Dans une interview à Orient XXI, l’ancien émissaire onusien se livre à une lecture critique du dossier syrien.
En mai 2014, Lakhdar Brahimi avait démissionné de son poste d'émissaire de l'Onu pour la Syrie, après deux années d'efforts infructueux pour mettre un terme à un conflit qui a fait jusqu'ici plus de 215 000 morts depuis mars 2011. Avant de jeter l'éponge, le diplomate algérien avait organisé (en janvier et février 2014, à Genève) les premières négociations directes entre le gouvernement syrien et l'opposition, qui avaient échoué.
Près d'un an après la fin de sa mission, Lakhdar Brahimi se livre à une lecture critique du dossier syrien et de l'échec des efforts diplomatiques pour mettre fin à ce conflit sanglant alors que des voix se font entendre pour souligner que la crise ne pourra être résolue sans inclure Bachar el-Assad dans les négociations (lire ici et ici).
Dans une interview accordée au site d'information Orient XXI, le diplomate estime qu'après des années de guerre, "tout le monde se rend un peu plus compte" du fait que le problème syrien est "extrêmement sérieux". "Mais il semble que les gens qui ont les moyens d'y mettre fin ne soient pas prêts à faire les concessions nécessaires à une solution", souligne-t-il.
Revenant sur sa mission comme émissaire de l'Onu et de la Ligue arabe, M. Brahimi impute notamment son échec à l'obstination des protagonistes, régime et opposition, ainsi que leurs soutiens respectifs dans la communauté internationale. Tout le monde, selon lui, ne visaient qu'une "victoire finale". "Ni (le régime) ni (l'opposition) n'envisageait une autre solution que celle consistant à imposer son point de vue", déplore-t-il.
Lakhdar Brahimi, qui a rencontré plusieurs fois le président syrien lors de sa mission, le décrit comme un homme "rationnel". "Il n'est pas suicidaire mais il a une certaine conception de l'Etat, du pouvoir", estime-t-il. Le diplomate ajoute que le Bachar el-Assad est "très bien informé" de la situation et que rien ne lui est caché.
Dans l'entretien à Orient XXI, M. Brahimi revient également sur le rôle joué par les pays occidentaux depuis le début du soulèvement et estime qu'ils se sont tous trompés. "Enfin, nous nous sommes tous trompés. Tout le monde s'est trompé lamentablement à chaque fois, pas seulement en Syrie", dénonce-t-il.
A la différence des Occidentaux qui misaient sur un effondrement rapide du régime syrien, poursuit le diplomate, "les Russes ont dit depuis le début que la Syrie était différente des autres pays et que le régime allait résister". Selon lui, Moscou analysait mieux la situation car les Russes sont "bien implantés en Syrie", contrairement aux Occidentaux, qui n'avaient avant la crise qu'une "présence superficielle" dans le pays.
A une question sur la montée en puissance du groupe Etat islamique (en Syrie et en Irak) et son impact sur le cours des événements, M. Brahimi rappelle que l'EI existait bien avant qu'il ne fasse la "une" de l'actualité, comme organisation irakienne émanant d'el-Qaëda. "Mais on ne regardait pas dans cette direction (...) parce que tout le monde était concentré sur le fait de se débarrasser du régime de Bachar el-Assad", note-t-il.
Commentant l'offensive militaire menée par la Coalition internationale contre l'EI en Irak et en Syrie, M. Brahimi estime que cette mission est vouée à l'échec "si les bombardements aériens ne font pas partie d'un véritable plan politique" pour les deux pays. "Dans une certaine mesure, on est en train d'aider Bachar el-Assad", remarque-t-il.
Et Lakhdar Brahimi d'affirmer : "Il faut qu'il y ait un changement en Syrie, et qui ne soit pas seulement cosmétique. Quand et comment cela va arriver, je ne le sais pas, mais j'ai l'impression que cela arrivera".
Source: Orient XXI