Valls a assuré qu’il ne s’agit en aucun cas d’un "Patriot Act à la française".
"La menace terroriste est au plus haut niveau. Aucun pays n'est à l'abri, aucune société n'est épargnée"... Avec ces mots, le Premier ministre français Manuel Valls a défendu jeudi un projet de loi renforçant les services de renseignement face aux filières terroristes.
L'attentat de Tunis, qui a fait au moins 21 morts, "est une nouvelle alarme qui annonce que le monde a changé. Que plus rien n'est comme avant", a martelé Valls.
Deux mois après les attentats de janvier à Paris, qui ont fait 17 morts, le Premier ministre socialiste a présenté un projet de loi visant à renforcer les moyens des six services de renseignement français dans la lutte antiterroriste.
Selon le texte, ces services pourront infiltrer et surveiller les terroristes potentiels grâce à des autorisations administratives, sans passer par la justice.
Ils pourront effectuer en toute légalité des "interceptions de sécurité" portant sur les contenus des e-mails et des conversations téléphoniques.
Le texte prévoit aussi le recours à de nouvelles technologies permettant aux agents du renseignement de poser micros, balises, caméras partout où ils l'estiment nécessaire.
Ils pourront également avoir recours à des logiciels-espion du type "keylogger", qui enregistrent à l'insu de l'utilisateur d'un ordinateur toutes les frappes effectuées sur son clavier.
Le texte va également permettre "l'utilisation de dispositifs mobiles de proximité", c'est-à-dire des appareils du type "Imsi-catcher", qui interceptent les communications dans un périmètre donné, en imitant le fonctionnement d'un relais de téléphonie mobile.
- 'Pas un Patriot act' -
Face aux défenseurs des droits de l'Homme, qui craignent que ce projet de loi porte atteinte aux libertés individuelles, Valls a assuré qu'il ne s'agissait en aucun cas d'un "Patriot Act à la française", en référence aux lois antiterroristes promulguées aux Etats-Unis après les attentats du 11 septembre 2001.
"La guerre contre le terrorisme, la France la mènera toujours avec la force du droit", a-t-il promis.
La nouvelle loi "sera aussi protectrice des citoyens, car les limites de ce qu'il est possible de faire dans un Etat de droit seront gravées dans le marbre. Il n'y aura plus de zone grise", a assuré le Premier ministre, selon lequel "il n'y aura aucune surveillance de masse".
Il a cependant souligné la nécessité de surveiller plus étroitement les milieux terroristes. En France, "1.900 individus sont concernés par les filières terroristes jihadistes, dont 1.450 pour la Syrie et l'Irak", a-t-il précisé.
"Aujourd'hui, seul un individu sur deux qui arrive en Syrie" en venant de France pour y combattre aux côtés de groupes terroristes "a été préalablement détecté avant son départ", a expliqué le Premier ministre.
"Au niveau européen, on peut redouter que le nombre de combattants rejoignant les groupes terroristes atteigne 5.000 d'ici l'été, peut-être 10.000 à la fin de l'année", a encore dit Manuel Valls.
- Inquiétudes -
Mais les dispositions du projet de loi du gouvernement socialiste ne sont pas sans inquiéter: la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) redoute des "mesures de surveillance beaucoup plus larges et intrusives" que celles existantes. La Ligue des droits de l'Homme a dénoncé "un système potentiellement liberticide".
L'Ordre des avocats de Paris a également exprimé ses craintes "face à un texte lacunaire réalisé sans aucune concertation préalable du monde judiciaire".
Il a déclaré s'associer "à la Commission Nationale Informatique et Liberté concernant son inquiétude face à l'absence de protection des médecins, journalistes et avocats dont les données confidentielles pourraient être désormais librement collectées".
Le gouvernement s'est défendu d'avoir agi sous la pression des attentats de janvier. Il a souligné que la nouvelle loi n'avait pas été élaborée dans l'urgence mais était le fruit d'un travail de "plusieurs mois".
Les attentats du début d'année en France ont cependant accéléré le processus, reconnaissent des experts, des leçons ayant été tirées sur le défaut de surveillance autour des trois terroristes auteurs des attaques qui ont été abattus par les forces de l'ordre.