Intervention d’Ivan Blot au Club de Valdaï le 24 octobre 2014
Dans le cadre du débat « un accord pacifique sur l’ordre mondial peut-il être atteint ? » qui avait lieu le vendredi matin au club de Valdaï réuni à Sotchi, Ivan Blot, professeur de sciences politiques et membre de l’Académie catholique de France a ainsi décrit les quatre causes du désordre mondial actuel.
L’analyse en termes de quatre causes est empruntée au philosophe grec Aristote. Il s’agit des causes économiques (matérielle disait le philosophe), politiques et militaires (cause formelle) culturelles et humaines (cause motrice) et spirituelles (cause finale).
La cause économique est liée à l’irresponsabilité croissante des Etats qui laissent l’endettement monter à des hauteurs considérables alors que déjà l’excès d’endettement parti des USA (crise des subprimes à l’immobilier) avait déjà créé une grave crise en 2008. Il semble que la leçon n’a pas porté. Outre les Etats, les grandes banques portent une lourde part de responsabilité car elles jouent avec l’argent des autres. Un propriétaire ne prend jamais trop de risques. Mais les banques sont aujourd’hui aux mains de « managers » qui veulent gagner le maximum d’argent à court terme, comme l’a notamment montré l’économiste français Pascal Salin dans son livre « revenir au capitalisme ». Il faudrait en revenir à un capitalisme responsable, c’est-à-dire à des formes de société donnant la pleine responsabilité aux propriétaires et limiter les pouvoirs donnés aux gestionnaires (managers) qui « jouent avec l’argent des autres » par délégation.
La cause politique (et militaire) du désordre mondial vient du déséquilibre provoqué par l’existence d’un monde unipolaire dominé par les Etats-Unis. Comme devait le dire le président Poutine à la fin de la session du club de Valdaï, les Etats-Unis se sont considérés comme pouvant tout se permettre, étant les vainqueurs de la guerre froide.
Avec 40% des dépenses militaires mondiales, ils ont la tentation permanente d’intervenir par la force pour défendre leurs intérêts et représentent souvent un danger pour la paix mondiale. De récents sondages mondiaux ont montré d’ailleurs que 25% de personnes dans la plupart des continents considèrent que les Etats-Unis sont la première menace pour la paix dans le monde (sondage Worldwide Independent Netwok et Gallup, 2014, portant sur 66 806 personnes de 65 pays).
Le deuxième pays est le Pakistan cité par 8% des sondés, donc beaucoup moins de personnes que pour les Etats-Unis. Il faut un donc un rééquilibrage de la puissance pour que le monde soit plus stable. Il faut aussi que le peuple américain reprenne de l’influence dans son propre pays pour l’instant trop dominé par une oligarchie impérialiste et aventuriste comme le craignait dès 1961 le président américain Eisenhower. Celui-ci craignait que la démocratie américaine ne soit supplantée par le « complexe militaro-indistriel » américain. La mauvaise image croissante des Etats-Unis dans le monde devrait les faire réfléchir.
La cause démographique du désordre mondial vient de ce que les populations sont de plus en plus déracinées, notamment par des mouvements migratoires incontrôlés qui sont une source de déstabilisation des Etats. De plus, les cultures traditionnelles sont menacées par des phénomènes de déracinement et de matérialisme qui sont causes de criminalité et de délinquance (l’église est remplacée par le supermarché dans un monde devenu matérialiste). L’immigration de masse est désapprouvée par l’opinion publique des pays les plus touchés comme la France ou le Royaume Uni et ce malaise renforce les extrémismes politiques.
La cause culturelle et spirituelle du désordre mondial est le matérialisme dominant, qui a produit une réaction islamiste radicale violente. Un matérialisme culturel a largement pris le pouvoir en Occident dans les années 1960. On a prôné la libération des instincts chaotiques à l’aide de la raison instrumentalisée contre les normes morales de la tradition. On aboutit ainsi à un monde cynique et sans cœur, un monde que l’on peut qualifier de reptilien.
Dans les pays occidentaux depuis les années 1960, la criminalité s’est multipliée par quatre. Un retour aux valeurs traditionnelles et à l’humanisme est nécessaire. C’est ce qu’a sans doute voulu dire le philosophe Heidegger lorsque, observant l’errance des hommes dans un monde déracinement et d’utilitarisme, il déclara : « seul un Dieu peut nous sauver ». Mais le sécularisme occidental a provoqué une vive réaction d’islamisme radical qui menace aujourd’hui la paix du monde. Les deux excès se nourrissent entre eux. Tous les Etats doivent s’unir contre le danger de l’islamisme radical et les Etats Unis n’ont pris conscience de ce danger que bien tardivement. N’oublions pas que le terroriste Ben Laden a commencé sa carrière au service des Américains en Afghanistan !
Endettement des Etats et fragilité des banques, domination d’une super puissance qui est tentée d’abuser de sa force, immigration désordonnée et déracinement, sécularisme intolérant et extrémisme religieux, voilà de nombreuses causes du désordre mondial. Chaque cause doit être combattue : responsabilisation des Etats et des banques, rééquilibrage vers un monde multipolaire, stabilisation des migrations, enracinement dans les valeurs traditionnelles et un sain patriotisme, voilà un programme de coopération entre Etats plus utile que celui qui consiste à aggraver les conflits et à vouloir jouer le rôle d’une cour suprême universelle.
Pour cela, la classe politique en Occident doit se ressaisir, par une meilleure sélection des responsables, une connaissance plus grande des hommes et de leurs histoires, et la réévaluation de cette vertu majeure qu’est le courage. Souvenons-nous de Soljenitsyne qui avait dénoncé autrefois à Harvard dès 1978 le déclin du courage des classes dirigeantes en Occident. A cet égard, La politique russe peut donner un exemple salutaire.