Le risque d’un conflit armé ouvert entre Al-Qaïda et les rebelles houthis est grand et ne cesse d’augmenter..
Deux attaques-suicides et entre 40 et 70 morts : quelques heures après la démission du premier ministre yéménite, Ahmed Awad Moubarak, sous la pression de rebelles chiites, le pays a basculé dans la violence. L'attentat-suicide le plus meurtrier a frappé le centre de la capitale, Sanaa, tuant au moins une cinquantaine de personnes, selon des sources médicales, et faisant des dizaines de blessés.
Selon les premières informations recueillies par les agences de presse, un homme portant une ceinture d'explosifs s'est approché d'un barrage tenu par des houthis – des chiites qui s'opposent au pouvoir central et contrôlent une partie de la capitale.
« Il s'est ensuite fait exploser au milieu du personnel de sécurité et des simples passants », a affirmé un policier à l'agence Reuters.
Le dernier bilan, communiqué par le ministère de la Santé, a fait état de 47 morts et 75 blessés.
A peu près au même moment dans le sud du pays, une nouvelle attaque-suicide, à la voiture piégée cette fois, a visé un poste militaire, tuant au moins 20 soldats selon des officiels yéménites cités par l'agence Reuters.
L'aggravation de la situation tombe au plus mauvais moment pour le président Abd Rabbo Mansour Hadi, qui a été incapable d'imposer le Premier ministre Ahmed Awad ben Mubarak nommé mardi.
Le président Hadi a "condamné le lâche attentat terroriste", le plus sanglant depuis que le réseau extrémiste Al-Qaïda a menacé d'une guerre sans merci les rebelles houthis du mouvement Ansaruallah qui se sont emparés de la capitale le 21 septembre.
Un photographe de l'AFP, présent sur place, a décrit des scènes d'horreur, avec des corps déchiquetés par des billes d'acier qui ont été mélangées à l'explosif, et des civils pris de panique courant dans tous les sens.
Le bilan de l'attentat --le plus meurtrier depuis mai 2012 à Sanaa où une centaine de soldats avaient péri dans une attaque suicide d'Al-Qaïda-- n'a cessé de grimper dans la journée.
Les hôpitaux de Sanaa ont lancé des appels à des dons de sang et rappelé leurs personnels en congé pour soigner les blessés.
"Le risque" d'un conflit armé ouvert entre Al-Qaïda et les rebelles houthis "est grand et ne cesse d'augmenter", a déclaré April Longley, spécialiste du Yémen à l'International Crisis Group.
"Al-Qaïda a ouvertement appelé à davantage d'attaques et il faut s'attendre à en voir plus", a-t-elle souligné.
Al-Qaïda, bien implanté dans le sud et le sud-est du Yémen, s'était adressé fin septembre aux sunnites, majoritaires au Yémen, pour leur demander de l'aider à combattre les rebelles, adeptes du zaïdisme.
"Vous allez voir vos têtes voler", avait menacé Al-Qaïda, dans un communiqué adressé aux rebelles, accusés de liens avec l'Iran, ennemi juré du réseau extrémiste.
Un président fragilisé
Les attentats ont été commis quelques heures après que le président yéménite a accepté la démission d'un Premier ministre qu'il venait tout juste de nommer.
Selon l'agence officielle Saba, le président a accédé à une demande du Premier ministre Ahmed Awad ben Mubarak d'être relevé de sa mission "dans le but de préserver l'unité nationale et de protéger le pays contre les divisions".
En fait, M. Hadi a cédé à la pression du chef des rebelles houthis Abdel Malek al-Houthi. Celui-ci avait menacé mercredi soird'organiser une manifestation monstre jeudi à Sanaa pour contraindre le chef de l'Etat à "corriger la faute" qui a consisté, selon lui, à nommer M. ben Mubarak Premier ministre.
L'agence officielle a d'ailleurs précisé que M. Hadi avait renoncé à cette nomination contre l'engagement des rebelles d'annuler leur manifestation.
Cette nouvelle concession du président fragilise son pouvoir face aux rebelles houthis, auxquels il a déjà cédé en rectifiant une hausse des prix du carburant et en remerciant l'ancien gouvernement.
"La décision (du président Hadi) de nommer M. ben Mubarak a été une surprise et une faute politique de taille", a estimé April Longley.
"M. ben Mubarak a plusieurs bonnes qualités mais ne jouit pas d'un large soutien politique, tel que demandé par l'accord de paix" du 21 septembre, conclu sous l'égide de l'ONU, qui avait mis fin aux combats à Sanaa entre rebelles et forces de l'ordre, selon elle.
L'experte a mis en garde contre une prolongation des marchandages politiques. "Plus le processus de consultations prendra du temps, plus on aura des évènements qui viendront saborder l'accord de paix".