24-11-2024 12:06 AM Jerusalem Timing

Frictions entre Erdogan et son gouvernement

Frictions entre Erdogan et son gouvernement

Les observateurs montrent du doigt la volonté d’Erdogan de conserver les rênes du pays et de modifier la Constitution, après les législatives, pour renforcer les pouvoirs de sa charge, très protocolaires.

 Simple couac ou vraie fracture ? Depuis quelques jours, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et son gouvernement se déchirent sur la place publique autour du dossier kurde, suggérant des tensions inédites au sein du régime à la veille des législatives.

De mémoire d’observateur de la vie politique turque, c’est du jamais vu. Par deux fois au cours du week-end, l’influent vice-premier ministre Bülent Arinç s’est permis de remettre sèchement à sa place  Erdogan, qui critiquait la façon dont l’exécutif gère le délicat dossier des pourparlers de paix avec la rébellion kurde.
 
« Nous aimons notre président, nous connaissons ses forces, nous apprécions les services qu’il a rendus. Mais n’oubliez pas qu’il y a un gouvernement dans ce pays, a lancé  Arinç. Le gouvernement est le seul responsable du processus de paix. »
 
Pour la deuxième fois en un mois, le chef du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) Abdullah Öcalan a souhaité samedi, dans un message lu pour le Nouvel an kurde, que son mouvement mette fin à la guérilla qui a déjà fait 40000 morts depuis 1984.Mais il s’est contenté de demander la réunion d’un congrès pour décider de désarmer, sans calendrier, loin des attentes des autorités d’Ankara.
 

Frustration
 
Depuis quelques jours,  Erdogan a manifesté sa frustration en critiquant ouvertement le gouvernement du premier ministre Ahmet Davutoglu, jugé trop conciliant avec le PKK. Lundi, le chef de l’État a répété qu’il s’opposerait à toute nouvelle initiative sur la voie de la paix tant que le PKK n’aurait pas déposé les armes. Et surtout qu’il entendait bien rester le maître du jeu.
 
« Le processus de paix a commencé sous ma responsabilité […] Il est parfaitement de mon droit et de mon devoir d’exprimer mon opinion. Je suis le chef de l’État. À chacun sa place », a-t-il souligné.
 
La tension est encore montée d’un cran lundi lorsque le maire d’Ankara, Melih Gökçek, un fidèle du président habitué des coups de sang, a appelé  Arinç à démissionner en l’accusant d’être lié à l’imam Fethullah Gülen, l’ennemi numéro 1 du régime. « Nous ne voulons pas de toi, Bülent Arinç », a écrit  Gökçek sur Twitter. Piqué au vif, Bülent Arinç a vivement réagi. Il a dénoncé le manque de « moralité » du maire de la capitale turque et l’a accusé de corruption.
 
Le bureau du procureur d’Ankara a ouvert mardi une enquête préliminaire pour vérifier les accusations que se sont lancées à la figure les deux personnalités.
 

Et les commentateurs…
 

Ces échanges au sommet ont enflammé les commentateurs, qui y ont vu le signe d’une fracture entre  Erdogan, qui fut premier ministre de 2003 à son élection à la présidence en août, et son successeur à la tête du gouvernement, Ahmet Davutoglu.
 
La démission récente du tout-puissant chef des services spéciaux, Hakan Fidan, avec le feu vert de  Davutoglu, puis son retour à son poste sur l’insistance de  Erdogan ont déjà nourri le scénario d’un malaise au sein du couple exécutif.

L’éditorialiste du quotidien progouvernemental Yeni Safak s’est ouvertement inquiété lundi de ces querelles internes « jamais vues. Les masses ont préféré l’AKP [Parti de la justice et du développement, au pouvoir] parce qu’il était un symbole de stabilité », a écrit Abdülkadir Selvi. « Ce symbole est en train de disparaître. »
 
Au coeur des frictions, les observateurs montrent du doigt la volonté d'Erdogan de conserver les rênes du pays et de modifier la Constitution, après les législatives, pour renforcer les pouvoirs de sa charge, très protocolaires. Le chef de l’État a longtemps poussé les feux de la paix avec les Kurdes avec l’objectif de rafler les voix de l’électorat kurde et d’atteindre la majorité des deux tiers des députés indispensable à sa réforme constitutionnelle. Mais depuis quelques semaines, il a été contraint de muscler son discours pour ne pas perdre le soutien des nationalistes.
 
« Les derniers sondages montrent que l’AKP n’aura sûrement pas la majorité requise pour changer la Constitution et ça provoque des tensions internes, a commenté le politologue Cengiz Aktar, de l’université privée Sabanci d’Istanbul. Mais je reste très sceptique sur l’existence de vraies divergences. Erdogan reste le maître du jeu. Davutoglu n’existe pas sans lui et il le sait. »