C’est l’émissaire spécial des Nations unies pour la Syrie, M. Staffan De Mistura qui l’a proposé au président syrien.
Le 30 octobre dernier, l’émissaire spécial des Nations unies pour la Syrie, M. Staffan De Mistura a proposé d’instaurer des zones de « gel des combats » à Alep. Sans donner plus de détails, il a précisé qu’il ne s’agissait pas d’un plan de paix mais d’un « plan d’action » [1] pour permettre la distribution de l’aide humanitaire dans cette ville devenue soudainement le centre d’attention de tous les faux amis de la Syrie, maintenant que l’Armée arabe syrienne est en passe de la nettoyer de leurs prétendus rebelles révolutionnaires fort pieux et modérés.
Erdogan menace de la récupérer au sein de son sultanat imaginaire ; Fabius veut la bombarder parce qu’il trouve qu’elle n’a pas subi suffisamment de destructions avant qu’elle ne « tombe » entre les mains des autorités syriennes légitimes ; Michel Kilo, le révolutionnaire surnommé « le Cheikh wahhabite » par les gens d’Alep, le rassure en jurant sur sa tête qu’elle ne tombera pas ; le Qatar, par la voix de « sa déléguée » auprès de l’ONU, appelle la Syrie à suivre son modèle de morale et de démocratie ; l’administration US cherche opposants modérés désespérément… Bref, la sollicitude des humanitaires va-t-en guerre pour cette ville massacrée depuis trois longues années est subitement quasi unanime, presque autant que pour la petite ville de Aïn al-Arab / Kobané.
En réponse, le délégué permanent de la Syrie auprès de l’ONU, M. Bachar al-Jaafari, a immédiatement rappelé qu’il suffirait de tenir compte des résolutions 2170 [2] et 2178 [3], adoptées à l’unanimité par le Conseil de sécurité, pour que le fléau de Daech et ses sœurs, qui s’est abattu sur tout le pays, disparaisse en quelques jours, tout en déclarant « nous étudierons les propositions de M. De Mistura lorsqu’il retournera à Damas pour s’en entretenir avec les responsables politiques et donnerons notre avis sur la question » [4].
M. De Mistura est retourné à Damas et voici le communiqué du 10 Novembre, 13H, de la Présidence de la République arabe syrienne [5] suite à sa rencontre avec le Président Bachar al-Assad :
« Le président Al-Assad, informé par M. de Mistura des principaux points et objectifs de son initiative consistant à geler les combats dans la ville d’Alep, a souligné l’importance de cette ville et le souci de l’État pour la sécurité des civils sur l’ensemble du territoire syrien. Il a considéré que cette initiative méritait d’être étudiée et d’essayer de travailler afin d’atteindre ses objectifs qui versent dans le retour de la paix à la ville d’Alep.
Il a aussi été convenu de l’importance de la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité 2170 – 2178 et de la conjugaison des efforts internationaux visant à lutter contre le terrorisme en Syrie et dans la région, un terrorisme qui constitue une menace pour le monde entier ».
Force est de constater que pratiquement tous les médias ont fait l’impasse sur le 2ème paragraphe de ce communiqué. [NdT].
Certains auront sans doute été surpris par l’initiative de M. de Mistura proposant un « gel local des combats » qui démarrerait dans une zone actuellement sous le feu des terroristes et, au cas où l’expérience serait réussie, s’appliquerait à d’autres zones, pour finalement aboutir à un environnement permettant d’initier le dialogue et d’entamer les négociations à la recherche d’une « solution politique » de la crise syrienne.
Une approche qui pose, en effet, nombre de questions quant à son contexte, son objectif et les conditions de son éventuel succès.
Mais avant de traiter de ces questions, nous devons rappeler que la notion de « gel local des combats » est une notion nouvelle qui n’a jamais été utilisée dans le cadre du droit international et des conflits armés. Par conséquent, elle ne peut être discutée, comprise et appliquée, que sur la base de ce qu’elle pourrait contenir comme concepts qui lui seraient obligatoirement liés.
À notre avis, les notions les plus proches en la matière sont « le cessez-le-feu » et la « trêve », mais M. De Mistura a évité d’user de l’une et de l’autre parce qu’il sait que le gouvernement syrien ne peut les accepter étant donné qu’elles touchent à la souveraineté de l’État et signifient la reconnaissance implicite des groupes terroristes.
En effet, en cas de cessez-le-feu ou de trêve, il faut définir « la ligne de cessez-le- feu » ainsi que les forces et les actes prohibés de part et d’autre de cette ligne, tout en veillant à ce que les deux parties restent sur leurs positions respectives et bénéficient de leur droit à s’approvisionner et à se renforcer pour les garder. Et bien sûr, l’État syrien ne pouvait accepter l’une ou l’autre de ces conditions qui reviendraient à renoncer à sa souveraineté sur son territoire, au profit des terroristes.
