L’UE tentent de répondre en musclant la régulation de leur économie numérique
Les points de frictions se multiplient en Europe avec les groupes américains tels que Google, Amazon, Airbnb ou Uber, qui bousculent les règles et les codes tandis que les pays de l'UE tentent de répondre en musclant la régulation de leur économie numérique.
Pendant que le géant américain Google -- le plus emblématique -- mène un bras de fer avec les médias allemands, les taxis européens résistent à Uber, Netflix donne des sueurs froides à l'audiovisuel français, tandis que les pratiques fiscales d'Amazon entrent dans le viseur de Bruxelles.
La multiplication des différends "peut être interprétée comme une montée en puissance des acteurs technologiques américains, une prise de conscience de la Commission (européenne), ou le fait que la numérisation de la société commence à avoir des effets critiques", souligne auprès de l'AFP Pierre-Jean Benghozi, professeur à Polytechnique, spécialiste de l'économie numérique.
Si "la culture a servi de laboratoire expérimental dans les transformations numériques", la musique ayant été le premier secteur fortement touché, on commence à voir cet effet "sur le cinéma, la télévision, la presse, le livre, et puis avec les taxis, et la santé ou l'énergie suivront", note-t-il.
Ce sont des groupes de médias allemands, rejoints par plusieurs centaines de sociétés européennes du numérique, qui ont été en première ligne au sein de l'Open Internet Project (OIP) pour relancer une plainte devant la Commission européenne accusant Google d'abus de position dominante et notamment de promouvoir ses propres services dans les résultats de son moteur de recherche.
Cette enquête, ouverte en 2010, s'est étendue à mesure que de nouveaux secteurs -- tourisme, comparateurs de prix, médias -- ajoutaient leurs récriminations.
Peter Thiel, cofondateur de PayPal, reconnaît le "monopole" de Google avec plus de 90% de part de marché sur les moteurs de recherche. Mais dans une interview au Financial Times, il estime la régulation néfaste et juge que le secteur technologique "est assez dynamique pour faire en sorte que le monopole de Google ne dure pas".
Selon lui, les Européens sont au final "des fainéants, avec de faibles ambitions" dirigés par des autorités qui étouffent l'innovation.
"La position de Google, c'est de dire: peut-être qu'à un moment je suis leader sur les moteurs de recherche, mais aujourd'hui le sujet, ce sont les applications mobiles et les messageries instantanées sur mobile, et là vous ne pouvez pas dire que je suis hégémonique", souligne Matthieu Soule, analyste stratégique pour l'Atelier BNP Paribas, cellule de veille et d'innovation de la banque.
Différend fiscal
Outre la question de la concurrence, les Européens tentent de répondre en musclant la régulation.
Le ministère allemand de l'Economie a ainsi appelé à une réforme éventuelle du secteur des transports en réponse à Uber, l'application de covoiturage pour smartphone qui fait crier les taxis à la concurrence déloyale.
La Commission européenne prépare, elle, un règlement très attendu sur les données personnelles, nouvel "or noir" des géants du numérique.
Le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) français, Olivier Schrameck, tente à la tête de l'ERGA, le groupe des régulateurs européens de l'audiovisuel, de coordonner la réponse aux nouvelles plateformes de diffusion comme Netflix.
"En Europe, on sort assez vite de nouvelles mesures défensives (pour protéger) des activités économiques historiques", souligne Matthieu Soule.
Pourtant, "plus on défend le marché national, plus les nouveaux et anciens acteurs européens auront du mal à conquérir de nouveaux marchés hors de l'Europe. C'est peut-être une erreur", dit-il.
Mais c'est le différend fiscal qui risque de coûter le plus cher aux géants américains du numérique, dont la nature des activités rend plus facile l'optimisation fiscale.
Google a reçu en mars une notification de redressement du fisc français, dont l'examen est en cours. Ce redressement fait suite à une enquête sur des "prix de transfert" entre la branche française du groupe et sa holding irlandaise, et son montant pourrait se situer entre 500 millions et 1 milliard d'euros, selon certaines sources. Bruxelles a aussi ouvert des enquêtes approfondies contre les pratiques fiscales agressives de plusieurs multinationales américaines, notamment Amazon et Apple.
La pression monte sur ces pratiques alors que certaines recommandations de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour contrer l'optimisation fiscale pourraient être appliquées dès 2015.
lgo/cb/plh
GOOGLE
NETFLIX
AMAZON.COM
BNP PARIBAS
APPLE INC.
Quelques groupes américains qui bousculent l'économie européenne
- Airbnb, la plateforme d'hébergement chez l'habitant dont la France est le deuxième marché, suscite la colère des hôteliers qui estiment qu'elle représente une concurrence déloyale. En réponse à son succès, la législation sur la location de court séjour s'est durcie en France, en Allemagne ou en Espagne.
- Uber, dont l'une des applications pour smartphone facilite le covoiturage en mettant en relation les offres de véhicules et les usagers, crée des remous en France mais aussi ailleurs en Europe, où elle est attaquée par les taxis. Un tribunal allemand a interdit ce service en août avant de revenir sur ce jugement en appel.
- Netflix, la plateforme de vidéo en ligne américaine dont l'arrivée en septembre en France a été accueillie par les protestations des acteurs de l'audiovisuel dans un secteur très réglementé régi par l'exception culturelle.
Les professionnels du secteur s'élèvent contre l'avantage concurrentiel que procure à Netflix son siège européen au Luxembourg, puis aux Pays-Bas en 2015, en lui permettant d'échapper notamment à l'impôt français sur les sociétés, à l'obligation de signalétique d'âge et au pourcentage minimum de 60% de contenus européens et 40% de contenus français dans son catalogue
- Google, le géant américain de l'internet, cumule les points de friction.
Il fait l'objet d'une enquête de la Commission européenne depuis 2010 pour abus de position dominante. Le géant américain se voyait reprocher principalement de mettre en avant sur ses pages ses propres services spécialisés, au détriment des moteurs de recherche concurrents, par exemple des comparateurs de prix comme Kelkoo ou des sites spécialisés dans les voyages comme Expedia ou lastminute.com.
Des médias allemands estiment qu'il ne respecte pas le droit d'auteur et demandent rémunération pour l'utilisation des contenus affichés par son moteur de recherche. En réponse, Google n'affiche plus depuis jeudi les premières lignes de texte ou de photo des articles, mais de simples liens vers les articles de médias représentés par la coalition de médias allemands VG Media (Axel Springer, Burda, Madsack ou Funke).
Google voit affluer les demandes de retrait de liens au nom du "droit à l'oubli" -- 145.000 en quatre mois -- suite à une décision de la Cour de justice européenne de Luxembourg, qui traduit la sensibilité des Européens à l'usage de leurs données personnelles. La Cour avait estimé que les particuliers avaient le droit de faire supprimer de ses résultats de recherche les liens vers des pages comportant des informations personnelles périmées ou inexactes. Google a été chargé de la mise en œuvre de ces demandes mais est aussi confronté à des recours devant les autorités de régulation européennes ou à des procédures en justice.