénéficiaire de ces meurtres car Ahrar al-Cham est la plus importante composante des forces rebelles à lui être hostiles dans le nord. Il va donc tenter d'exploiter tout effilochage de cette coalition", assure Noah Bonsey, un analyste d'International Crisis Group.
"Ces assassinats profitent tant à l'EI qu'au régime. Le premier parce qu'il affaibli un ennemi redoutable puisque fermement anti-EI mais disposant d'une légitimité islamiste; le régime parce qu'à court terme, il a intérêt à l'affaiblissement des rebelles de manière à pouvoir se présenter auprès des Occidentaux comme le seul obstacle face à l'EI.
"L'EI est le principal bénéficiaire de ces meurtres car Ahrar al-Cham est la plus importante composante des forces rebelles à lui être hostiles dans le nord" de la Syrie, a estimé Noah Bonsey, un analyste d'International Crisis Group.