Les alliés de l’Arabie saoudite dans la tempête décisive sont tous sans exception des alliés hypocrites opportunistes, leurs intérêts sont financiers ou géopolitiques
Ces lignes tentent de répondre à deux questions principales mais, auparavant, je souhaite exprimer mon dégoût pour les mensonges diffusés par la plupart des médias. Une nouvelle fois, l’opinion publique est victime d’une manipulation médiatique mensongère. Sans être exhaustive, cette manipulation peut être résumée en plusieurs points :
1) Les Houthis au Yémen sont-ils chiites et quelle est la vérité historique sur ce point ?
Les Houthis sont partisans de Zaid Ibn Ali, considéré comme le cinquième imam chez les musulmans chiites et c’est pourquoi, depuis des siècles, ils sont appelés les Zaydites. Une partie des enseignements religieux dans lesquels s’inscrivent leurs convictions se trouve chez les Sunnites. Les Zaydites par exemple ne partagent pas avec les chiites majoritaires ( duodécimains) le grand principe du retour du douzième imam disparu vers 873 (Al-Mahdi). Leur approche sur les 3 premiers Califes qui ont dirigé la communauté musulmane après la mort de prophète Mohammed est différente de celle des chiites musulmans majoritaires, ils ne croient plus au besoin de la présence d’une autorité religieuse chiite pour tous les chiites dans le monde. Pour eux, dans chaque pays, on peut choisir un imam pour la communauté. D’autres points peuvent être avancés pour expliquer que les Zaydites ne sont pas tout à fait des chiites même s’ils partagent avec ceux-ci la croyance de l’importance de la place accordée à la famille d’Ali (quatrième Calife et cousin de prophète).
Le nom Houthis (Zaydites) est très récent dans l’histoire du Yémen. C’est en 2001 que ce nom est utilisé par les médias et il s’agit alors de désigner les partisans de Hussein Badreddin AL-Houthi. D’autre part, les Zaydites ont gouverné le Yémen à partir de 898. C’est avec l’arrivée des militaires en 1962 et la création de la république arabe du Yémen, que le pouvoir de l’Imamat des Zaydites a connu sa fin.
2) les Houthis sont-ils hostiles au régime saoudien et aux monarchies du Golfe parce qu’ils sont alliés de l’Iran ?
Dans les années 60, l’Egypte de Nasser a envoyé ses troupes au Yémen pour donner un coup de main aux insurgés républicains qui voulaient abattre le régime de l’Imamat dirigé depuis des siècles par les Zaydites. Ce régime était basé sur un système tribal féodal et rétrograde. Les Zaydites (aujourd’hui les Houthis) ont combattu les troupes de Nasser avec l’aide militaire saoudienne, ils étaient les principaux alliés de la monarchie saoudienne contre le nationaliste arabe de Nasser. Oui, pour la monarchie saoudienne, les amis et alliés d’hier sont les ennemis d’aujourd’hui. Les Houthis, quant à eux, n’ont pas changé depuis les années 60 dans leurs croyances religieuses. Les intérêts et les alliances saoudiens ne sont plus les mêmes, c’est bien ça qui change dans les rapports entre les deux parties.
Que cherchent les Houthis ? Deux choses : avoir un allié régional et avoir leur place dans un nouveau système politique yéménite. Il faut reconnaitre que, depuis les années 60, les Zaydites (Houthis) et leurs régions sont complètement ignorés et marginalisés par le pouvoir central à Sanaa.
L’Iran est le seul pays qui leur apporte son soutien pour des raisons sans doute géopolitiques. En tant que puissance régionale importante et montante, l’Iran cherche à s’assurer la présence d’acteurs régionaux à ses côtés et non d’adversaires, c’est une approche politique et pragmatique de sa part.
3) Le président Mansour Hadi est le seul qui représente la légitimité au Yémen.
Revenant sur les événements de contestation contre le régime du Président Ali Saleh de 2011 à 2013, l’objectif de cette révolte très populaire dans laquelle les Houthis étaient très mobilisés est de renverser le régime en place depuis 1978. Néanmoins l’Arabie saoudite, sous la bannière du conseil de coopération du Golf (CCG) est intervenue pour proposer de remplacer Ali Saleh par le vice-président ( Mansour Hadi), la durée du mandat étant fixée à 2 ans. Pendant cette période, un dialogue inter-yéménite dirigé par Mansour Hadi doit préparer et mettre en place un autre régime politique dont les bases doivent être acceptées par les différents partis dont Ansarullah (Parti politique des Houthis). L’objectif saoudien est double : d’un côté, éviter l’arrivée au Yémen d’un régime politique hostile à la politique régionale de la monarchie saoudienne et, de l’autre, maintenir ce pays dans le jardin arrière de l’Arabie saoudite sur le plan géopolitique, un peu comme ce fut le cas pendant longtemps de certains pays d’Amérique latine vis à vis des U.S.A.
