24-11-2024 02:44 PM Jerusalem Timing

Les enfants, premières victimes de la destruction de Gaza

Les enfants, premières victimes de la destruction de Gaza

Une enquête menée par Chris Gunness, directeur de l’Agence des Nations Unies pour les secours aux réfugiés de Palestine.

Six mois après l’engagement des donateurs internationaux qui avaient promis des milliards pour permettre à Gaza de renaitre des tourments de la guerre de l’été dernier, l’argent n’a toujours pas été déboursé, ce qui n’arrange en rien le bouleversement des vies et la poursuite désespérée des souffrances.

La violente tempête hivernale appelée « Huda » et qui a frappé la Bande de Gaza au mois de janvier dernier a fait plusieurs victimes ; la plus jeune n’était âgée que de quarante jours. La petite Salma est morte d’hypothermie après que l’eau glaciale de la pluie ait trempé et inondé son petit corps. Elle avait gelé comme de la « crème glacée. »

J’ai rencontré la maman de Salma, Mirvat, ainsi que les quatorze membres de la grande famille dans le lieu-même, c’est-à-dire la pièce, où Salma avait passé sa dernière nuit. La famille vit toujours à Beit Hanoun, au nord de Gaza, dans une minuscule construction en bois, recouverte de plastique. Lorsque j’avais aperçu cette habitation depuis la route, je m’étais dit qu’elle abritait certainement des animaux. Les vents mordants font agiter et claquer sans répit la couverture qui fait office de porte. Il pleut, et l’eau inonde tout l’intérieur. Mirvat retire le tapis trempé qui servait de revêtement de sol et pelle le sable humide en dessous. Les souvenirs de la mort de Salma le 9 janvier dernier sont douloureusement frais.

« Il y avait un violent orage le soir de sa mort. Nous étions tous mouillés mais la plupart ont réussi à trouver le sommeil. La pluie s’est infiltrée et a trempé les couvertures de Salma. Je l’ai trouvée toute tremblante. Son corps tout petit avait gelé comme de la crème glacée. Nous l’avons prise à l’hôpital, mais c’était trop tard, le docteur était venu annoncer la nouvelle de son décès. Mon adorable petite pesait 3.1 kg à la naissance. Elle avait une bonne santé et aurait pu être encore en vie si nos maisons n’avaient pas été bombardées et nous avec, pour enfin atterrir dans un abri pareil. »

Durant le conflit qui s’est abattu sur Gaza l’été dernier, Mirvat, son époux et leurs quatre enfants vivaient, en compagnie de quarante autres membres de leur famille élargie, dans un complexe de cinq immeubles situé à seulement un kilomètre de la frontière avec Israël. Son beau-père, Jibril, était conscient que la vie sur la ligne de front était insoutenable et inappropriée.

« L’odeur de la mort flottait dans l’air. Les enfants étaient traumatisés et souffraient d’insomnies, » m’a-t-elle dit. « Après une semaine de combats, nous avons fui nos maisons où les bombes pleuvaient de partout. Nous avions peur pour nos vies. Au début, nous sommes partis chez mon frère mais l’endroit est vite devenu aussi dangereux que nos propres habitations, c’est pourquoi, nous nous sommes réfugiés dans un hôpital. Ce dernier a été bombardé une heure après notre arrivée, suite à quoi nous nous sommes dirigés vers une école de l’UNRWA [Office de secours et des travaux des Nations Unies.] L’école avait accueilli des milliers de réfugiés, alors qu’elle avait une capacité d’accueil de seulement mille élèves. Une fois la guerre finie, nous sommes venus vivre ici. »

