Nouvelle bataille de la démocratie contre le carcan néolibéral
Les crises – et celle que traverse l’Europe depuis 2008 ne fait pas exception – agissent comme de puissants révélateurs.
Depuis mercredi soir, la menace de la Banque centrale européenne (BCE) de couper toute alimentation au système financier grec n’est plus une hypothèse – évoquée mardi dans nos colonnes – mais une réalité. Le chantage est limpide: si le gouvernement d’Alexis Tsipras ne renonce pas, courant février, à appliquer son programme, les banques grecques seront privées d’oxygène. Dans le conflit qui oppose Athènes à Berlin – et leurs projets économiques antagoniques –, l’institution dirigée par l’ancien cadre de Goldman Sachs (1), a choisi son camp.
On n’en sera pas surpris. La prétendue neutralité des banques centrales – fiction néoclassique destinée à soustraire la monnaie au périmètre de la démocratie – a tôt fait de disparaître dès que certains intérêts sont en jeu. On a pu l’observer juste après la crise des subprimes, lorsque les banques nationales avaient été sommées d’assainir leurs homologues privées.
Puis, oubliant soudain leur dogme anti-inflation, ces mêmes instituts chargés d’émettre la monnaie l’ont généreusement prêtée, à des taux dérisoires, aux banques privées. Des sommes faramineuses que les financiers ont fait fructifier sur les marchés émergeants ou spéculatifs, relançant ainsi leur profitabilité. Le tout sous prétexte de relancer l’économie réelle locale…
Même la Suisse s’est laissé séduire et, après le sauvetage d’UBS, a de nouveau actionné la BNS, en 2011, lorsque le franc fort commençait à menacer les marges de l’industrie d’exportation. Avant qu’elle ne soit rappelée à la réalité en janvier dernier par de plus gros joueurs.
Or, de deux choses l’une: soit ces instituts ont des tâches de politique économique et doivent être soumis au pouvoir politique, soit ils ne sont que des organismes techniques, juste bons à contrôler l’inflation, et peuvent donc s’émanciper des gouvernements. La réponse, la BCE s’est chargée de nous la rappeler mercredi, en refusant de considérer la valeur des titres grecs, alors même qu’Athènes venait de lever, le jour même, 812,5 millions d’euros à 2,75% sur les marchés financiers.
Le coup est déloyal: Athènes n’avait pris aucune mesure unilatérale pouvant justifier une dévaluation de ses obligations. Il est politique: il vise le talon d’Achille des Grecs, «leurs» banques privées. Il est idéologique: il veut forcer le gouvernement de Syriza à abandonner son plan de sortie de crise pourtant approuvé par les urnes (fiscalité plus juste, lutte contre la corruption, relance de la consommation) et à revenir aux mesures de privatisation-austérité imposées par la Troïka.
Une stratégie d’encerclement, puisqu’elle présuppose que le gouvernement grec n’osera pas reprendre le contrôle de sa banque centrale, voire de l’ensemble de ses établissements financiers, et quitter la zone euro.
En résumé: l’institution d’émission de la monnaie des Grecs s’est retournée contre eux. Tel un quarteron de généraux factieux, l’ex-mercenaire de Goldman Sachs et ses hauts-fonctionnaires se sont dressés contre un gouvernement démocratiquement élu, le menaçant d’un putsch financier s’il ne retrouvait pas «la raison»…
Cette «bataille d’Athènes», comme naguère celle du Chili, dépasse les frontières grecques. Elle est celle de la démocratie contre la toute-puissance du carcan néolibéral. Au-delà de notre solidarité spontanée à l’égard du peuple grec, elle nous concerne toutes et tous.
Source : Le Courrier
1- Rappelons que Mario Draghi s’occupait des dettes souveraines européennes chez Goldmann Sachs au moment où cette banque maquillait les comptes grecs.