Il est financé par l’Arabie saoudite
L'écrivain-journaliste algérien Kamel Daoud, auteur du roman "Meursault, contre-enquête", visé par une fatwa en Algérie pour ses positions libérales et laïques, appelle à mener une bataille culturelle contre le "fléau mondial" de l'islamisme radical.
Le finaliste du dernier prix Goncourt a déposé plainte contre l'activiste Abdelfatah Hamadache Ziraoui, qui a appelé en décembre sur sa page Facebook les autorités algériennes à le condamner à la peine capitale et à l'exécuter en public. Le parquet, en revanche, n'a pas déposé plainte ni pris depuis aucune mesure.
Kamel Daoud participait vendredi, au Salon du Livre de Paris, à un débat sur la liberté d'expression au côté du dessinateur Plantu, plus de deux mois après l'attentat meurtrier contre Charlie Hebdo.
QUESTION: Une fatwa émise par un imam algérien pèse sur vous depuis le mois de décembre: pourquoi êtes-vous pris pour cible?
REPONSE: "Je ne suis pas le seul à être pris pour cible: il y a d'autres gens, des pays, des populations, des musées, des touristes. Il s'agit des mêmes raisons: nous faisons face à un fléau mondial qui vise les personnes, la pensée différente, les libertés, la démocratie, la laïcité, tout ce qui est différent d'eux. Nous faisons face à un fascisme et ce fascisme a ses raisons. Les raisons officielles sont l'apostasie, une lecture très radicale de l'islam. Ils ont une vision du monde totalement névrotique, féodale, absurde, qu'ils veulent imposer au monde. Tous ceux qui ne se plient pas à cette vision-là sont à tuer à leurs yeux."
Q: L'imam qui a émis cette fatwa contre vous en Algérie peut-il le faire en toute impunité?
R: "Nous sommes en Algérie dans une situation assez bizarre. J'ai l'impression qu'il y a une sorte d'accord implicite entre le régime et les islamistes. Il y a une +pakistanisation+ de l'Algérie où une classe dominante contrôle l'économie et on laisse la rue, la morale sociale aux islamistes, qui font ce qu'ils veulent. J'ai déposé plainte contre cet islamiste, ce salafiste, mais rien n'a été fait jusqu'à maintenant et nous entamons le quatrième mois.
Entre un accord, au nom de la réconciliation avec les islamistes, et moi, le choix était vite fait. La fatwa date du 16 décembre et j'ai déposé plainte le lendemain. Or, aucune action n'a été déclenchée. Ce salafiste a répété ses menaces sur des télévisions dites privées en Algérie. Il n'a pas du tout été inquiété. A Alger, quand des démocrates manifestent la police descend par milliers, mais lorsqu'il s'agit d'islamistes ils ne sont pas inquiétés."
Q: Que peut-il être fait pour lutter contre l'islamisme?
R: "Il ne faut pas le laisser naître: il faut reprendre l'école, la culture. On ne naît pas islamiste, on le devient. Parce qu'on a été sensible à des thèses de propagande. D'où vient cette propagande? Par qui est-elle soutenue? Il faut des moyens financiers pour financer des chaînes satellitaires des islamistes et l'énorme diffusion de leurs livres. Cet argent vient de l'Arabie Saoudite et de certains autres pays du Moyen-Orient. L'enjeu est sécuritaire, certes, mais il est surtout culturel pour éviter que des gens basculent dans l'islamisme. Avec dix chaînes, peut-on peser face à un empire de mille chaînes qui inondent les banlieues de l'Europe et le monde arabe sans pratiquement aucun contrôle? Le combat est éditorial.
Si les islamistes s'attaquent d'abord à la culture, aux musées, aux livres, aux écrivains, aux intellectuels, ils le font parce qu'ils savent que l'enjeu est d'abord culturel. Dans le monde arabe, la faillite philosophique est immense, quand on n'est pas islamiste et qu'on cherche du sens, on n'a aucune alternative. On n'a rien sous la main pour s'expliquer sa présence au monde, sa sexualité, l'amour, la mort, toutes les grandes questions de l'homme. On n'enseigne rien à l'enfant, rien d'autre que ce que propose une religion et une seule lecture de cette religion."
Propos recueillis par Indalecio ALVAREZ.