Il est difficile pour un musulman de louer ou d’acheter un appartement dans le Bombay “cosmopolite”.
L’Inde est un pays divers avec une multitude de religions, d’ethnies, de langues et de dialectes. Elle a ses clivages et ses conflits, mais son caractère inclusif a traversé les siècles.
L’expression “unité dans la diversité”, souvent utilisée par Jawaharlal Nehru, Premier ministre éclairé et visionnaire de l’Inde [de 1947 à 1964], n’était pas un cliché – elle résumait le système de valeurs de la nation. Malgré les provocations et les crises, ce système de valeurs a survécu.
Du moins jusqu’à présent. Subitement, pour ainsi dire, des points de vue qui cherchent à diviser les communautés s’expriment ici et là. Non pas que de telles opinions n’aient pas existé par le passé – les fauteurs de haine sont là depuis longtemps –, mais aujourd’hui ils envahissent l’espace public comme ils ne l’ont jamais fait.
Semeurs de haine
Par des propos et des actes, ceux qui appellent à la haine vomissent leur affreux message et trouvent un relais sur les réseaux sociaux, dans la presse grand public et à la télévision. Les médias, toujours en quête de sensationnel, leur servent de porte-voix, d’autant plus que certaines personnalités – députés, députés d’Etats, ministres – sont d’importants semeurs de haine.
Quand un député du Lok Sabha [Chambre basse], qui emploie le langage communautariste le plus ordurier au Parlement, se voit attribuer la direction de la campagne lors d’une élection législative partielle très importante en Uttar Pradesh [dans le nord du pays], où des familles musulmanes ont dû fuir leurs domiciles après des émeutes, la presse s’empare du sujet.
Ce qui devrait davantage intéresser les médias, c’est le fait que ces propagateurs de haine ne soient jamais inquiétés. Ils semblent à l’abri non seulement des poursuites et des condamnations, mais aussi des réprimandes. Aucun membre du BPJ [parti nationaliste hindou, au pouvoir depuis mai dernier], pas plus que le gouvernement, n’a jugé bon de leur remonter les bretelles ou de prendre la parole publiquement pour condamner de telles déclarations.
Accusations
Le ministre de l’Intérieur déclare innocemment aux journalistes qu’il ignore ce qu’est le “djihad de l’amour” et nul ne s’en émeut. Que cette campagne contre le prétendu “djihad de l’amour” – un plan diabolique des jeunes musulmans lubriques pour attirer et séduire de jeunes hindoues naïves – soit menée dans sa région d’origine et que tous les journaux en parlent semble avoir échappé à son œil d’aigle comme à celui de ses agences de renseignements.
Le président du BJP assure que sa formation n’a pas parlé du “djihad de l’amour”, mais il ajoute ensuite que “c’est un grave problème et [qu’]il faut y remédier”.
Voilà donc la situation : un gouvernement qui reste aveugle et sourd à ce que tout monde voit et entend quotidiennement. Pourquoi la députée qui a récemment proposé que les musulmans n’aient pas le droit d’assister aux garba [danses hindoues] devrait-elle se gêner pour dire l’inexprimable en public ? Après tout, son gouvernement est au pouvoir. Et maintenant ? Faudrait-il interdire aux musulmans de jouer au cricket ? Certains vont-ils bientôt réclamer le boycott de n’importe quel producteur de cinéma qui prendra [l’acteur musulman] Salman Khan dans ses films ? Ou bien pourrait-on obtenir ce résultat de façon moins évidente ?
Les techniciens et les scénaristes musulmans pourraient être radiés de leurs syndicats. Déjà, il est difficile pour un musulman de louer ou d’acheter un appartement dans le Bombay “cosmopolite” – ce sera peut-être bientôt interdit par la loi.
Résistance
Heureusement, des protestations contre une telle folie commencent à se faire entendre. Les réseaux sociaux ne sont pas seulement des caisses de résonance de l’amertume et de l’intolérance.
On y trouve aussi un important contingent de personnes raisonnables, très actives et qui prônent la laïcité. Le discours fort prononcé par l’éminent juriste Fali Nariman contre la montée de l’intolérance est un signe encourageant. Et les Indiens eux-mêmes sont assez sages pour ne pas tomber dans ce piège qui les diviserait pour toujours.
On a donc des raisons d’espérer. Ceux qui diffusent leurs messages communautaristes, ceux qui espèrent récolter ce qu’ils ont semé, se sentent peut-être encouragés pour l’instant, mais l’Inde reste fondamentalement un pays où l’on peut apprécier une chanson, un film ou une pièce sans se soucier de savoir qui a participé à sa création.
Sidharth Bhatia
Source: courrierinternational