La Syrie d’Assad, amputée, malmenée – mais intraitable.
Tartous, Syrie – Les hommes d’affaires syriens repartent de zéro après la destruction de leurs magasins et de leurs usines. Des familles qui ont perdu leurs maisons peinent à louer de nouveaux logements et à joindre les deux bouts. Le long des autoroutes qui s’étirent à travers les zones contrôlées par le gouvernement se trouvent les ruines de villes auparavant contrôlées par la rébellion et aujourd’hui parsemées de points de contrôle.
La Syrie sous contrôle gouvernemental est tronquée dans ses dimensions, malmenée et appauvrie. Mais elle fait face, soulignant la manière dont le président syrien Bachar al-Assad s’est accroché au pouvoir malgré une rébellion armée qui essaye de le déboulonner depuis près de quatre ans.
Des visites la semaine dernière dans la capitale Damas et dans la région côtière de Tartous, un bastion du soutien au gouvernement, montrent à quel point les Syriens se sont adaptés à la vie dans ce pays tronqué. Les immeubles administratifs sont entourés d’épaisses barrières peintes en rouge, noir et blanc, les couleurs du drapeau syrien. Les portraits d’Assad sont partout : en soldat, en homme d’affaires et en père de famille.
Après des années de reculs et d’avancées, le régime gouverne Damas et une bande de territoire à l’ouest de la région de la côte méditerranéenne dans laquelle se trouvent les plus grandes villes de Syrie ainsi que certaines zones au sud de la Capitale. Les rebelles tiennent quelques banlieues dans la campagne qui entoure Damas et des parties du nord-ouest. L’État Islamique extrémiste a imposé son pouvoir sur un territoire qui recouvre un tiers de la Syrie et de l’Irak voisin.
La guerre est toujours présente. Le bruit persistant des bombardements dans les zones proches tenues par les rebelles est le fond sonore de Damas.
Les checkpoints sont omniprésents sur les routes, souvent des abris en béton ornés de posters d’Assad découpés en forme de cœur. Les soldats se reposent sur une literie usée.
« Auriez-vous une cigarette, monsieur ? » demande optimiste un soldat à un chauffeur.
Les milices locales pro-gouvernementales veillent aussi sur les villes et les quartiers, apportant leur aide à une armée d’Assad dont les forces sont tendues.
Des hommes moustachus armés de fusils d’assaut sautent dans des voitures à l’entrée du quartier historique de Bab Touma à Damas. Ce quartier majoritairement chrétien est une des cibles favorites des tirs de mortiers en provenance du quartier voisin de Khobar tenu par les rebelles. Les militants anti-Assad accusent certaines milices pro-Assad d’être plus brutales que les soldats et affirment qu’ils exigent des pots de vin et qu’ils volent des voitures.
Quand on quitte Damas, le revêtement de l’autoroute est bon, comme cette partie de la route fraîchement goudronnée. Non loin, se trouvent les ruines de la ville de Nabak dont les habitants s’étaient révoltés contre Assad au début du soulèvement. Le jaune de la grande roue du parc de loisirs de Nabak est délavé.
On lit sur un graffiti non loin, « Assad pour l’éternité. » Un autre proclame : « Je t’aime Lulu ».
On ne sait pas avec précision combien de Syriens vivent dans les zones respectivement contrôlées par le gouvernement et par les rebelles, étant donné le bouleversement démographique dans un pays où près de la moitié de la population a fui son domicile. Des zones auparavant dominées par des minorités fidèles à Assad, comme la région littorale de Tartous, majoritairement alaouite, ont vu la typologie de leur population changer avec l’accueil de quelque 350 000 personnes déplacées, en majorité des Musulmans sunnites.
Cela aura en définitive un effet à long terme : il sera difficile au régime d’Assad de se tailler un bastion alaouite comme certains de ses détracteurs l’accusent de le faire – ce que les responsables du gouvernement contestent.