Depuis deux ans, les partis yéménites sont en dialogue sur les bases de l’initiative saoudienne sans arriver à un accord. Sur place, les Saoudiens ont mené une politique renforçant leurs alliés comme le président Hadi, le parti de la réforme (Section des Frères musulmans au Yémen) et une partie des tribus yéménites. Cette politique de soutien logistique (armes et financements) visait l’affaiblissement des Houthis et d’autres mouvements comme le parti de l’ex-président Ali Saleh. Situation inacceptable pour les Houthis qui les a poussés à prendre le pouvoir par les armes. Ils sont arrivés à contrôler la capital Sanaa mais cette prise de pouvoir ne concernait pas l’ensemble du territoire yéménite. La partie du sud du pays étant restée en dehors de leur contrôle, ils ont projeté de continuer leur avancée territoriale et, depuis lors, les combats n’ont pas cessé contre leurs opposants soutenus par l’Arabie saoudite.
L’intervention de l’Arabie et de ses alliés vise à renverser la réalité favorable militairement aux Houthis et à leur principal allié l’ex-président déchu Ali Saleh car ce dernier contrôle encore l’essentiel des unités de l’armée yéménite. Il s’agit donc de créer une nouvelle réalité qui ramène le Yémen sous le contrôle total de la monarchie saoudienne.
Les alliés de l’Arabie saoudite dans la tempête décisive (nom donné à l’agression saoudienne) sont tous sans exception des alliés hypocrites opportunistes, leurs intérêts sont financiers ou géopolitiques. Pour certains, l’aide financière saoudienne explique leur adhésion, pour d’autres, l’objectif d’une nouvelle alliance régionale large est d’être présents. Ces pays sont La Jordanie, l’Egypte, les Emirats arabes, le Qatar, le Bahreïn, la Turquie, le Pakistan, le Soudan, le Maroc et les différents mouvements de frères musulmans derrière lesquels se trouvent évidement les Etats Unis qui ont affiché leur soutien logistique aux bombardements.
La guerre au Yémen cache la confrontation entre l’Arabie saoudite et l’Iran, deux pays qui se trouvent chacun dans une alliance régionale différente et qui tentent de renforcer leur influence au Yémen. dont la place géographique contrôlant le détroit de Bab Al-Mandeb , passage obligé vers le canal de Suez, le Yémen peut menacer le passage d’une partie importante du commerce mondial dont 40% de l’exportation pétrolière des pays du Golf.
L’offensive saoudienne a permis de mettre en place une alliance composée par des acteurs dont certains ont été en désaccord sur certains dossiers régionaux comme ceux de la Syrie et de l’Irak. Quant au Soudan, la Turquie et le Qatar, ces pays représentent un grand soutien aux groupes islamistes malgré le fait qu’ils ne partagent pas la même approche avec l’Arabie saoudite et l’Egypte vis-à-vis des mouvements islamistes comme les frères musulmans.
Une autre recomposition régionale et internationale est possible et souhaitée par les Américains. Il s’agirait de repositionner les forces en place dans la région et d’accorder une place au Frères musulmans en créant une alliance plus large. Les Etats Unis ne sont pas hostiles à l’arrivée au pouvoir des mouvements islamistes dits modérés tels que les frères musulmans, comme ils l’ont déjà montré lors des expériences tunisienne et égyptienne. Ils ont échoué en Syrie à renverser le régime du président Assad qu’ils n’ont pas pu abattre malgré tous les soutiens apportés par les pays de la région et les puissances internationales. La défaite amorcée en Irak de l’Etat islamique (Daesh) les amène à revoir de nouveau leur stratégie et ils ont donc besoin d’une grande alliance comme celle qui s’est organisée pour le Yémen et qui serait plus prometteuse pour faire face à l’axe regroupant l’Iran, la Syrie, l’Irak officiel, Hezbollah au Liban et certains organisations palestiniennes.
La guerre au Yémen, de par la configuration géographique, est une guerre géopolitique. Les Yéménites ont toujours su résister aux envahisseurs, c’est une réalité de l’histoire que la force des pétrodollars des monarchies du golfe ne suffit pas à modifier. L’hésitation saoudienne à lancer une agression terrestre prouve les craintes saoudiennes de se retrouver dans un nouveau brasier régional et ces craintes sont renforcées par l’absence de candidats prêts à mener des troupes au sol.
Source : Investig’Action