Le président russe tire les leçon de l’expérience ukrainienne.
Comment interpréter l’arrestation du milliardaire Vladimir Yevtushenkov
En Juin, la « Nouvelle Russie » a publié un article, La Grande révolution anti-oligarchique , où les relations de Vladimir Poutine et du capital oligarchique en Russie sont qualifiées d’antagonistes et devant être tranchées.
L’article prévoit que la confrontation entre les oligarques et le Kremlin continuera, « Poutine sera amené tôt ou tard à prendre des mesures nouvelles et très difficiles visant à un contrôle plus étroit (jusqu’à l’éradication totale) de tout l’édifice de la communauté oligarchique tout simplement parce que sans cela il pourra mettre une croix sur tous ses plans de renaissance de la Russie».
Il ne s’est pas passé trois mois avant que les «mesures nouvelles et très difficiles » de Poutine en relation avec l’oligarchie locale ne commencent à prendre une tournure très concrète. Les commentateurs qui réduisent l’arrestation du milliardaire Vladimir Evtushenkov à ses machinations avec « Bashneft » sont enclins à prendre leurs désirs pour des réalités. À savoir, faire un cas particulier de ce sujet et, à Dieu ne plaise, ne pas le laisser s’emparer des esprits et apparaître comme une illustration de certaines tendances globales.
Cependant, Vladimir Poutine, semble-t-il, a tiré précisément des conclusions globales concernant l’oligarchie nominalement russe, à partir du drame vécu par l’Ukraine. Les grands magnats locaux, confortablement tapis dans les ruines de l’économie de l’ex-URSS et ayant prospéré dans l’art de tirer bénéfice de ces ruines, ont fait de leur pays un esclave économique de l’Occident. Et quand ce dernier a jugé nécessaire de mettre un terme au destin géopolitique de l’Ukraine, les oligarques comme un seul homme ont trahi leur peuple, et leur indépendance nationale.
Certes, cette leçon a été pour Poutine un élément crucial de l’expérience ukrainienne. Et cela ajouté à la compréhension claire de ce que les oligarques pseudo-russes ne valent pas mieux que les pseudo-ukrainiens, et, que si nécessaire, ils livreront leur patrie sans gamberger, a incité le Kremlin à une action préventive musclée pour nettoyer la clairière oligarchique.
Il n’est pas exclu que les mêmes considérations des instances supérieures du Kremlin explique le fait que Moscou officielle n’a jamais dévoilé son attitude négative face aux nombreuses initiatives des jeunes leaders de la Nouvelle-Russie, qui ont beaucoup œuvré pour convertir le soulèvement de la population locale dans une révolution anti-oligarchique à grande échelle. Cette position est tout à fait logique – car où commencer une guerre tous azimuts contre les oligarques, si ce n’est en Ukraine, où leur pouvoir absolu a conduit à une catastrophe nationale.
Bien sûr, leurs homologues de l’autre côté de la frontière ne sont pas aussi fous et ils comprennent bien qui est le patron. Mais à la lumière des différences fondamentales actuelles entre la Russie et l’Occident, tout cela est sans importance. Parce que l’oligarchie d’ici, tout aussi bien que l’Ukrainienne, est essentiellement compradore, attachée à l’intégration de la Russie dans le système économique occidental en tant que fournisseur de matières premières aux conditions les plus désavantageuses pour le pays, en fait des conditions d’esclavage. Sans oublier le fait que, dans certains cas, les deux oligarchies sont étroitement enchevêtrées au point qu’il est difficile de les distinguer.
Quelques favorables que soient, au moins en public, les représentants de ce type d’intérêts économiques envers Poutine personnellement, quelle que soit leur crainte de lui également, la logique objective les pousse inévitablement à résister à l’autorité. Et ce d’autant plus que le pouvoir orientera la barre du navire de l’Etat sur un cours anti-occidental.
Par ailleurs, en septembre, l’oligarchie de Moscou avait prévu la première action publique organisée contre la politique de Poutine sous la forme d’une « rencontre des dirigeants d’entreprises russes » annoncée par Anatoli Tchoubaïs. Et, très probablement, l’arrestation de l’un de ces dirigeants visait précisément à faire tomber ces plans.
Et tout aussi curieux. A peine les autorités russes avaient mis son bracelet électronique à Evtushenkov, qu’est parvenue d’Amérique une déclaration plutôt inhabituelle, surtout compte tenu de l’hystérie antirusse de ces derniers temps. Le Secrétaire d’État adjoint, coordonnateur des sanctions américaines contre la Russie Daniel Fried a exprimé l’avis que l’Occident pourrait atténuer ou lever ses sanctions contre Moscou sans exiger le retour de la Crimée à l’Ukraine. Compte tenu de la dominante actuelle de la politique américaine, qui exige au contraire une pression maximum sur la Russie et la restitution de la péninsule de Crimée, cette déclaration est proprement inouïe. Bien que Fried ait expliqué cela par les progrès obtenus dans les pourparlers de paix à Minsk et d’autres détails, la coïncidence de la proposition de Moscou avec l’arrestation de l’un des oligarques russes les plus importants semble capitale.
Il est à noter que même les succès militaires spectaculaires de Novorossia n’ont pas contraint les Etats-Unis à abandonner leur politique très dure envers la Russie. Mais il a suffi que Poutine en réponse à des sanctions occidentales « tâte la mamelle » de l’un des compradores de Moscou, pour que Washington commence immédiatement à parler de la possibilité de reconnaître sans problème la Crimée russe. Il semble que l’histoire de Yevtushenkov et qui se passe derrière (et cela ne se résume pas à une machination banale avec «Bashneft »), a effrayé bien plus les Occidentaux que la menace même de perdre toute l’Ukraine.
Poutine donne à comprendre très clairement que dans ses mains pour continuer ce débat avec l’Occident il y a des arguments beaucoup plus puissants que l’interdiction de la fourniture des « cuisses de Bush » [poulet importé des USA] ou des choux de Bruxelles. À savoir – le démantèlement complet de l’oligarchie compradore comme première étape de la révolution anti-oligarchique (lire – anti-occidentale) qui mûrit depuis longtemps à travers le monde, dont la nécessité d’une réorganisation drastique selon des principes plus humains et plus justes est exprimée par le pape lui-même. Et Vladimir Poutine, qui a rencontré le pape juste après sa déclaration révolutionnaire, est actuellement le seul chef de file mondial capable non seulement de prendre la tête d’une telle campagne mondiale pour la justice, mais aussi de l’amener à sa conclusion logique.
Par conséquent, même la moindre menace de la part de Poutine d’emprunter cette voie, et c’est ainsi qu’il faut comprendre l’essence profonde des derniers événements, est capable de provoquer chez ses homologue de l’Ouest un état proche d’une prostration complète. Après tout, à l’Ouest ils sont bien conscients du fait que le système de pouvoir de l’oligarchie financière, malgré sa toute-puissance apparente, n’est plus maintenant que comme un château de cartes, prêt à s’effondrer à la moindre poussée. Et il semble que le Kremlin ait vraiment senti où est le talon d’Achille, où il doit porter ses coups.
D’autant plus que cela correspond entièrement aux intérêts fondamentaux de l’Etat et de la société russe. Qui ne consiste en aucun cas à assister à la poursuite du pillage de leur propre pays par les sangsues occidentales et leurs caniches locaux.
Youri Selivanov