Cela met aussi en lumière le fait que les Sunnites, qui sont le groupe confessionnel majoritaire dans le pays, forment la principale assise du pouvoir d’Assad, alors même que la rébellion est dominée par des Sunnites. Les minorités, comme les Alaouites, les Chiites et les Chrétiens soutiennent généralement le gouvernement ou sont restées neutres.
Parmi les déplacés, se trouvent un prédicateur musulman, Mustafa Shihi et sa femme, Faten Shaar qui ont fui vers une ville de la province de Tartous après que des rebelles ont incendié leur usine pharmaceutique. Sobhi explique que les rebelles de sa ville d’origine, Alep au nord du pays, l’ont puni parce que son fils Majed était dans l’armée. Majed a été tué en mars de l’année dernière.
L’autre fils de Sobhi vend maintenant des sandwiches devant une université locale. Les biens de cette famille de la classe moyenne-supérieurs ont été détruits dans la guerre, mais ils sont sains et saufs à Tartous, déclare Sobhi.
« Nous devons être comme une seule main, » dit-il assis à côté de son épouse sur un mince matelas posé sur le sol, l’unique mobilier de l’appartement. Un grand portrait de son fils tué en uniforme de l’armée et un autre faisant l’éloge d’Assad sont fixés au mur.
Parmi les déplacés, figurent des commerçants sunnites d’Alep, qui était le poumon économique du pays. Certains ont ré-ouvert leurs entreprises à Tartous mais à une échelle réduite.
Mohammed Jallad, un fabricant de fours, a fui quand les combats se sont intensifiés dans son quartier à Alep. Sa maison et son entreprise ont été détruites dans les bombardements.
Un prêt lui a permis de rouvrir une affaire à Tartous, partageant un espace d’activité industrielle avec quatre autres Aleppins. Il dort dans un coin au-dessus de ses fours pour économiser de l’argent.
Le prix de location de son local commercial a triplé en deux ans avec l’augmentation de la demande par des personnes déplacées. Alors qu’il faisait travailler 15 ouvriers à Alep, il n’en emploie plus que deux.
Jallad dit qu’il ne veut pas fuir à l’étranger, par crainte de subir le sort des quelque 3 millions de réfugiés syriens qui vivent en majorité dans des conditions misérables.
« Je voulais travailler, alors où aurais-je pu aller ? La situation à l’étranger est humiliante, » dit-il.
En luttant pour s’en sortir, les Syriens se sont adaptés à la réalité.
Taghrid, brodeuse à Damas, dit avoir envoyé son fils en âge d’être incorporé dans l’armée en Égypte pour éviter la conscription, ce que beaucoup de familles ont fait.
« Puisse Dieu le protéger, » dit-elle devant la grande mosquée des Omeyyades à Damas. Elle n’a donné que son prénom par crainte de mettre son fils en danger.
Les services de l’État existent toujours, quoique de manière décousue. Les travailleurs touchent leurs salaires même si la monnaie locale se déprécie. Il y a toujours de l’électricité même si les coupures de courant sont la routine. Les soins restent gratuits quoique les habitants disent que l’attente est longue car des médecins abandonnent leur poste.
« Le gouvernement syrien tient et se cramponne à l’unité et à l’intégrité territoriale de la Syrie. Et c’est pour nous une affaire sacrée, » affirme la conseillère d’Assad Bouthaina Shaaban.
La vie suit son cours pour les Syriens riches. Cafés et restaurants sont à moitié remplis, leurs propriétaires arguant du fait que la reprise des études par les jeunes a réduit leur affluence. Des hommes d’affaires ont ouvert un centre de loisirs et un centre commercial à Damas et un centre commercial sur sept étages à Tartous.
Au centre commercial Malki à Damas, une pancarte annonce une compétition de selfies. Dans le centre commercial presque vide de Tartous, l’investisseur Ali Naddeh fume une pipe à eau et dit que les boutiques vont bientôt ouvrir.
« C’est une époque d’opportunités, » dit-il.
Par Diaa Hadid, The Big Story (Associated Press) 2 novembre 2014 traduit de l’anglais par Djazaïri