Voilà pourquoi M. De Mistura s’est bien gardé d’user de ces deux notions parfaitement comprises, pour en proposer une troisième inédite et dont les implications restent à définir.
Mais c’est bien parce que cette notion est « nouvelle » et que la Syrie se trouve aujourd’hui dans une situation plus confortable, suite à une série de succès sur le terrain depuis quelques mois et, aussi, parce qu’elle tient à la sécurité de ses citoyens ainsi qu’à la sauvegarde de leurs biens, qu’il est naturel qu’elle accepte de prendre en considération toute initiative qui porterait, en elle-même, l’espoir de sauver des vies et de rétablir la paix et la stabilité dans toutes les régions du pays.
D’où la réponse des autorités syriennes déclarant leur disposition de principe à étudier l’initiative de M. De Mistura ainsi que ses mécanismes d’application dans le respect des droits nationaux et dans le but d’accélérer le règlement d’une crise fabriquée à l’étranger et exécutée par des instruments locaux et régionaux, avec une incontestable participation internationale.
D’après ce qui a pu filtrer jusqu’ici, il semble que cette nouvelle notion de « gel local des combats » pourrait aller dans deux directions :
La première superposable à l’idée d’un « cessez-le-feu » qui ne dit pas son nom, ce qui revient à la situation décrite plus haut avec une ligne de cessez-le-feu reconnue par l’État syrien et par les organisations de terroristes armées ; ces dernières étant autorisées à se réapprovisionner et à se maintenir durant toute cette période sans que l’État syrien n’ait le droit d’intervenir contre leurs opérations logistiques.
La deuxième en rapport avec la déclaration de la Présidence de la République arabe syrienne lors de la visite de M. De Mistura à Damas et qui se fonde sur les résolutions 2170 et 2178 adoptées par le Conseil de sécurité, en vertu du Chapitre VII, afin de lutter contre le terrorisme en commençant par tarir ses sources.
Cette deuxième direction implique que l’État syrien et les terroristes cessent toute opération de combat dans la zone concernée par le « gel », mais aussi que cessent l’afflux des terroristes et toutes sortes d’approvisionnement qui leur sont destinés ; ce qui signifie la fermeture des frontières qu’ils continuent de traverser.
Ainsi, si un tel accord s’appliquait à « Alep », la Turquie se trouverait obligée de fermer tous les passages frontaliers empruntés aussi bien par les terroristes que par leurs fournitures logistiques, car la « communauté internationale » – comme aiment à le répéter l’Administration US – serait responsable de la mise en œuvre de la résolution contraignante, puisqu’adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Sinon, nous aurions affaire avec une énième arnaque concoctée dans l’intérêt des terroristes.
Nous pensons qu’il ya une énorme différence entre les deux directions quant à leur contenu et à leurs conséquences :
La première dissimulerait l’intention d’empêcher l’Armée arabe syrienne de récupérer « les quartiers » d’Alep qui restent aux mains des groupes armés et donnerait aux terroristes l’opportunité de se réorganiser, de se renforcer et de se réarmer en vue de la prochaine bataille.
La deuxième permettrait à l’État syrien de récupérer les zones envahies par les terroristes par étapes successives : arrêt des combats et des destructions, tarissement de toutes sortes de soutien aux terroristes, suivi de leur sortie des territoires envahis en association avec la solution politique globale.
Cette deuxième direction pourrait porter à croire que l’initiative de M. De Mistura est venue ouvrir le débat en vue d’une solution pacifique. Néanmoins, il faudrait commencer par définir ce nouveau concept de « gel des combats » à l’échelon international. Ce n’est qu’à la lumière de cette définition que nous pourrons juger des possibilités de son succès ou de son échec.
Quoi qu’il en soit, la Syrie a eu affaire à de multiples manœuvres, certaines beaucoup plus complexes que l’initiative actuelle et qui ont échoué grâce à son professionnalisme diplomatique et politique ainsi qu’au soutien d’une force militaire compétente. Elle ne sera donc pas impuissante aujourd’hui pour désamorcer une nouvelle mine placée sur sa route, d’autant plus qu’elle est actuellement dans une meilleure situation militaire qu’au tout début de l’agression. De plus, cette initiative internationale n’aurait pas été formulée de la sorte, si la balance ne penchait pas de son côté. Ce sont ses performances diplomatiques et sur le terrain qui ont amené « les autres » à revenir vers une solution pacifique, que « le gel des combats » soit local ou au-delà.
Par conséquent, personne ne devrait imaginer que la Syrie gaspillerait dans des négociations et des pourparlers ce qu’elle a récolté sur le terrain et par des moyens militaires
Dr Amin Hoteit: général libanais à la retraite et analyste.
13/11/2014
Source : Al-Binaa
http://al-binaa.com/albinaa/?article=20407
Article traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca