Paradoxalement, durant le mandat d’Obama, premier président noir, des flots de discriminations ont déferlé à la faveur d’un creusement sans précédent des inégalités.
Le mouvement contre l’injustice faite aux populations noires s’amplifie aux États-Unis après la série de « bavures » racistes mortelles et impunies commises par des officiers de police blancs. « Pas de justice, pas de paix ! » ont scandé les manifestants rassemblés dans près d’une dizaine de villes.
À Washington, une marche nationale, à l’initiative de plusieurs organisations de défense des droits civiques, a rassemblé près de 50 000 personnes entre la Maison-Blanche et le Capitole, siège du Congrès. Les participants – associations de défense des droits civiques, syndicats, citoyens en colère – se sont placés délibérément sur les traces des grandes marches du début des années 1960 contre l’apartheid qui structurait alors la société états-unienne, soulignant le degré insupportable des discriminations envers la population africaine américaine, lesquelles resurgissent depuis quelques années et dont les victimes de la police aujourd’hui sont les plus terribles symptômes.
En tête du défilé, les familles de Mike Brown, Eric Garner, Tamir Rice et Trayvon Martin. Le jeune Brown (dix-huit ans) avait été abattu en août, par un policier de Ferguson (Missouri), lors d’une interpellation qui a mal tourné et alors qu’il n’était pas armé. Le New-Yorkais Garner, soupçonné de vente illégale de cigarettes a, lui, été étranglé par un agent face à une caméra. En dépit de dossiers accablants les deux policiers blancs ont été relaxés par des « grands jurys ». Tamir, enfant de douze ans, avait eu le tort de jouer avec un pistolet en plastique dans le parc d’une cité noire considérée comme « sensible » de Cleveland (Ohio). Quant à Trayvon Martin, il avait été abattu dans une cité de Floride, il y a deux ans, par un vigile qui fut, lui aussi, totalement blanchi par la « justice ».
Une société taraudée par un immense malaise
« Nous demandons au Congrès d’adopter une loi contre le profilage racial. Nous devons faire cesser cela dès maintenant. Nous sommes là aujourd’hui, nous serons là demain, nous resterons jusqu’à ce que le travail soit fait ! » a lancé Laura Murphy, de l’Association de défense des libertés civiles (Aclu).
Le révérend Al Sharpton, figure du mouvement des droits civiques, a relevé le besoin d’agir pour la paix d’une société taraudée aujourd’hui par un immense malaise.
Quelques 50.000 manifestants ont envahi, au même moment, les rues de New York, bloquant un secteur de six kilomètres dans Manhattan.
D’autres cris de colère et demandes urgentes de changement, « avant que le prochain jeune Noir ne soit tué », se sont fait entendre dans les rues de Boston (Massachusetts) ou dans plusieurs villes de Californie. À l’entrée de la célèbre université de Berkeley, l’effigie d’un homme noir pendu à un nœud coulant a été installée avec ces mots sur sa poitrine : « Je ne peux plus respirer ! »
Obama décevant
Certains manifestants, déçus par l’attitude de Barack Obama, très en retrait après le verdict du grand jury de Ferguson, ont rappelé les engagements pris par le premier président noir de l’histoire des États-Unis dans son discours inaugural de 2008, pour « débarrasser l’Amérique des derniers restes de l’injustice » ou « tarir les sources du poison raciste ».
Durant son mandat, des flots de discriminations ont déferlé à nouveau sur le pays à la faveur d’un creusement sans précédent des inégalités. Les subprimes, emprunts hypothécaires pourris, ont ruiné des centaines de milliers de familles noires, à qui Wall Street a fait miroiter un accès au « rêve américain », avant de les détrousser en répercutant sur elles les pertes enregistrées sur les marchés.
La déception ressentie pour la politique du président Obama ne se laisse comparer qu’à l’espoir qu’il avait suscité à son arrivée aux affaires, d’aucuns n’hésitant pas à proclamer alors « l’entrée de l’Amérique dans une période postraciale ».
Cornel West, professeur émérite à l’université de Princeton et l’un des grands intellectuels africains américains, est très sévère. « Obama, dit-il, a refusé d’agir contre l’injustice qui continuait d’assaillir les jeunes gens de couleur » et serait ainsi coresponsable dans la « guerre de classes et de races » qu’ils ont dû subir.
Il n’empêche : le mouvement de résistance, qui prend de l’ampleur aujourd’hui, illustre que le malaise est devenu trop fort, trop intenable, pour que l’on puisse espérer le surmonter par la délégation de pouvoir, fût-elle à la Maison-Blanche. Une partie de la société états-unienne a décidé de prendre ce problème à bras-le-corps.
Source : l'Humanité