La mort de Salma n’est pas la dernière tragédie dont souffre cette famille de réfugiés. Maes, la sœur du bébé Salma n’a que trois ans et elle est hospitalisée, souffrant de problèmes respiratoires provoqués par un climat rude et rigoureux. « J’ai très peur que Maes meure comme Salma, » s’inquiète Mirvat.
Dehors, j’ai rencontré la belle-sœur de Mirvat. Agée de 28 ans, Nisreen a perdu son fils, un môme de 50 jours, dans l’école de l’UNRWA où la famille s’était réfugiée. « La mort de Moemen était inattendue. Il n’y avait rien que l’on pouvait faire pour le sauver. J’ai senti qu’il était froid. Je l’ai couvert et je l’ai posé pour qu’il dorme. L’enfant dormait sur mes genoux et lorsque je me suis réveillée le matin, il était tout bleu. Moemen était mort. J’ai attendu cinq ans pour avoir un garçon, et voilà qu’il est parti, comme s’il n’avait jamais existé. »

Jibril est un excellent grand-père, même d’après les standards de Gaza. Deux des quatre enfants Gazaouis morts par hypothermie au cours des dernières semaines étaient ses petits-enfants. Il affirme que la guerre lui a volé son passé et son avenir : « Ma maison n’est plus que ruines, complètement rasée. J’ai travaillé dur pendant plus de quarante ans comme agriculteur. Je subvenais aux besoins de ma famille. Sauf qu’en l’espace de quelques instants, tout est parti en l’air. J’ai tout perdu. Ils ont même détruit la parcelle de terrain agricole que je possédais et qui, pendant dix-sept ans, était plantée de citronniers. Là où les bulldozers israéliens passent, l’herbe ne repousse plus. »

Animé de l’esprit d’entreprise, Jibril a été délibérément réduit à la pauvreté et à la destitution. « Mon fils possède un âne pour transporter les pierres et gagne 5 à 10 shekels par jour [£1 à £2] pour subvenir aux besoins de toute la famille. Notre nourriture est principalement constituée de Hubeyza [herbe sauvage consommée comme les épinards] que nous cueillons dans les rues. »
Pour Jibril, la mort de ses petits-enfants incombe principalement aux donateurs qui n’ont pas su respecter leur engagement. « Les donateurs internationaux sont à blâmer, ils ont tué ces bébés, » m’a-t-il dit. « Ils ont promis de débloquer des milliards pour Gaza. Où est cet argent ? Nous avons besoin de maisons, et non pas de promesses. L’UNRWA est à court d’argent et ne peut rien réaliser sans aide financière. »

