Attirer les ’âmes perdues’
En faisant allégeance lundi aux jihadistes de l'Etat islamique (EI), le principal groupe d'insurgés islamistes en Egypte cherche à recruter des combattants, estiment les experts.
Ansar Beït al-Maqdess ("les Partisans de Jérusalem" en arabe) a revendiqué la plupart des nombreuses attaques qui ciblent militaires et policiers depuis que la destitution en 2013 du président islamiste Mohamed Morsi, le premier élu démocratiquement en Egypte.
Mais il est confronté depuis quelques semaines à une offensive majeure des militaires dans son bastion du Sinaï, à la frontière avec Gaza et Israël. Et il ne se passe pas un jour sans que l'armée n'annonce avoir tué ou capturé des dizaines de jihadistes dans le Sinaï.
Il n'est pas possible de vérifier ces annonces, mais les experts assurent qu'ils essuient des pertes significatives.
Les chefs d'Ansar Beït al-Maqdess "semblent vouloir internationaliser leur position, peut-être face à l'offensive de l'armée, mais il reste à voir s'ils peuvent attirer en dehors de l'Egypte", estime Hisham Hellyer, spécialiste du Moyen-Orient au Royal United Services Institute de Londres.
"Il est peu probable que l'EI ait beaucoup à donner à l'Egypte", sauf à susciter des vocations "chez certains individus", prévient-il toutefois.
"Les troupes assiègent le Sinaï et cette allégeance peut être considérée comme une manoeuvre pour utiliser le nom de l'Etat islamique afin d'attirer la sympathie au sein de la jeunesse" en Egypte, renchérit Eman Ragab, chercheuse au Centre Ahram d'études stratégiques du Caire.
"C'est surtout de la simplicité du message de l'EI dont pourrait tirer parti Ansar Beït al-Maqdess. Ce message est beaucoup plus frustre et accessible que celui d'Al-Qaïda et permet d'attirer une base populaire aux connaissances limitées de la religion: 'tuez des infidèles, responsables de tous les maux du monde musulman, des Américains, des chiites, etc'," commente au Caire un expert du terrorisme au Moyen-Orient, sous couvert de l'anonymat.
Attirer les 'âmes perdues'
L'EI a désormais "une attractivité plus forte qu'Al-Qaïda dans le monde", insiste ce connaisseur qui redoute que des "âmes perdues" en Egypte, en particulier avec l'implacable répression visant les islamistes même modérés, rejoignent l'EI sans s'éloigner: au sein désormais de sa franchise égyptienne.
L'objectif est ainsi de "créer un sanctuaire en Egypte" pour que des jeunes jihadistes rejoignent l'EI sans "aller combattre en Irak ou en Syrie", estime aussi Ismaïl Iskandrani, expert du Sinaï au sein de l'Initiative Arabe de Réforme, un institut basé à Paris.
Ansar Beït al-Maqdess a rappelé lundi que son message et ses objectifs de guerre restaient centrés sur l'Egypte et la lutte contre l'ex-chef de l'armée Abdel Fattah al-Sissi, tombeur de M. Morsi et nouveau président.
"Qu'attendez-vous après que votre honneur eut été souillé, votre sang versé par ce tyran stupide et ses soldats", a proclamé le groupe jihadiste, qui n'a de cesse que de conseiller aux "civils musulmans" de se tenir éloignés de ses cibles potentielles.
"Le souci, c'est qu'ils pourraient viser maintenant des éléments connus pour aidant l'armée égyptienne, ou accusés de soutenir 'l'oppression contre les musulmans', comme les chrétiens, ou des ambassades de pays participant à la coalition contre l'EI", prévient M. Iskandrani.
"Jusqu'à présent, Ansar Beït al-Maqdess s'est retenu mais il est probable que les cibles civiles ou étrangères vont devenir plus fréquentes", renchérit Issandr El Amrani, directeur pour l'Afrique du Nord de l'International Crisis Group (ICG).
"Les nouvelles adhésions rendent la menace que pose Daesh (acronyme arabe de l'EI) encore plus évidente, puisque ce mouvement bénéficie désormais à la fois d'un ancrage territorial solide en Irak et en Syrie, mais aussi de ramifications internationales démultipliant sa force de frappe contre des cibles moyen-orientales ou internationales", s'inquiète Karim Bitar, directeur
de recherche à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) à Paris.
"Il existe un effet d'entraînement et, tant que le momentum de Daesh n'aura pas été brisé, beaucoup continueront de vouloir prendre ce train en marche", prédit l'expert.