Reportage de l’AFP
Il y aura bientôt trois mois que Karwan Baban a quitté l'Allemagne au volant de son monospace: direction son Kurdistan natal, pour y rejoindre les peshmergas qui combattent les jihadistes du groupe Etat islamique.
Après cinq jours de voyage à travers l'Autriche, les Balkans et la Turquie, ce moustachu débonnaire, directeur d'une entreprise d'import-export à Düsseldorf (ouest de l'Allemagne), a revêtu l'uniforme vert et les galons: Herr Baban est devenu le colonel peshmerga Karwan.
De nombreux Européens -- 3.000 selon le coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme -- ont rejoint l'Etat islamique (EI) qui a lancé le 9 juin une offensive en Irak. Mais des dizaines de Kurdes vivant en Europe ont également pris la route et les armes pour défendre leur terre.
Ce n'est pas la première fois que le colonel Karwan rejoint les rangs peshmergas: il a combattu sous la dictature de Saddam Hussein. Alors, quand les jihadistes ont lancé puis étendu leur offensive, menaçant potentiellement sa région natale, il n'a pas hésité à quitter avec sa famille l'Allemagne où il vivait depuis dix ans.
Le colonel reçoit dans une immense maison, celle de la vieille famille Betwata de la tribu Khoshnaw, construction surréaliste tenant à la fois de la forteresse -- gardes armés, murs blindés -- et du jardin d'Eden embaumant le jasmin où de jeunes enfants courent dans les allées.
Une vingtaine de jeunes hommes, fusil à l'épaule et portant beau, sont réunis autour des chefs du clan. Tous cousins, tous peshmergas, tous revenants du front. Beaucoup n'ont que récemment troqué Amsterdam, Berlin ou Rome contre les champs de bataille du nord irakien.
Douze frères au front
Car si de nombreux peshmergas venus d'Europe sont d'anciens combattants ayant répondu à l'appel du Premier ministre kurde Massoud Barzani, qui leur a demandé de reprendre du service, d'autres connaissent la guerre pour la première fois.
Parmi eux, il y a les douze frères Nawzad Anwerbeg, venus des Pays-Bas -- certains vivaient au Kurdistan depuis plusieurs années, mais la plupart ont débarqué pour la guerre.
Aza, qui vient d'avoir 24 ans, est arrivé le 6 août. Comme il n'avait jamais manié d'arme, on lui a donné un fusil et deux jours pour s'exercer avant de partir au front. "Cette guerre a quelque chose de bon: elle a montré au monde ce que valent les Kurdes", déclare-t-il fièrement.
Il regrette seulement d'être arrivé "trop tard" pour la bataille du barrage de Mossoul, pris par l'EI le 7 août, repris depuis par les Kurdes.
Son frère Harem, 32 ans, arrivé d'Amsterdam le 11 juin, y était. Il en garde une profonde entaille dans la joue gauche, où un morceau de métal s'est fiché lors d'une explosion.
"Nos enfants sont venus de l'Europe pour participer à cette guerre, ils ont mis l'uniforme et sont prêts à offrir des martyrs", déclare fièrement Sarhad Anwerbeg Betwata, un des chefs du clan, soulignant, sans pouvoir donner de chiffres précis, que plusieurs volontaires européens sont tombés au combat.
"C'est un honneur pour leur famille là-bas, en Europe".
La force de 1.500 peshmergas qu'il dirige compte 20 combattants récemment arrivés d'Europe.
Peshmerga pour toujours
Les cousins Betwata ont afflué de presque toute l'Europe: Pays-Bas, Allemagne, Italie... "De partout, sauf de France", sourit l'un d'eux, soulignant immédiatement que, point de méprise, ils aiment tous cette France "amie du Kurdistan", qui a notamment fourni des armes et mène des frappes aériennes contre l'EI.
Ces derniers jours, la presse française a évoqué la récente disparition d'un adolescent kurde de 18 ans de la banlieue parisienne qui aurait fait part de sa volonté de partir pour combattre les jihadistes.
Ceux qui sont en Irak donnent tous leurs patronymes, montrent leurs visages, exhibent leurs passeports sans craindre d'éventuels problèmes au moment du retour en Europe. Leur présence ici n'est pas secrète.
Le colonel Karwan est ainsi en contact permanent avec les services diplomatiques allemands, chargé des relations entre les peshmergas et l'armée de Berlin, qui a envoyé armes et instructeurs militaires au Kurdistan. Et l'un des frères Nawzad Anwerbeg a lui-même appelé le ministère des Affaires étrangères néerlandais deux jours après son arrivée, pour signaler sa présence dans les rangs peshmergas.
D'autres ne se posent pas la question du retour.
"Je vais rester ici", déclare Aza qui, aux Pays-Bas, faisait des études pour devenir éducateur. "Et être peshmerga pour toujours".