Selon la présidente de la banque centrale russe, le pays doit apprendre à vivre dans une nouvelle zone, s’orienter vers ses propres sources de financement et ses propres projets
La Russie est entrée dans la très dangereuse spirale de la crise monétaire malgré les mesures radicales adoptées mardi pour enrayer l'effondrement du rouble, mettant en lumière l'impuissance de Vladimir Poutine dans une crise aux conséquences dramatiques pour la population.
En quinze ans à la tête de la Russie, comme président ou comme Premier ministre, le chef de l'Etat n'a jamais géré une crise comparable. Et mardi soir, alors que le rouble n'en finissait pas de toucher le fond et que les Russes faisaient la queue pour transformer leurs roubles dévalués en euros ou dollars, il n'avait toujours pas pris la parole.
Interrogé par l'AFP, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a refusé de commenter la grave crise monétaire en cours, estimant que cette question "économique" relevait de la compétence du gouvernement, pas de la présidence.
Pourtant, les indicateurs affolent les compteurs. Après un lundi marqué par une chute de 9,5% sans précédent depuis la crise financière de 1998, le rouble a plongé de plus de 20% dans l'après-midi avant de reprendre des couleurs.
L'euro a dépassé le seuil inimaginable de 100 roubles et le dollar 80 roubles.
Cet effondrement de la monnaie russe que rien ne semble pouvoir arrêter est la conséquence directe des sanctions économiques décrétées par les Occidentaux pour punir l'attitude du président russe dans le dossier ukrainien et de la chute vertigineuse des cours du pétrole.
Le plongeon historique du rouble a créé des inquiétudes immenses auxquelles le chef de l'Etat, boudé par les Occidentaux mais toujours populaire dans son pays, devra répondre jeudi lors d'un grand oral devant des centaines de journalistes russes et étrangers.
"La situation dans le pays est complètement instable, cela fait très peur", s'est désolé Ioulia, interrogée devant une banque de Moscou où s'est formée une file d'attente. "J'ai peur qu'on retourne à la situation des années 1990", a-t-elle ajouté alors que certains experts et opposants libéraux n'hésitent pas à parler de "pré-faillite" de la Russie.
Le rouble a ainsi perdu près de 60% de sa valeur face au dollar depuis le début de l'année. Et la situation échappant désormais à tout contrôle, la banque de Russie a annoncé au milieu de la nuit, fait exceptionnel, une hausse de 6,5 points de son taux directeur à 17%, contre 10,5% auparavant et 5,5% au début de l'année. Mais le soulagement aura duré moins de deux heures sur les marchés mardi matin.
Pour l'heure, la réponse des autorités est plus que mesurée. Le Premier ministre Dmitri Medvedev a annoncé une réunion des ministres chargés du secteur économique. Et dans l'après-midi, la banque centrale a promis de nouvelles mesures pour juguler une situation "critique".
A la télévision, la présidente de la banque centrale, Elvira Nabioullina, a également prévenu que le retour du rouble à un niveau conforme aux fondamentaux de l'économie "prendra du temps".
"Nous devons apprendre à vivre dans une nouvelle zone, nous orienter vers nos propres sources de financement et nos propres projets", a-t-elle ajouté.
Confiance
Pour les ménages, les conséquences de l'affaiblissement de la monnaie nationale sont déjà très concrètes. La hausse des prix approche déjà 10% sur un an et promet de s'envoler encore. Les autorités ont vu ces derniers jours réapparaître les étiquettes en devises étrangères dans certains magasins, fréquentes dans les années 1990.
Les économistes du cabinet londonien Capital Economics rappellent que la stratégie de la banque centrale a un prix: "un nouveau durcissement des crédits pour les ménages et les entreprises et un recul plus profond de l'économie réelle en 2015".
Avec un taux directeur à 17%, un crédit immobilier sera ainsi désormais accordé avec un taux d'au moins 22%, a calculé le site Lenta.ru, un niveau difficile à tenir par des ménages au pouvoir d'achat malmené par la hausse des prix.
Si le gouvernement prévoit déjà une récession (-0,8%) l'année prochaine après une croissance autour de 0,6% cette année, la banque centrale avait prévenu lundi que si les cours du pétrole restaient à leur niveau actuel, autour de 60 dollars le baril, le produit intérieur brut pourrait chuter d'au moins 4,5%.
Face à l'ampleur des événements, l'idée d'introduire des restrictions sur les mouvements de capitaux, rejetée pour l'instant par Vladimir Poutine, était de nouveau discutée, les analystes craignant que cela ne ruine la crédibilité de Moscou sur les marchés.