Bien que la Commission ait rendu publiques près de 500 pages largement expurgées de leur résumé analytique, le rapport complet contenant plus de 6700 pages reste classifié.
La Commission du renseignement du Sénat a publié un résumé de 525 pages du rapport d’enquête de six mille pages sur le « Programme d’arrestations et d’interrogatoires » de la CIA (Image: Common Dreams)
La Commission du renseignement du Sénat a publié un rapport cinglant condamnant certains des abus et tortures par le commis par le programme de Remises, arrestations et interrogatoires (RDI) de la CIA, a omis de dénoncer les plus odieuses violations des droits humains par la CIA. Selon le rapport, la CIA a menti à la Commission sur les décès de prisonniers, les antécédents des interrogateurs de la CIA, les menaces contre les membres de famille des prisonniers, et l’efficacité de la torture.
Le 9 novembre 2005, directeur du Service national clandestin de la CIA Jose Rodriguez Jr., a autorisé la destruction par le feu de 92 bandes vidéo montrant les interrogatoires musclés d’Abou Zoubaïda et Abderrahim Al Nashiri. En réponse à la destruction de ces bandes la Commission du renseignement du Sénat a décidé, par un vote du 5 mars 2009, d’examiner le programme d’arrestations et d’interrogatoires de la CIA. Avec un accès à plus de six millions de pages de documents de la CIA, la Commission a simplement fourni un résumé superficiel sans se soucier d’interviewer des participants ou des victimes du programme RDI.
Après les événements tragiques du 11 Septembre, le ministère de la Justice a fabriqué une série de mémos juridiques autorisant l’utilisation par l’administration Bush de la torture contre des combattants ennemis. En 2002 et 2003, le vice-procureur général adjoint John Yoo a émis des mémos sur la torture, qui ont été signés par le procureur général adjoint Jay Bybee. L’Autorisation de recours à la force militaire, la Loi de 2006 sur les commissions militaires, et le Décret 13440 sont devenus les justifications légales pour l’utilisation de techniques d’interrogatoire « renforcées » et un mépris total pour les Conventions de Genève.
Figurant sous pseudonymes dans le rapport fortement expurgé, deux psychologues à la retraite des Forces aériennes, le Dr Bruce Jessen et le Dr James Mitchell ont obtenu des contrats pour développer les techniques d’interrogatoire « renforcées » de la CIA. Ils ont décidé d’inverser la conception de l’entraînement des forces aériennes aux contre-interrogatoires suivant le manuel « Survie, évasion, résistance » (SERE) en infligeant la torture à la fois physique et psychologique aux détenus. Selon le rapport, ils ont participé personnellement à des séances de waterboarding [simulation de noyade, « baignoire », NdT] et d’interrogatoires de prisonniers.
Blessé par balles et capturé lors d’un raid au Pakistan en 2002, l’un des premiers détenus, Abou Zoubaïda, était soigné dans un hôpital où il a fourni des informations aux agents du FBI au sujet de Khalid Cheikh Mohammed (KSM). Convaincus que Zoubaïda dissimulait des informations, les interrogateurs de la CIA l’ont soumis au waterboarding au moins 83 fois. Bien que Zoubaïda eût livré les informations sur KSM des semaines avant d’être torturé, la CIA a considéré cette violation des droits humains comme un succès et son interrogatoire est devenu un modèle pour de futures atrocités.
Capturé au Pakistan en 2003, KSM a été transporté dans un site noir de la CIA en Pologne avant d’être transféré à un autre site noir en Roumanie. Subissant des techniques d’interrogatoire « renforcées », KSM a fourni de fausses informations menant à l’arrestation de personnes innocentes et a fabriqué un complot visant à assassiner l’ancien président Jimmy Carter. KSM a été soumis au waterboarding au moins 183 fois et n’a fourni aucun renseignement opérationnel et aucune information utile à ses interrogateurs.
Selon la Commission, les techniques d’interrogatoire brutales ne sont pas des moyens efficaces d’obtention de renseignements. Sous la contrainte, les prisonniers diront tout ce qu’ils pensent que l’interrogateur veut entendre pour mettre fin au tourment. Bien que la CIA affirme que les informations obtenus par des interrogatoires «renforcés» ont sauvé des vies et conduit à la mort d’Oussama ben Laden, la Commission a découvert que ces allégations sont manifestement fausses.
La plupart des agents de la CIA impliqués dans le programme RDI avaient des antécédents degal_9655 violence, d’abus et d’agressions sexuelles.
