A qui la faute?
"Mes rêves sont morts", souffle Frozan, jeune Afghane qui a perdu ses parents dans la guerre, découragée de voir que même les orphelinats, refuge des enfants les plus vulnérables, sont rongés par la corruption.
Au coeur de Kaboul, capitale d'un pays secoué par les conflits depuis 35 ans, l'orphelinat privé Fenêtres d'espoir (Windows of Hope) accueille 12 enfants, en majorité des handicapés, avec un maigre budget soutenu par quelques dons étrangers.
"Ces sont les enfants dont personne ne s'occupe", explique Frozan, 22 ans dont déjà six à la tête de l'orphelinat, sans cacher la difficulté de la tâche, car "ils ont besoin de quelqu'un à tout moment de la journée".
"Beaucoup sont des victimes de la guerre, qui ont perdu leurs familles. Ils ont souffert, ils ont des problèmes psychologiques, et les proches qui leur restent ne sont pas prêts à les garder", dit-elle.
Frozan a elle même perdu ses parents dans un bombardement pendant la guerre civile des années 1990. Elle avait alors six mois, et y a perdu une jambe.
Malgré le traumatisme cette jeune femme déterminée a décidé de s'investir corps et âme pour aider ses jeunes semblables.
Au moins son orphelinat reste-t-il, en principe, à l'abri de la corruption qui gangrène et paralyse la trentaine d'orphelinats d'Etat. Et avec sa taille réduite, il peut choyer davantage ses orphelins que les grands établissements publics.
Dans l'un d'eux en effet, le Tahia Maskan à Kaboul, 500 garçons âgés de 11 à 18 ans vivent dans un grand bâtiment délabré et sous-équipé.
Faux orphelins
"Nos enfants mangent de la viande, du yaourt et des fruits au moins trois fois par semaine, et du riz tous les jours", explique le directeur des orphelinats d'Afghanistan, Sayed Abdullah Hashimi, qui gère également le Tahia Maskan.
Mais il admet également que certains parents bien connectés utilisent les orphelinats pour loger et éduquer leurs enfants à peu de frais, détournant l'aide déjà maigre destinée aux vrais orphelins.
"Ils ont des relations avec les élus et les ministres", confirme Frozan, furieuse, en appelant le gouvernement à ne plus accepter que "les orphelins légitimes" dans ses orphelinats.
Après la chute des talibans en 2001, les milliards de dollars de l'aide internationale ont alimenté une corruption endémique qui a fait de
l'Afghanistan le quatrième pays le plus corrompu au monde selon Transparency International.
Le nouveau président Ashraf Ghani a, dès son arrivée au pouvoir en septembre dernier, promis de s'attaquer à ce fléau, mais la tâche est titanesque dans un pays où il n'épargne aucun secteur.
"Les orphelinats ne fournissent pas les services aux plus vulnérables", résume sans ambages Sami Hashemi, spécialiste de la protection de l'enfance pour l'Unicef à Kaboul, en dénonçant implicitement les détournements de fonds publics.
Sur les 85 afghanis (un peu plus d'un euro) alloués par jour pour les repas des enfants, seul 50 afghanis sont versés aux établissements, le reste étant capté au passage par de nombreux responsables, assure-t-il.
'Besoin de personnes intègres'
"Nous avons besoin de personnes intègres" et "dédiées à la seule cause des enfants", pas de "corrompus", plaide Sayed Abdullah Hashimi.
Seuls 12% des quelque 110.000 orphelins que compte le pays sont en orphelinats, selon le gouvernement. La majorité des autres est prise en charge par la famille élargie.
Mais M. Hashimi reste optimiste, en rappelant qu'"avec le soutien de la communauté internationale, les conditions de vie dans les orphelinats se sont beaucoup améliorées" ces dernières années. "Nous espérons résoudre tous les problèmes, y compris la corruption".
Outre la corruption, l'incertitude sur la pérennité des ressources pourrait peser sur l'avenir des orphelins en Afghanistan, au moment où l'Otan vient de retirer du pays ses troupes de combat, et que beaucoup anticipent une forte baisse de l'aide internationale à l'Afghanistan ces prochaines années.
Cette manne, qui finance une bonne partie du budget afghan, est massive: selon le gouvernement américain, les Etats-unis y ont à eux seuls dépensé 104 milliards de dollars depuis 2002 pour la reconstruction du pays, forces de sécurité comprises.
A défaut de mettre fin au conflit, elle a permis de construire de nouveaux équipements et de financer de multiples programmes d'aides. Mais l'impact a été bien moins décisif qu'espéré, notamment dans les services sociaux comme les orphelinats.
Pour continuer à exister, l'orphelinat Fenêtres d'espoir espère être à l'avenir aidé par le gouvernement ou d'autres acteurs locaux.