L’analyse de Jibril est sensée. L’UNRWA, c’est-à-dire l’agence pour laquelle je travaille, a été contrainte de suspendre ce qui aurait pu être un programme de secours et qui aurait pu sauver des vies dans cette famille juste trois semaine plus tôt. Au lendemain de la conférence du Caire du mois d’octobre 2014 et qui s’est soldée par l’engagement de la communauté internationale à consacrer $5.4 milliards pour reconstruire Gaza, nous avons créé un projet de $720 millions. Nous étions convaincus que les engagements généreux allaient nous procurer les fonds, ou du moins c’est ce que nous croyions. Avec cet argent, nous ambitionnions d’accorder des subventions locatives aux personnes dont les maisons sont inhabitables. Nous espérions donner de l’argent aux gens afin qu’ils puissent retaper et reconstruire leurs maisons. Mais les milliards promis n’étaient que des paroles vaines et le programme s’est retrouvé avec un déficit de près de $600 millions.
Aussitôt la suspension de l’aide financière annoncée, la colère des citoyens a éclaté. Le bureau de Gaza du coordonnateur spécial de l’ONU pour le processus de paix au Moyen-Orient a été attaqué. La menace de violence persiste et ça se sent dans l’air, tout comme ce qui s’est passé l’été dernier.
Il ne fait aucun doute que le besoin est énorme et le sentiment de désespoir est palpable et profond. Nous avons fait une estimation des maisons endommagées ou totalement détruites et nous avons recensé environ 10.000 unités d’habitation, et par voie de conséquence, des centaines de milliers de personnes affectées. La plupart de ceux dont les maisons sont encore habitables se sont retrouvés sur des réseaux d’eau et d’électricité qui ne fonctionnent pas.
L’histoire de Gaza est un puzzle et sa reconstruction physique et matérielle n’en constitue qu’une pièce. Si Salma et Moemen avaient survécu, quel avenir leur serait réservé ? La prochaine génération Gazaouie est traumatisée, choquée, brutalisée et maltraitée. Les espaces récréatifs où ils peuvent jouer sont jonchés de quelques 8000 pièces de restes explosifs de la dernière guerre.
L’ONU estime qu’environ 540 enfants ont été tués dans le conflit, la majorité se trouvait chez elle. L’UNRWA n’a pas été en mesure de fournir un refuge sécurisé. Nos écoles ont été la cible directe à sept reprises. Les enfants sont morts à l’intérieur et à l’extérieur des classes et sur des terrains de jeu sous la bannière bleue des Nations Unies.
Chaque enfant Gazaoui, ou presque, a le plus souvent assisté à ce qu’un membre de la famille ou un ami soit tué, blessé ou handicapé pour toujours. Mille des trois mille enfants blessés durant le conflit sont susceptibles de souffrir de déficiences physiques pour le restant de leurs vies. Si Salma et Moemen étaient encore en vie, ils se seraient, une fois adultes, retrouvés dans un marché de l’emploi frappé par un taux de chômage sans précédent grimpant à 47% au troisième trimestre de l’an dernier. Les coupures d’électricité durent en moyenne 18 heures par jour. Environ 90% de toute l’eau de Gaza n’est pas potable.
Et cette situation dans laquelle gît Gaza n’est pas le résultat d’une catastrophe naturelle. Elle est l’œuvre de l’homme, la conséquence de choix politiques délibérés. Et c’est maintenant que d’autres choix, totalement différents, doivent être faits. Quel est l’intérêt de reconstruire un endroit tout en condamnant sa population aux humiliations de la dépendance financière ?
La situation est au bord d’une autre crise majeure avec des implications préoccupantes pour les Palestiniens et les Israéliens. Le financement des opérations humanitaire s’impose de toute urgence, sauf qu’elle ne fera qu’atténuer les pires impacts de la crise.

Les gens à Gaza ont un besoin urgent de changement : ils ont besoin que toutes les parties en conflit respectent leurs engagements en vertu du droit international ; qu’Israël élimine tous les obstacles qui les empêchent de jouir pleinement de leurs droits humains ; que le blocus soit immédiatement levé pour enfin ouvrir la voie aux imports et exports, une étape nécessaire et primordiale pour la relance économique.
Les missiles tirés de Gaza doivent cesser. Il y a besoin urgent d’unir tous les Palestiniens afin que le Gouvernement Palestinien d’Unité Nationale joue pleinement son rôle et assure la gestion et la sécurité de Gaza. Le Quartet pour le Moyen-Orient doit exercer davantage de pressions politiques car l’ère de l’action humanitaire solitaire est révolue.

J’exhorte les donateurs à concrétiser leurs engagements pris lors de la Conférence du Caire et de traduire leur soutien par un versement concret. J’exhorte la communauté internationale à promouvoir et à exiger le respect des lois et du droit international. Plus important encore, les belligérants ont l’obligation de protéger les civils. Tous ceux reconnus coupables de violations doivent être tenus responsables pour leurs actes et traduits en justice.

Une autre crise majeure peut être évitée. Si nous mobilisons les ressources politiques, financières et morales pour sortir de l’impasse, nous pourrons rendre à Gaza son avenir. Certes c’est trop tard pour Salma et Moemen, mais pas pour la génération future, nous avons encore du temps pour agir dans l’intérêt de quelques 950.000 enfants qui ne veulent certainement pas subir le même sort des bébés Salma et Moemen.

Source: Info Palestine