...et serre la vis en Russie
Ouverture de studios à Londres pour la chaîne RT, lancement de Sputnik, un vaste service multimédia en langue étrangère: le Kremlin met les moyens pour faire entendre sa voix "alternative" à l'étranger, tout en imposant un contrôle de plus en plus strict des médias à domicile.
Dès le lancement en grande pompe de Sputnik, le ton était donné: la lutte "contre la propagande agressive qui nourrit le monde et impose un point de vue unipolaire", selon les mots de son directeur, Dmitri Kisselev, un présentateur controversé notamment pour des propos jugés homophobes et anti-américains.
"Sputnik raconte ce que les autres ne disent pas", selon le slogan de cette nouvelle plateforme multimédia, qui émettra en 30 langues dès 2015.
Le 11 novembre, au lendemain de son lancement officiel, l'un des premiers articles donnait le ton: "Les États-Unis manquent de preuves attestant que les convois militaires à Donetsk (est de l'Ukraine, ndlr) appartiennent à la Russie".
Cette semaine, Sputnik a publié un article sur le dernier dirigeant de l'Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, qui qualifie le président américain Barack Obama de "canard boiteux" ou bien un autre "L'Otan préfère ignorer les efforts russes pour stabiliser la situation en Ukraine".
De nombreux articles au caractère très factuel sont également accessibles.
Outil de propagande à l'étranger
Des observateurs ont d'ores et déjà dénoncé cette nouvelle plateforme comme un outil de propagande du régime russe.
"L'Etat n'a pas besoin de moyens d'information mais d'outils de propagande. Sputnik est un moyen de propagande à l'étranger", explique ainsi à l'AFP l'ex-dissident soviétique et journaliste Alexandre Podrabinek.
Sputnik n'est pas le seul média dans lequel investissent les autorités russes pour vendre la position de la Russie à l'étranger.
Dès 2005, l'Etat avait ainsi lancé sa chaîne de télévision, diffusée en anglais, en arabe et en espagnol, RT (ex-Russia Today). Une version française est en cours d'élaboration.
Après avoir ouvert des studios à Washington en 2010, la chaîne vient d'inaugurer ses locaux à Londres.
La nouvelle RT UK a cependant rapidement fait l'objet de controverses, l'autorité britannique de régulation des télécoms (Ofcom) l'accusant de couverture "pas totalement impartiale" des évènements en Ukraine.
"A peine avons-nous lancé notre chaîne au Royaume-Uni qu'on nous a menacés de nous priver de licence sous des accusations préconçues. Voici la démocratie", a vivement réagi la rédactrice en chef de RT Margarita Simonian, qui ne cesse de décrire la chaîne comme une source d'information "alternative", se positionnant en contrepoint des grands médias occidentaux.
Contrôler les médias populaires
Parallèlement à l'expansion des médias financés par le Kremlin, ceux indépendants ont, eux, la vie de plus en plus dure en Russie.
Limogeages de figures emblématiques telles que la rédactrice en chef du site internet d'informations le plus ancien et le plus lu, Lenta.ru, adoption de lois contraignantes, comme celle limitant à 20% la part de capital qu'une entité étrangère peut détenir dans une entreprise médiatique en Russie: "le Kremlin utilise tous les moyens pour avoir une influence sur les médias", estime l'analyste indépendant Alexandre Morozov.
Face à cela, la chaîne américaine CNN a annoncé qu'elle suspendait sa diffusion en Russie à la fin de l'année.
Récemment, c'est l'un des tout derniers médias critiques du pouvoir, un symbole de la liberté de ton de la période eltsinienne, qui s'est retrouvé dans le collimateur: la radio Écho de Moscou.
La direction de la radio, détenue à 66% par Gazprom Media, qui dépend du géant gazier Gazprom, avait décidé de renvoyer le journaliste Alexandre Pliouchtchev, après que celui-ci avait publié un tweet de mauvais goût sur la mort du fils aîné de Sergueï Ivanov, le chef de l'administration présidentielle russe.
Peu avant, le journaliste avait aussi fait polémique en diffusant un programme qui rapportait le quotidien des soldats ukrainiens combattant les rebelles prorusses à l'aéroport de Donetsk.
Le contrôleur russe des médias avait alors reproché à Écho de Moscou la diffusion d'"informations qui légitiment des crimes de guerre".
L'emblématique rédacteur en chef de la radio Alexeï Venediktov était alors entré en conflit ouvert avec la direction de la radio, qui avait menacé de le renvoyer.
Mercredi, Écho de Moscou a cependant annoncé que la direction avait annulé sa décision de renvoyer M. Pliouchtchev.
Le but du Kremlin "est de renforcer le contrôle sur les médias populaires, et d'obliger les rédactions à vivre dans des conditions d'auto-censure, dans la crainte de poursuites", estime M. Morozov.
"Le Kremlin a eu une très grosse frayeur", lors des manifestations d'une ampleur inédite de 2011-2012, qui ont précédé le retour au Kremlin de Vladimir Poutine, poursuit-il.
"Maintenant, toute forme d'opposition et d'opinion critique est inacceptable", conclut-il.