le régime du président Abdel Fattah al-Sissi est accusé d’être devenu bien plus répressif que celui de Hosni Moubarak
Dans son uniforme blanc de prisonnier, Sherif Farrag a soutenu son mémoire de maîtrise en détention provisoire, une procédure utilisée massivement par le nouveau pouvoir en Egypte pour museler l'opposition, accusent les défenseurs des droits de l'Homme.
Ces derniers estiment aussi que le régime du président Abdel Fattah al-Sissi, l'ex-chef de l'armée qui a destitué en juillet 2013 l'islamiste Mohamed Morsi, premier chef de l'Etat élu démocratiquement en Egypte, est devenu bien plus répressif que celui de Hosni Moubarak, chassé du pouvoir en 2011 par une révolte populaire.
Au moins 1.400 partisans de Morsi ont été tués dans des manifestations depuis sa destitution, plus de 15.000 membres de sa confrérie islamiste des Frères musulmans sont emprisonnés, bon nombre sans inculpation ou procès. Des centaines d'entre eux ont été condamnés à mort dans des procès de masse expédiés en quelques minutes, qualifiés par l'ONU de "sans précédent dans l'Histoire récente" du monde.
Sherif Farrag, professeur d'architecture de la faculté des beaux-arts d'Alexandrie (nord), a été innocenté et libéré le 29 juillet après huit mois derrière les barreaux. Il était accusé d'avoir participé les 14 et 16 août 2013 à des violences dans des manifestations pro-Morsi qui avaient fait 34 morts, des manifestants pour l'essentiel. Il était également soupçonné d'appartenir aux Frères Musulmans, décrétés "organisation terroriste".
Or, le 15 août, le jeune professeur célébrait ses fiançailles. La date est gravée sur son alliance en argent, qu'il exhibe pour prouver sa bonne foi.
"Mon seul lien avec ces violences, c'est que je les ai vues à la télévision", raille-t-il. Mais l'expérience, très dure, de la prison a fait son œuvre: "Je suis désormais plus prudent lorsque j'exprime mon opposition", lâche le trentenaire.
A l'instar de M. Farrag, des centaines d'accusés sont maintenus en prison de longs mois sans inculpation, grâce à un décret de septembre 2013 octroyant au parquet le droit de renouveler sans limite une détention provisoire.
Avant, la loi "limitait à six mois la durée de détention provisoire avant que le prévenu ne soit renvoyé devant un tribunal ou libéré", affirme l'avocat et défenseur des droits de l'Homme Gamal Eïd.
"Maintenant la détention est renouvelée pendant des mois sous prétexte de la poursuite de l'enquête", affirme M. Eïd, estimant que le pouvoir a remplacé les arrestations arbitraires permises par l'Etat d'urgence prévalant sous Moubarak par le recours systématique à la détention provisoire.
Depuis qu'il a destitué et fait arrêter Morsi, M. Sissi a été élu président en mai, sans coup férir.
Justice instrumentalisée
Le pouvoir est régulièrement accusé par les défenseurs des droits de l'Homme d'instrumentaliser la justice pour faire taire toute voix dissidente, islamiste ou autre.
Après les pro-Morsi tués ou emprisonnés, des dizaines de militants des mouvements pro-démocratie de la jeunesse laïque, artisans de la révolte contre Moubarak, ont été arrêtés pour avoir violé une loi controversée interdisant toute manifestation sans l'accord préalable du ministère de l'Intérieur.
"La loi prévoit des alternatives, telle que l'interdiction de voyager ou l'obligation de se présenter à la police régulièrement, mais le parquet a recours à la détention provisoire uniquement pour réprimer l'opposition", assène Ramy Saïd, expert juridique de l'Initiative égyptienne pour les droits individuels (EIPR).
Le photographe de presse indépendant Mahmoud Abdel Shakour, dit "Shoukan", a connu le même sort que Sherif Farrag. Arrêté le 14 août 2013 alors qu'il couvrait la sanglante dispersion de deux rassemblements pro-Morsi au centre du Caire --plus de 700 manifestants tués en quelques heures--, il n'a toujours pas été jugé.
"Nous avons présenté 15 fois au parquet les documents prouvant qu'il est photographe mais personne ne prend la peine de les consulter", affirme son avocat, Aly Abdel Fattah.
"Shoukan a été arrêté alors qu'il couvrait les évènements du côté des policiers, et non des manifestants", a affirmé à l'AFP le journaliste de l'hebdomadaire américain Newsweek Mike Giglio, interpellé avec Shoukan mais libéré au bout de cinq heures.
Un haut responsable du parquet a avoué l'existence d'un "problème" quant à la longueur de la détention provisoire, reconnaissant même que certains détenus "pouvaient" s'y trouver "par erreur".
"Il y a un nombre très important d'enquêtes concernant les violences des islamistes, cela nous prend beaucoup de temps", a-t-il plaidé, sous couvert de l'anonymat.
Mercredi, le procureur général a fait remettre en liberté 116 étudiants en détention provisoire pour des manifestations illégales, "afin de protéger leur avenir".