Via la guerre des canaux
Oubliez un moment la crise ukrainienne. Oui, elle est très proche des frontières russes. Et elle est très pénible. Mais elle n’est pas le centre de l’histoire mondiale. Les agences de presse rapportent en effet que la Chine a lancé la construction d’un canal reliant les océans Atlantique et Pacifique au Nicaragua.
Et le monopole centenaire des États-Unis, qui contrôlent de fait le continent américain, n’est pas seulement menacé mais subit un coup ravageur. Si ce canal entrait en service, le monde assisterait au lever du soleil chinois.
Pour le moment, le canal de Panama est toujours la voie la plus courte entre l’Atlantique et le Pacifique. Pour le percer le président américain Theodore Roosevelt avait même créé un nouvel État, le Panama, détachant ce territoire de la Colombie en 1903.
Cette escroquerie géopolitique américaine d’envergure globale, la première d’une longue série, a été un succès brillant. Il y a cent ans, le canal de Panama laissait passer son premier navire, permettant aux successeurs de Roosevelt de transporter leur flotte vers n’importe quel coin du monde avec une avance sur leurs concurrents, et de contrôler les échanges commerciaux entre l’Occident et l’Orient.
A l’origine, le canal de Panama était la propriété des États-Unis. Puis ces derniers l’ont « transmis » au pays en 1999. Mais comme le gouvernement panaméen peut être renversé par les Américains à n’importe quel moment – le sort du général rétif Noriega en 1989 l’illustre parfaitement – ce canal reste en réalité un actif américain, à l’instar de tout le Panama « indépendant ».
L’idée de créer un canal concurrent sur le territoire du Nicaragua existe depuis toujours mais sa mise en œuvre n’a été lancée que cette année. Derrière l’entreprise hong-kongaise qui construit ce nouveau canal international, le gouvernement chinois veille. L’entrée en service de ce site devrait avoir lieu en 2019.
Pourtant, je ne partage pas la joie aveugle des patriotes orthodoxes qui saluent cette l’initiative visant à faire effondrer l’hégémonie américaine à l’autre bout du monde. Car le canal de Nicaragua sera chinois, tout comme celui de Panama appartient, de facto, aux États-Unis. Il aurait pu être le nôtre si l’URSS ne s’était pas disloquée en 1991, évitant également la crise ukrainienne, la querelle entre deux peuples-frères, la présence américaine au sud de la Russie, etc.
Dans les années 1970, l’URSS n’a pas ménagé ses efforts pour faire chuter le gouvernement proaméricain du Nicaragua, soutenir les rebelles de Daniel Ortega et accorder à ce pays lointain une aide technique et financière énorme (des membres de ma famille y avaient travaillé). Mais tout a tourné à l’eau de boudin.
Les autorités de l’époque n’ont pas pu comprendre l’influence du déficit en jeans sur la stabilité du régime de l’Union Soviétique… et ont commencé leur aventure afghane au lieu de travailler plus activement en Amérique latine, affectée par le virus du marxisme. L’intervention en Afghanistan, à partir de 1979, a coïncidé avec la chute du régime de Somoza au Nicaragua.
Selon moi, tout cela montre qu’il faut frapper les points les plus faibles de l’ennemi sans se laisser distraire par des sujets secondaires. Les Chinois, avec leurs 5 000 ans d’expertise stratégique, le comprennent sans doute parfaitement. C’est pourquoi le Nicaragua (et le monde) verra se lever le soleil chinois.
Oles Bouzina, écrivain ukrainienne
Source : Ria Novosti