Le Caire n’admet plus de faire l’objet de "chantage" dans ses relations militaires avec les Etats-Unis
La conclusion d'un contrat de ventes par la France de 24 avions Rafale à l'Egypte illustre la ferme volonté du Caire de diversifier ses sources d'armements et de s'affranchir de la tutelle américaine, selon des experts.
La France doit signer lundi au Caire sa première vente de Rafale à l'étranger avec l'Egypte. Le contrat porte sur 24 appareils, sur une frégate multimissions FREMM, fabriquée par le groupe DCNS, ainsi que des missiles fabriqués par MBDA, pour un montant de 5,2 milliards d'euros.
L'Egypte était dépendante depuis plusieurs années des Etats-Unis qui allouent chaque année à leur grand allié arabe 1,5 milliard de dollars, dont environ 1,3 milliard en assistance militaire.
Une partie de cette aide avait cependant été gelée en octobre 2013 et conditionnée à des réformes démocratiques après la destitution en juillet par l'armée, alors dirigée par Abdel Fattah al-Sissi aujourd'hui chef de l'Etat, du président islamiste Mohamed Morsi. L'éviction du premier président élu démocratiquement dans le pays avait été suivie d'une terrible répression contre ses partisans.
"Ce contrat est un message implicite aux Etats-Unis leur signifiant que l'Egypte ne va plus compter uniquement sur des approvisionnements américains en armement", estime à l'AFP le général à la retraite Mohamed Moujahid al-Zayyat, expert au Centre régional des études du Moyen-Orient basé au Caire.
Pour cet expert, Le Caire n'admet plus de faire l'objet de "chantage" dans ses relations militaires avec les Etats-Unis. Ces derniers ont, selon lui, "leur propre approche quant à la restructuration de l'armée égyptienne" et "s'opposent à la doctrine de cette armée de continuer à croire qu'Israël est son principal ennemi".
Les Etats-Unis ont assuré vendredi qu'ils n'avaient rien à redire à propos de ce contrat.
Pour Ahmed Abdel Halim, un militaire à la retraite et ancien président du comité de la sécurité nationale au sein du Sénat égyptien, "la diversification des sources d'approvisionnement en armes et en technologie est de nature à dissuader tout pays d'exercer un quelconque monopole sur l'Egypte ou lui faire subir un chantage".
L'Egypte "ne doit pas continuer à être l'otage de la vision américaine", estime cet analyste en référence aux divergences entre les deux pays sur le dossier des droits de l'Homme.
Tourné aussi vers la Russie
Washington a exprimé régulièrement son mécontentement sur la répression menée à partir de 2013 contre les opposants au régime.
Plus de 1.400 partisans de M. Morsi ont été tués dans la foulée de son éviction, plus de 15.000 emprisonnés et des centaines condamnés à mort dans des procès de masse expédiés en quelques minutes et qualifiés par l'ONU de "sans précédent dans l'Histoire récente".
"L'Egypte va acheter des armes des Etats-Unis, de la France, de la Russie et peut-être de la Chine", a pronostiqué Ahmed Abdel Halim.
Alors qu'il était ministre de la Défense, M. Sissi était allé à Moscou en février 2014 rencontrer Vladimir Poutine pour discuter notamment de la livraison d'armements russes à l'Egypte.
En septembre, des médias russes avaient assuré que les deux pays s'étaient mis d'accord sur la livraison de systèmes de défense anti-aérienne, d'hélicoptères et d'avions de combat pour 3,5 milliards de dollars, financés par l'Arabie saoudite. Depuis, plus rien n'a filtré sur le sujet.
Lors d'une visite d'Etat mardi de M. Poutine au Caire, lors de laquelle les deux pays ont signé un protocole d'entente pour la construction d'une centrale nucléaire pour la production d'électricité en Egypte, les présidents égyptien et russe se sont mis d'accord sur la poursuite de leur coopération militaire.
Selon Mathieu Guidère, spécialiste de géopolitique du monde arabe, "l'Egypte va continuer à acheter normalement des armes aux Américains. Mais elle achètera aussi des armes à la Russie comme on l'a compris de la dernière visite au Caire du président russe, ce qui la met dans une meilleure position face aux Etats-Unis".
Depuis le début de la répression de l'opposition, l'Egypte est confrontée à la montée en puissance dans le Sinaï (nord-est) de jihadistes liés au groupe Etat islamique (EI), qui contrôle de vastes territoires en Irak et en Syrie, et craint d'être déstabilisée par le chaos libyen sur son flanc ouest.