Un quart des 1 000 "jihadistes" français se sont récemment convertis.
Des milliers d’hommes solitaires, parfois mineurs ou tout juste convertis à l’islam, quittent leur quotidien pour mener la guerre sainte. Un phénomène vieux de vingt ans mais d’une ampleur aujourd’hui inédite.
Jamais un jihad, qu’il fût afghan, bosniaque, tchétchène ou malien, n’avait attiré autant de volontaires. Depuis le début du conflit syrien, environ 15 000 combattants étrangers originaires de plus de 80 pays se sont enrôlés dans les rangs de l’Etat islamique et, dans une moindre mesure, d’Al-Qaeda.
«Un niveau sans précédent», s’alarme l’ONU dans un récent rapport qui estime que le nombre de jihadistes à avoir rejoint la Syrie et l’Irak depuis 2010 est déjà «plusieurs fois supérieur» à celui des volontaires qui avaient combattu sur d’autres terres de jihad ces vingt dernières années.
Qui sont ces jihadistes ?
Qu’ils soient français, anglais, kirghiz ou philippins, ils n’ont en général aucune expérience militaire, indique le cabinet américain Soufan Group, qui a réalisé une des études les plus complètes sur le profil des combattants étrangers. Ils sont, la plupart du temps, jeunes, entre 18 et 29 ans, voire entre 15 et 17 ans. Leurs prédécesseurs, qui avaient combattu en Afghanistan contre l’armée soviétique, étaient plus âgés, la moyenne d’âge tournant autour de la trentaine. Plus surprenant à première vue, les nouveaux jihadistes n’ont quasiment jamais de lien, familial ou culturel, avec la Syrie. Les combattants européens ne fréquentaient en outre que rarement les mosquées dans leur pays.
Un quart des 1 000 jihadistes français se sont récemment convertis. La difficulté à les repérer avant leur départ tient à ce que la plupart ne se sont jamais fait remarquer, ni pour un éventuel intérêt pour la cause jihadiste ni pour des affaires criminelles. Les autorités marocaines estiment que 80% de leurs 1 500 jihadistes n’étaient pas fichés.
Pourquoi partent-ils ?
Souvent solitaires et isolés, les jihadistes européens trouvent dans le jihad «la cause supérieure» qu’ils recherchaient, note le Soufan Group. Ils se sont généralement autoradicalisés via Internet, parfois en parcourant les commentaires et les photos sur Facebook ou Twitter de jihadistes déjà partis.
Les dirigeants de l’Etat islamique semblent, sinon encourager, du moins laisser faire les combattants qui veulent s’exprimer sur le Web, même si cela peut les conduire à se faire arrêter lorsqu’ils quittent la Syrie. Preuve, selon les Nations unies, qu’ils y voient un moyen de recruter facilement de nouveaux volontaires.
Quels groupes rejoignent-ils ?
En 2012, alors que la révolution syrienne devenait guerre civile, certains volontaires s’enrôlaient au sein de l’Armée syrienne libre (ASL). Mais ces cas sont restés d’autant plus rares que l’ASL s’est rapidement illustrée pour son manque d’organisation et ses luttes internes.
Les combattants étrangers se sont alors tournés vers le Front al-Nusra, la filiale locale d’Al-Qaeda, la première organisation à avoir commis des attentats-suicides en Syrie. Le flot de jihadistes a ensuite bifurqué vers l’EI à mesure que celui-ci prenait le contrôle de villages à la frontière turque, principale porte d’entrée des volontaires. Le phénomène s’est accentué ces derniers mois, l’EI accueillant de plus en plus de combattants ayant quitté Al-Qaeda.
«Les étrangers se plaignent souvent d’être mal considérés, voire méprisés par leurs chefs syriens. Ils estiment qu’ils seront mieux traités au sein de l’EI», explique Romain Caillet, chercheur et consultant sur les questions islamistes.
Quel danger représentent-ils lorsqu’ils reviennent ?
Pour l’instant, seul un jihadiste français, Mehdi Nemmouche, a commis une attaque à son retour de Syrie, tuant quatre personnes dans le Musée juif de Bruxelles le 14 mai.
Début septembre, Matthew Olsen, le directeur du Centre de contre-terrorisme américain, estimait qu’il n’avait pas d’information «crédible» quant à la préparation d’une attaque aux Etats-Unis par l’EI.
Si celle-ci devait toutefois avoir lieu, elle resterait «très limitée et n’aurait rien à voir avec les attentats du 11 septembre 2001». Cette relative assurance tient à la stratégie affichée de l’EI, qui se cantonne, pour l’instant au moins, à la gestion de son califat entre la Syrie et l’Irak.
En revanche, les services de renseignements occidentaux se méfient davantage d’Al-Qaeda, dont l’objectif reste de frapper l’Occident sur son sol. Ils surveillent en particulier le groupe Khorassan, des vétérans du jihad contre l’Otan en Afghanistan qui se sont installés ces dernières années en Syrie. Ce sont eux qui ont été visés par les premières frappes américaines le 22 septembre, avant même l’EI.
Ils l’ont encore été le 6 novembre, lorsque des bombardements ont tué David Drugeon, un Breton de 24 ans.
A la différence d’une majorité de jihadistes français en Syrie, il s’était radicalisé il y a plusieurs années et avait rejoint la zone tribale pakistanaise du Waziristan du Nord en 2010, région où s’était aussi rendu Mohammed Merah avant de rentrer en France et d’y assassiner sept personnes.
Formé aux explosifs, David Drugeon avait ensuite rejoint la Syrie, pays facile d’accès, proche de l’Europe et épargné, jusqu’en septembre, par les frappes de drones américains.
Source: liberation.fr