26-11-2024 11:44 AM Jerusalem Timing

Malgré l’exécution d’otages, peu de débat aux Etats-Unis sur les rançons

Malgré l’exécution d’otages, peu de débat aux Etats-Unis sur les rançons

Les Am6ricains accusent en privé la France et d’autres pays de financer des groupes extrémistes en payant des rançons.

Aux Etats-Unis, les récentes exécutions n'ont pas ébranlé le dogme du non-paiement de rançons en échange d'otages. Même Barack Obama a fait part de son irritation, en privé, accusant la France et d'autres pays de financer ainsi des groupes extrémistes.
   
C'est une indiscrétion livrée au New York Times. Lors de rencontres "off" avec des éditorialistes et des personnalités du sérail diplomatique, la semaine dernière, le président américain se serait agacé de l'attitude de François Hollande, qui assure que la France ne paie pas de rançons aux terroristes, alors qu'elle le fait, aurait-il lâché. La France nie officiellement le versement de rançons.
   
La remarque met à jour le différend persistant entre d'une part les Etats-Unis et le Royaume-Uni, et d'autre part plusieurs pays européens, sur les négociations avec les groupes extrémistes, dont l'organisation Etat islamique (EI).
   
"C'est un problème perpétuel, ça revient en permanence", dit à l'AFP Julianne Smith, conseillère adjointe à la sécurité nationale du vice-président Joe Biden jusqu'à l'année dernière, aujourd'hui au centre de réflexion Center for a New American Security.
   
Publiquement et en privé, "une pression considérable a été appliquée sur certains Etats, par les plus hauts responsables du gouvernement américain, et je suis sûr que cela continuera", assure à l'AFP Daniel Benjamin, à l'Université Dartmouth, coordinateur antiterroriste du département d'Etat, sous la houlette d'Hillary Clinton, de 2009 à 2012.
   
En juin 2013, les dirigeants du G8 ont affirmé leur refus de payer des rançons en cas d'enlèvements de leurs ressortissants. En janvier dernier, à l'initiative de Londres, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté une résolution similaire.
   
Sans effet apparent: selon le décompte de Reporters sans Frontières, 12 journalistes étrangers ont été libérés par l'EI --vraisemblablement grâce à des rançons. L'Italie l'a quasiment confirmé officiellement, et selon une enquête du New York Times, l'Espagne, l'Autriche, la France, et la Suisse ont versé des dizaines de millions de dollars à Al-Qaïda pour libérer des otages ailleurs qu'en Syrie.
   
Deux journalistes américains (James Foley, Steven Sotloff), un travailleur humanitaire britannique (David Haines) et plusieurs journalistes syriens ont été exécutés par l'EI. Une exception: l'Américain Peter Theo Curtis, libéré en août par la branche syrienne d'Al-Qaïda.
   
  

Consensus politique
   
Quelques voix s'élèvent pour que les Etats-Unis réexaminent leur politique de non-paiement de rançons.
   
Les vidéos des décapitations "ont fait plus de mal que ce qu'aurait fait le paiement de rançons", a plaidé lundi Sarah Shourd, détenue en Iran de 2009 à 2011, sur CNN.
   
Elle évoque une Américaine de 26 ans, dont le nom est gardé secret, pour qui l'EI aurait demandé 6,6 millions de dollars:  "est-ce un montant trop élevé pour sauver la vie de cette femme?"
   
La mère de James Foley, Diane, a raconté dans plusieurs interviews comment elle et son mari avaient commencé à lever des fonds pour une rançon, défiant les avertissements du gouvernement. En définitive, l'inflexibilité américaine a condamné son fils, accuse-t-elle.
   
Des responsables assurent que la position américaine a dissuadé Al-Qaïda ou l'EI d'enlever des Américains. Mais Matthew Levitt, du Washington Institute, souligne que la valeur des otages américains et britanniques n'est pas forcément pécuniaire --le montant délirant de la rançon réclamée pour James Foley, 100 millions d'euros, en est selon lui la preuve. "Ils cherchent une forte récompense en terme de propagande", dit à l'AFP cet expert, haut responsable antiterroriste du Trésor de 2005 à 2007.
   
La Maison Blanche et le Premier ministre britannique ont martelé que les décapitations ne changeraient rien à leur ligne.
 Même consensus au Congrès américain. Des parlementaires interrogés par l'AFP reconnaissent le dilemme moral et partagent la douleur des familles, mais s'interdisent tout revirement.
"Les Français ne devraient pas payer de rançons, mais ça les regarde, et je suis très impressionné par leur volonté de combattre l'islam radical", dit diplomatiquement le sénateur républicain Lindsey Graham. "Mais je continue à penser que c'est une mauvaise idée".
   
Une fin de non-recevoir qui tranche avec le vif débat déclenché par l'échange en mai de cinq détenus talibans contre le soldat américain Bowe Bergdahl, retenu cinq ans en Afghanistan.
"Il est intéressant que le public américain se soit investi dans ce débat et ait soulevé des questions difficiles, alors qu'à côté la question des rançons ne semble pas intéresser grand monde", commente Julianne Smith. "C'est curieux".