"les quartiers ne sont que les révélateurs de problèmes bien plus larges (qui) renvoient à des discriminations ethno-raciales", dans un pays où la diversité peine à grimper l’échelle sociale".
Indifférence à l'émotion d'un pays choqué par les attentats, incidents lors des hommages aux victimes dans les écoles: l'union nationale en France est mise à mal dans des banlieues françaises "fracturées", où la désespérance alimente les craintes de radicalisation des jeunes.
"L'interprétation des attentats a été tout autre dans ces quartiers", affirme Mohamed Tria, président d'un club de football dans un quartier de barres d'immeubles à la périphérie de Lyon (centre-est).
Il est encore "abasourdi" par les réactions d'adolescents "en quête de reconnaissance", tentés de glorifier leurs auteurs jihadistes français. "Ils ne voyaient pas la mort de 17 personnes, mais l'acte de bravoure de ceux tombés les armes à la main. Ils ont de l'admiration pour ces gars-là".
Ce cadre d'entreprise confie n'être "pas surpris" de la faible participation des "banlieues", à forte population immigrée, souvent musulmane, touchée par un chômage massif, aux manifestations qui ont rassemblé près de 4 millions de personnes en France le 11 janvier pour dénoncer la terreur islamiste.
"Les banlieues sont sur le fil, prises entre la révolte et le déni de cette barbarie", met en garde l'association "Ville et banlieue", qui rassemble les maires de 120 villes. Elles "sont aujourd'hui plus que jamais (...) le révélateur et le théâtre de nos fractures, de nos impuissances, contradictions et faiblesses".
Alors que quatre juifs figurent parmi les victimes, le gouvernement socialiste a dénoncé cette semaine un "nouvel antisémitisme" dans les quartiers.
Selon le ministère de l'Education, 200 incidents liés aux attentats ont été recensés sur l'ensemble des établissements scolaires français. La moitié ont perturbé la minute de silence organisée le 8 janvier, au lendemain de la tuerie à Charlie Hebdo. Et "une quarantaine de cas" relevant de l'"apologie du terrorisme" ont été signalés, notamment dans des collèges ou lycées de quartiers sensibles.
"Il faut faire très attention à la lecture territoriale", fait valoir
Renaud Epstein, sociologue à l'université de Nantes (ouest) qui prévient contre tout raccourci entre banlieue et terrorisme, crainte prégnante pour une population redoutant d'être stigmatisée.
Elus, experts ou associations sont unanimes à constater l'échec de 30 années de plans de rénovation urbaine, qui concernent aujourd'hui 1.300 quartiers "prioritaires" dans près de 700 communes où vivent environ 5 millions de personnes.
"On n'a pas pris la mesure de ce qui s'est passé en 2005", estime Mohammed Mechmache, de l'association AC Le Feu, née après des émeutes spectaculaire dans les banlieues à l'automne 2005.
Pour lui, "les habitants ont le sentiment d'être abandonnés, ils se fragilisent, s'enferment et sont à la merci de ceux qui viennent les ramasser à la petite cuillère" - à savoir "les extrémistes de tous bords".
Pour Issa, de Clichy-sous-Bois, point de départ des violences en 2005, l'abandon des quartiers se résume d'une formule: "On est si près de Paris et si loin de tout". "On n'a rien ici, pas de transport, pas de commerces, pas de théâtre, pas de cinéma", renchérit Zouzou, autre habitante.
Les pouvoirs publics se sont lancés dans un nouveau programme national doté de 5 milliards d'euros visant à créer 300.000 emplois sur dix ans.
"Déverser des tonnes de béton, ça ne suffit pas. Il faut de l'humain" souligne Mohamed Tria. "On se réveille d'un coup avec Kouachi et Coulibaly, mais ce sont des enfants de la République qu'on a fécondés. L'intégration à la française, ça ne marche pas".
"Qui enseigne aujourd'hui à ces gamins ce qui est bien et ce qui est mal? Comme on ne leur enseigne plus nos valeurs, d'autres prennent la place et ça marche" pointe-t-il. "La radicalisation religieuse, c'est une conséquence, cela fait partie du repli sur soi". Pour lui, "il est urgent d'agir. Dans les dix ans qui viennent, pour sauver ceux qui peuvent l'être".
Mais pour Renaud Epstein, "les quartiers ne sont que les révélateurs de problèmes bien plus larges (qui) renvoient à des discriminations ethno-raciales", dans un pays où la diversité peine à grimper l'échelle sociale.