Il n’est pas question de l’Islam. Il est question de savoir pourquoi l’Islam est en premier lieu le sujet d’une telle controverse, alors que nous devrions nous intéresser aux vraies racines de la violence, écrit Ramzy Baroud.
Il n’est pas question de l’Islam, même si les médias et ceux qui attaquent des cibles en Occident l’affirment. En fait, cela n’a jamais été le cas. Mais il était important pour beaucoup de monde que soit faite cette confusion entre politique et religion. En partie parce que c’est commode et aussi parce que cela sert de justification facile.
En premier lieu, soyons clairs sur quelques points. L’Islam avait mis en marche dès 1200 tout un système pour supprimer l’esclavage, alors que celui-ci en Occident n’avait pas encore atteint son pic.
La libération des esclaves, propriétés alors des tribus arabes païennes, était un thème récurrent dans le Coran, toujours lié aux manifestations les plus fondamentales de la piété et de la vertu :
" Les aumônes ne doivent revenir qu’aux besogneux et aux indigents, [à servir] à la rétribution des collecteurs, au ralliement des bonnes volontés, à affranchir des esclaves, à libérer des insolvables, à aider au chemin de Dieu et à secourir le fils du chemin : autant d’obligations de par Dieu - Dieu est Connaissant et Sage. » [Al-Coran. 9:60 *].
Il est fâcheux que de tels rappels doivent être régulièrement faits, à cause de cette constante propagande islamophobe dans beaucoup de pays occidentaux. Le comportement hors normes et souvent barbare du ainsi-nommé État islamique a renforcé la propagande et les préjugés existants.
En second lieu, l’égalité entre les sexes dans l’Islam a été inscrite dans la langue du Coran et l’héritage du Prophète Mohamed.
" Ceux et Celles-qui-se-soumettent, les croyants et les croyantes, les dévotieux et les dévotieuses, les hommes et les femmes de véridicité, de patience et de crainte, ceux et celles qui font l’aumône, jeûnent, contiennent leur sexe, pratiquent assidûment le Rappel, Dieu leur ménage Son indulgence, un salaire grandiose. » [Al-Coran. 33:35 *]
Troisièmement, le caractère sacré de la vie est primordial dans l’Islam dans la mesure où « … tuer une âme non coupable du meurtre d’une autre âme ou de dégât sur la terre, c’est comme d’avoir tué l’humanité entière ; et que faire vivre une âme c’est comme de faire vivre l’humanité entière. » [Al-Coran. 5:32 *]
Donc, ce n’est pas l’Islam qui est en cause, mais il est question de savoir pourquoi l’Islam est en premier lieu au centre d’une telle controverse, alors que nous devrions nous intéresser aux vraies racines de la violence.
Quand l’Islam a été diffusé en Arabie il y a beaucoup de siècles, il était, et en fait reste encore aujourd’hui, une religion révolutionnaire. Il était et reste radical. Certainement le genre de radicalisme qui, si vu objectivement, serait considéré comme un véritable défi à la division de la société en classes, à l’inégalité sous toutes ses formes, et en premier au capitalisme, à son avidité et à sa cruauté.
Pour éviter une discussion intelligente en traitant de vraies questions, beaucoup font de questions qui n’en sont pas le nœud de la discussion. Ainsi l’Islam est traité en liaison avec l’État islamique, les conflits tribaux et sectaires au Niger, la résistance palestinienne à l’occupation israélienne, les questions d’immigration en Europe, parmi bien d’autres cas.
Alors que tant de violence se produit à travers le monde au nom du Christianisme, du Judaïsme, même du Bouddhisme en Birmanie et au Sri Lanka, il est rare que des collectivités entières se retrouvent stigmatisées par les médias. Par contre, tous les musulmans sont jugés par beaucoup directement ou indirectement responsables, lorsqu’un criminel qui s’est avéré justement être un musulman commet un acte violent. Oui, il peut encore être présenté comme « loup solitaire », mais on peut être presque sûr que les musulmans et l’Islam se retrouveront d’une façon ou d’une autre impliqués dans le traitement de l’information par les médias.
Dans leur tentative désespérée de se défendre des accusations, beaucoup de musulmans, souvent sous l’inspiration d’intellectuels et de journalistes sérieux, ont depuis presque deux décennies tenté de distancer l’Islam de la violence et de combattre les stéréotypes. Avec du temps, ces efforts ont abouti à une sorte de constante présentation d’excuses collectives au nom de l’Islam.
Quand un musulman du Brésil ou de Libye réagit à une prise d’otages à Sydney, en Australie, condamne la violence au nom de l’Islam, et essaye de défendre l’Islam et désavoue l’acte violent, la question que l’on peut se poser est : pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi les médias incitent-ils des musulmans à se sentir responsables d’un acte commis au nom de l’Islam, même si c’est par une personne mentalement dérangée ? Pourquoi est-ce que des membres d’autres religions ne se voient pas appliquer les mêmes normes ? Pourquoi les Chrétiens suédois ne sont-ils pas poussés à s’expliquer et à présenter des excuses pour le comportement des seigneurs de la guerre en Ouganda ? Pourquoi des Juifs argentins ne sont-ils pas tenus de s’expliquer sur la violence et la terreur quotidiennes et systématiques dont se rendent responsables les extrémistes juifs à Jérusalem et en Cisjordanie ?