En plus du supplice de l’eau et des coups, les interrogateurs de la CIA ont également menacé de violer et de tuer des membres des familles des prisonniers, les ont privés de soins médicaux, et ont à plusieurs reprises effectué une réhydratation ou alimentation rectale sans nécessité médicale. Des détenus avec des pieds cassés et des chevilles foulées ont été contraints de rester debout pendant de longues périodes de temps pour les priver de sommeil.
En novembre 2002, les agents de la CIA ont laissé Gul Rahman, détenu dans un site noir, après l’avoir battu, à moitié nue de la taille aux pieds dans une cellule non chauffée pendant la nuit. Rahman a fini par mourir de froid dans sa cellule. Dans un cas d’erreur d’identité, le citoyen allemand Khalid El Masri a été enlevé par la police macédonienne et remis à la CIA. Après des mois de coups et de suppositoires introduits de force, El Masri a été libéré sans accusations.
Bien que le rapport mentionne Binyam Mohamed, la Commission a négligé d’enquêter sur ses allégations de torture. Arrêté au Pakistan le 10 avril 2002, Mohamed a été transporté dans un site noir de la CIA où il a été battu, brûlé, et a subi des entailles au scalpel sur le torse et le pénis. Les USA ont finalement abandonné toutes les charges contre Mohamed et l’ont remis en liberté.
Sont aussi omis dans le résumé les meurtres d’Abdul Wali de Manadel Al Jamadi.
Entre le 19 et le 20 juin 2003, le contractuel de la CIA David Passaro a battu à mort un suspect afghan nommé Abdul Wali avec une lampe de poche métallique.
À la prison d’Abou Ghraïb en 2003, Manadel Al Jamadi est mort dans une salle de douche durant des interrogatoires de la CIA avec les bras attachés dans le dos. La photo de l’ancien spécialiste Charles Graner Jr. posant sur le cadavre d’Al Jamadi a fait le tour du monde ; il a ensuite été accusé d’avoir torturé ses prisonniers. Mark Swanner, l’interrogateur de la CIA, n’a pas été poursuivi pour la mort d’Al Jamadi.
La « remise » et la torture du religieux égyptien Hassan Mustafa Osama Nasr sont également absentes du résumé. Enlevé par des agents de la CIA à Milan le 17 Février 2003, Nasr a perdu l’usage d’une oreille après des mois de coups et de décharges électriques. Le 4 novembre 2009, un juge italien a condamné par contumace 22 agents de la CIA soupçonnés ou connus, un colonel de l’Armée de l’air et deux agents secrets italiens pour l’enlèvement de Nasr.
Selon la Commission, la CIA a menti au Congrès, au Conseil national de sécurité, au ministère de la Justice et à l’opinion US sur la gravité des tortures commises et sur la pertinence des informations obtenues par des interrogatoires musclés. La Commission a également accusé l’ancien directeur de la CIA Michael Hayden de lui avoir menti sur les décès de prisonniers, les antécédents douteux d’interrogateurs de la CIA, les menaces contre les membres de familles de détenus, et la fiabilité des informations obtenues par la torture.
Bien que la Commission ait rendu publiques près de 500 pages largement expurgées de leur résumé analytique, le rapport complet contenant plus de 6700 pages reste classifié. Après que des agents de la CIA avaient piraté les ordinateurs appartenant à des membres de la Commission et à leur personnel l’an dernier, le directeur de la CIA John Brennan, dans une tentative d’empêcher la publication du rapport, a faussement accusé la commission d’avoir volé des dossiers classifiés. Comme les sénateurs ont appelé à sa démission, Brennan a été forcé de présenter des excuses à la Commission.
Au lieu de devoir rendre des comptes pour avoir mis au point ou utilisé des techniques d’interrogatoire « renforcées », le Dr Mitchell et le Dr Jessen ont reçu $ 81 millions de $ jusqu’à la résiliation de leur contrat en 2009. L’ancien agent de la CIA John Kiriakou a été condamné à 30 mois de prison après avoir révélé le programme de torture lors d’une interview sur ABC News. Kiriakou a été accusé d’avoir violé l’Intelligence Identities Protection Act (Loi de protection de l’identité d’agents du renseignement) de 1982 en donnant la carte de visite de Deuce Martinez au reporter du New York Times Scott Shane. Martinez avait été un interrogateur de la CIA travaillant pour Mitchell Jessen and Associates.
Tout en dénonçant les mensonges de la CIA sur la neutralisation d’attentats terroristes, la localisation d’Oussama ben Laden, et le sauvetage de vies grâce à l’utilisation de la torture, la Commission a omis de citer les pires atrocités commises en notre nom. Agissant en toute impunité, la CIA traîne une histoire sordide de décennies d’enlèvements, de tortures et d’assassinats, dont ne voit pas la fin.
Andrew Emett
Traduit par Fausto Giudice
Sources: Nation Of Change; Tlaxcala