23-11-2024 11:51 PM Jerusalem Timing

L’iconoclaste Erdogan ravive les inquiétudes pour l’économie turque

L’iconoclaste Erdogan ravive les inquiétudes pour l’économie turque

Ce serait la fin du miracle turque

L'ère "chinoise" de l'économie turque paraît désormais révolue et ses performances à venir commencent à susciter l'inquiétude des investisseurs, nourrie par des déclarations iconoclastes et à l'emporte-pièce du président Recep Tayyip Erdogan.
   
Illustrée par des pics de croissance de plus de 8% en 2010 et 2011, le spectaculaire bond en avant accompli par la Turquie depuis l'arrivée au pouvoir du Parti de la justice et du développement (AKP) en 2002 constitue une des clés de la longévité de M. Erdogan à la tête du pays et son principal argument de vente pour s'y maintenir.
   
Mais à quatre mois des prochaines élections législatives, la crise de la zone euro, les conflits voisins en Irak et en Syrie ont sérieusement écorné ce bilan.
   
En outre, la persistance de vives tensions politiques au sein du pays a sérieusement refroidi les ardeurs des marchés. D'autant qu'elles impliquent directement le chef de l'Etat, embarqué depuis des mois dans une guerre avec "sa" banque centrale, qu'il accuse de maintenir des taux d'intérêt élevés nuisibles à la croissance.
   
Ses dernières sorties sur ce thème ont contribué à affaiblir la livre turque (LT), tombée cette semaine à un plus bas historique de 2,50 TL pour un dollar avant de se ressaisir.
"Il est difficile de déterminer s'il s'agit d'une posture pré-électorale ou de quelque chose de plus sérieux. Mais cela pose en tout cas le problème de l'indépendance des institutions en Turquie", estime l'analyste William Jackson, de Capital Economics.
   
Outre leur forme, les déclarations du chef de l'Etat ont perturbé les marchés par leur raisonnement économique peu orthodoxe.
 

M. Erdogan a suggéré que les hauts taux d'intérêt maintenus par l'institution monétaire étaient directement responsables de l'inflation persistante (8,17% en 2014), alors que la théorie économique enseigne que la baisse des taux favorise la hausse des prix en accroissant la quantité de monnaie disponible dans l'économie.
 "Le taux d'intérêt est la cause et l'inflation la conséquence. Mais certains de nos amis pensent le contraire. Quelle logique se cache derrière ça ?", a lancé le président.
   
 Fin du miracle
 
Cible préférée du chef de l'Etat, le gouverneur de la Banque centrale Erdem Basci lui a immédiatement et doctement répondu que "la meilleure contribution à la croissance consiste à maintenir la stabilité des prix".
   
Le vice-Premier ministre chargé de l'économie, Ali Babacan, l'une des rares têtes d'affiche de l'AKP qui a gardé la confiance des marchés, a tenté de calmer les esprits en soulignant le risque de faire des taux un "sujet quotidien de polémique politique".
   
Sur le même ton, l'éditorialiste économique du quotidien Hürriyet, Erdal Saglam, a déploré que les positions du président "minent l'avenir économique et politique" du pays en inquiétant les investisseurs étrangers, indispensables à sa bonne santé.
   
Dans ce climat tendu, la Turquie, qui préside cette année aux destinées du G20, qui réunit les plus riches pays de la planète, a rejoint un autre club, celui des pays émergents dont l'économie est un peu trop étroitement liée aux investissements étrangers, les fameux "cinq fragiles" (Brésil, Inde, Indonésie, Afrique du Sud).
"On peut dire que le +miracle économique+ turc des années 2000 est terminé, résume William Jackson. A moins d'une amélioration considérable, je serais surpris de voir la croissance turque dépasser les 3% pendant une durée prolongée."
   
La baisse des prix du pétrole a toutefois apporté une bouffée d'air frais à Ankara, qui importe l'essentiel de son énergie et souffre d'un important déficit de ses comptes courants. Celui-ci a ainsi chuté l'an dernier de 29% à 45,8 milliards de dollars.
   
Mais cette aubaine ne suffira pas. L'agence de notation Fitch's a souligné les "capacités de rééquilibrage" de l'économie turque mais averti que sa résistance serait "mise à l'épreuve en 2015" par la politique monétaire américaine et la situation géopolitique.
   
L'ambitieux objectif fixé par le président Erdogan, qui souhaite faire passer son pays du 18e au 10e rang économique mondial d'ici au 100e anniversaire de la République turque en 2023, paraît donc sérieusement compromis.
   
Un rapport publié cette semaine par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a souligné que l'écart de la Turquie avec la première moitié de ses pays membres "continue de diminuer mais demeure important". Et soumis sa réduction à d'importantes réformes en matière de marché du travail et d'éducation.