Des proches des victimes, dont certains n’auront jamais de corps à mettre en terre, affluent de tout le pays.
Sur les rives du Tigre, la cire des bougies recouvre peu à peu le mur imbibé du sang des centaines d'Irakiens assassinés par les terroristes, transformant les lieux du massacre en un site de pèlerinage.
Une pierre tombale a été érigée à l'endroit où les miliciens du groupe Etat islamique (EI) ont aligné les jeunes recrues enrôlées pour les combattre, les ont abattu d'une balle en pleine tête, et les ont, un par un, jetés dans les eaux du fleuve qui traverse Tikrit.
Deux semaines après la reprise de la ville par les forces gouvernementales soutenues par des groupes paramilitaires, plus de 10 charniers ont été découverts et les restes des victimes ont été envoyés à Bagdad dans l'espoir de réussir à les identifier.
Et le site principal du "massacre de Speicher", du nom de la base militaire où les victimes ont été enlevées, accueille chaque jour des dizaines d'Irakiens venus se recueillir.
Des proches des victimes, dont certains n'auront jamais de corps à mettre en terre, affluent de tout le pays.
Ils se précipitent sur l'étroit quai qui borde le siège de la police fluviale, dans le complexe présidentiel que Saddam Hussein avait fait construire à Tikrit, dans sa région natale.
Des religieux, des étudiants, des artistes, font aussi le voyage vers ce qui est devenu le symbole de l'une des pires exactions de l'EI, mais aussi de la lutte contre les terroristes.
La publication par les terroristes de photos et vidéos du massacre avaient - couplées à l'appel du grand Ayatollah Ali al-Sistani, plus haute autorité religieuse chiite en Irak - joué un rôle essentiel dans l'enrôlement des milliers de chiites auprès des forces irakiennes.
Symbole
"C'est ici que le sang des martyrs a coulé, cela devrait devenir un musée pour tous les Irakiens, un symbole de fierté", souhaite Cheikh Dargham al-Juburi , un représentant de l'Ayatollah Sistani, venu prier devant le petit mémorial de marbre.
Il va jusqu'à établir un parallèle entre ce mausolée improvisé et la ville sainte de Kerbala (sud).
Quelques jours plus tôt, s'exprimant exactement au même endroit, Moïn al-Kadhimi, l'un des chefs de Badr - à la fois parti politique et l'une des plus puissantes forces chiites d'Irak - avait promis de préserver le site.
"Nous allons restaurer cette zone pour qu'elle devienne un symbole des crimes commis par ces Dawaech (combattants de l'EI) et leurs alliés...pour que cela reste comme une marque honteuse sur leurs visages pour toujours", y a-t-il expliqué.
Chargé de surveiller le site, Kadhim Abdulhassan, un membre du groupe paramilitaire Ketaeb Jund al-Imam, a lui-même perdu son cousin dans le massacre.
Le jeune homme faisait partie des quelque 1.700 recrues enlevées par l'EI en juin 2014, lorsque les terroristes à la faveur d'une offensive éclair, ont saisi des pans entiers du territoire irakien, multipliant les atrocités.
Chaque jour, il vient s'assoir sur la chaise de jardin décrépie installée pour lui sur un balcon surplombant la stèle de marbre recouverte de bouquets de fleurs en plastique et de bougies.
Son arme dirigée vers le fleuve, il laisse vagabonder ses pensées, entre tristesse et revanche.
"Je pense à eux. J'ai passé des nuits entières à pleurer", explique-t-il, un bandeau vert glissé dans les pans de sa veste de treillis.
De plus en plus de personnes affluent à Tikrit, affirme Abdulhassan, dont la vie est désormais liée à ce bout de rive.
"Cet endroit sera en moi jusqu'à ma mort. J'espère y amener ma femme et mes enfants un jour, parce que c'est sacré".