Depuis que Francis Fukuyama a annoncé la « Fin de l’Histoire » en 1992 - révélant que les marchés libres et « les démocraties libérales » devraient régner pour toujours - suivi de Samuel Huntington, supposé en opposition mais toujours aussi vaniteux, avec ses vues sur « le clash des civilisations » et la nécessité « de refaire l’ordre mondial » - une nouvelle industrie intellectuelle a embrouillé beaucoup de monde à Washington, Londres et ailleurs.
Une fois la Guerre froide terminée en succès [occidental], produisant un énorme sens de validation d’un système politique, le Moyen-Orient est devenu le nouveau terrain d’expérimentation pour les idées néo-coloniales et le matériel militaire.
Depuis lors, ç’a été une guerre totale, sous l’incitation ou avec l’implication directe de divers pouvoirs occidentaux. C’est une guerre prolongée et multidimensionnelle : une guerre destructive au sol, une guerre économique (avec des blocus d’une part et une mondialisation et exploitation du marché libre de l’autre), une invasion culturelle (qui a vendu l’idée que l’occidentalisation était synonyme de modernité), complétée avec une guerre massive de propagande visant la principale religion du Moyen-Orient : I’Islam.
La guerre sur l’Islam paraissait particulièrement essentielle, car elle semble unifier une gamme étendue d’intellectuels occidentaux, tous interchangeables, conservateurs, libéraux, responsables religieux et laïques, avec toute une série de justifications :
- L’Islam n’est pas simplement une religion, mais un mode de vie. En diabolisant l’Islam, vous diabolisez tout ce qui s’y rapporte, y compris, naturellement, les musulmans eux-mêmes.
- Le dénigrement de l’Islam, qui culmine dans une large islamophobie, valide les actions des gouvernements occidentaux, bien que celles-ci soient violentes et abusives. La déshumanisation des musulmans est devenue une arme essentielle dans la guerre.
- C’est également stratégique : la haine de l’Islam et de tous les musulmans est un outil très flexible qui rend possible n’importe où une intervention militaire et des sanctions économiques, là où l’Occident a des intérêts politiques et économiques. La haine de l’Islam est devenue un cri de ralliement depuis les avocats de sanctions contre le Soudan jusqu’aux groupes néonazis anti-immigrés en Allemagne, pour ne citer que ceux-là. La question n’est plus le moyen violent employé pour imposer la domination politique et le contrôle de ressources naturelles ; comme par magie, elle a été réduite à un mot simple : l’Islam ! Ou, au mieux, l’Islam et la liberté d’expression, les droits des femmes etc...
Ce n’est donc pas une surprise de lire les commentaires d’un Ian Black dans The Guardian, quelques heures après que des bandits armés aient lancé une attaque mortelle à Paris contre un tabloïd français ce mercredi 7 janvier, commençant par la phrase suivante : « La satire et l’Islam ne font pas bon ménage ensemble… »
Pas un mot sur les différentes formes d’interventions françaises, militaires et autres, au Moyen-Orient ; son rôle destructeur en Syrie ; son rôle déterminant dans la guerre en Libye ; sa guerre au Mali, pour ne citer que ces exemples. Pas même un mot sur la déclaration récente de François Hollande ou il se disait « prêt » à faire bombarder les rebelles libyens, alors qu’il l’avait déjà ordonné quelques jours plus tôt.
Pour sûr, la satire pornographique de Charlie Hebdo et ses attaques contre la personne même du Prophète Mohamed ont été mentionnées, mais peu a été dit - par Black ou de nombreux autres toujours rapides pour faire un lien entre l’actualité et « l’Islam du 7ème siècle » - sur les guerres affreuses et leurs manifestations horribles et choquantes de tortures, meurtres, viols et autres actes indescriptibles qui ont fait et font encore des millions de victimes, avant tout parmi les musulmans. Au lieu de cela, il est question d’art occidental et d’intolérance islamique. Le sous-titre de l’article de The Guardian était : oui, en effet, c’est un « clash des civilisations ».
L’un de ces « intellectuels » a-t-il au moins fait une pause pour réaliser que peut-être, juste peut-être... les réponses violentes à l’humiliation des symboles islamiques sont l’expression d’un réel sentiment politique, disons par exemple : un sentiment collectif d’humiliation, de mal, de douleur et de racisme, répandu à chaque coin du globe ?
N’est-il pas naturel que la guerre qui est constamment exportée de l’Occident vers le reste du monde, puisse finalement être retournée dans les villes occidentales ?
Est-il si inconcevable que les musulmans soient irrités par quelque chose de beaucoup plus subtil et profond que l’art insipide de Charlie Hebdo ?
Tarder à donner la réponse ne fera que freiner toute tentative sérieuse pour trouver une solution, laquelle doit commencer par la fin de l’interventionnisme occidental au Moyen-Orient.
Info-Palestine