Quels scénarios pour l’Arabie alors que des voix au sein de la famille royale appelent à la désobeissance?
Le roi Selmane d'Arabie saoudite a procédé à des changements inattendus au sein du gouvernement du pays et dans l'ordre de succession au trône: ainsi il a décidé de nommer son cousin Mohamed Ben Nayef comme prince héritier. Ce dernier occupe le poste de ministre de l'Intérieur et est connu comme un fervent combattant du terrorisme et un proche ami des USA.
Le fils du roi, Mohamed Ben Selmane, passe également deuxième sur la liste des héritiers.
Quant au prince Mokrin, demi-frère du roi, il a perdu sa place d'héritier conformément à la déclaration du tribunal royal.
Et si certains observateurs estiment que le roi cherche ainsi à consolider le pouvoir entre les mains de la troisième génération de la dynastie royale. A vrai dire, la situation au sein de la famille royale est beaucoup plus complexe et les décisions du roi Salmane reflètent de sérieux enjeux géopolitiques d'ordre interne.
Ainsi, selon le fameux twitter saoudien « Mujtahed », Mohammad Ben Salmane et Mohammad Ben Nayef ont décidé d’agir très vite afin de couper la route à ceux qui pourraient essayer de saboter ce transfert ou de s’y opposer, d’où l’annonce des ordres royaux à l’aube. Vers 23 heures, Mohammed Bin Salmane a demandé à Majed alQasbi et Mousaed alAyban de convaincre le comité d’allégeance des nouvelles décisions du roi et le résultat était:
-Parmi les plus importants princes qui ont accepté, Meshaal bin Abdelaziz, qui a empoché des milliards en échange.
-Parmi les opposants, citons les fils d'Abdulaziz : Ahmed , Abdallah , Mamdouh, Metaab,Talal, Bandar, Abdulrahman et Turki , jusqu’à nouvel ordre.
D'ailleurs, le prince Talal s'est exprimé sur son compte Twitter et a refusé d'obéir aux ordres du roi Salmane l'accusant d'avoir violé la chariaa islamique:
«Je suis surpris de constater des décisions qui ne se conforment pas avec notre religion ni avec les lois de l'Etat et je l'ai déjà mentionné dans ce site Web qui nul obéissance envers ceux qui violent la chariaa islamique", a-t-il écrit.
Il a appelé à "une réunion générale avec les fils d'AbdulAziz et leurs petits-enfants ainsi quelques-uns des dignitaires religieux, certains membres du Conseil de la Choura, certains hauts-fonctionnaires d'Etat afin d'étudier la situation".
-Dans les rangs des petits-fils , les principaux opposants sont Meshaal Ben Saoud, Mohammad Ben Fahd, Mohammad Ben Saad et Khaled Ben Sultan.
Toutefois Mujtahed n’exclut pas des changements de positions parmi les opposants en échange de grosses somme d'argent.
Cela dit, selon le spécialiste dans les affaires de la famille royale saoudienne, Fouad Ibrahim, ce qui se passe n'a rien d'une tentative de transfert du pouvoir de manière douce mais plutôt d'une tentative de concentration du pouvoir entre les mains d'une seule branche de la famille royale.
Dans son dernier article publié dans le quotidien libanais alAkhbar, l'expert saoudien souligne que la famille royale est menacée par une véritable crise politique.
Et la preuve, d'après lui, est que depuis la mort du roi Abdallah ben Abdelaziz, trois séries d'ordre royal ont été émises par son successeur le roi Selmane (la première était le jour de la mort du roi Abdullah le 22 Janvier et la seconde le 29 Janvier): des ordres qui traduisent une politique systématique pour s'accaparer l'héritage du feu roi Abdallah.
L’enjeu géopolitique interne :
Or, ces trois séries d’ordre ne se limitent point à la forme du pouvoir, mais touchent la structure du pouvoir voire son essence.
Car sous le titre d’un transfert du pouvoir à la jeune génération afin de justifier la nomination de Mohammed bin Nayef et Mohammed bin Selman à deux postes-clés près du trône, les ordres royaux visent au fond à concentrer le pouvoir entre les mains d’une seule branche royale saoudienne en marginalisant les fils adultes des princes de l'aile royale des Sudairy (Fahd, Sultan, Ahmed ..) et aussi de celle de Abdullah (Metaab, Turky, Abdul Aziz ..), sans compter les milliers de princes de la famille royale qui se sont retrouvés hors de l'équation du pouvoir.
Ce qui est sûr c’est que la mise à l’écart du prince Mokren , a fait de Salmane un roi absolu qui gère à lui seul le pouvoir, capable d'écarter aujourd’hui et dans l'avenir tout concurrent potentiel venant de la branche d'Abdallah ou venant de toute autre branche de la famille royale des alSaoud.
Selon un observateur, si le défunt roi Abdallah manipulait le pouvoir comme un maitre en jeux d'échecs, son successeur le roi Salmane manipule le pouvoir comme un bulldozer.
L’enjeu du Yémen :
Les développements au Yémen ont contribué eux aussi dans l'éxacerbation des différends au sein de la famille royale avec notamment l'émergence de signes d'opposition de la part de certains princes contre l’option militaire. Surtout que depuis le début de l’agression saoudienne contre le Yémen, le ministre de la défense ,Mohammed Bin Selmane s’est octroyé le pouvoir de décider à lui seul de la guerre et de la paix.
Toujours selon alAkhbar, la résolution de l’ONU 2216 concernant le Yémen et adoptée sous le chapitre VII, indique que les princes saoudiens sont divisés entre eux sur le Yémen, au point qu’il était devenu urgent de changer la «Tempête décisive » en « Instauration de l’espoir », une sortie stratégique pour éviter de glisser dans le bourbier du Yémen, surtout que l'Egypte et le Pakistan avaient clairement signifié qu’ils ne comptaient pas participer dans une opération terrestre contre le Yémen.
Se référant à un article de Raghida Dergham, publié dans le quotidien à capitaux saoudiens alHayat et dont le propriétaire n’est autre que le prince saoudien Khaled Ben Sultan, Fouad Ibrahim rapporte que certains princes Al-Saoud ont accusé l’opération « Tempête décisive » d’être hative, voire qu'elle n’a pas élaboré un plan pour une opération terrestre contre le Yémen ni prévu aucun plan B en cas de non-disponibilité des armées de terre. Dergham a ajouté que le roi Salmane a décidé de la guerre alors qu’il ne connait pas toutes les règles de la guerre, ce qui remet en cause la stratégie militaire saoudienne dans cette guerre.
A vrai dire, Fouad Ibrahim souligne à travers l’article de Dergham que cette dernière n’a fait qu’écrire un résumé de la réunion qui a eu lieu entre Khaled ben Sultan et d'autres princes et dans laquelle ils ont vilipendé la politique du ministre de la Défense Mohammed bin Salmane ..
Or, pour contenir les répercussions de l'échec de l'agression contre le Yémen, une cohésion sur le front intérieur est exigée surtout quand il s’agit d'arrêter une guerre qui n’a réalisé aucun de ses objectifs. Certes, dans des conditions normales, les décrets royaux sont normaux, mais quand ils sont émis en temps de guerre ils reflètent une crise interne nécessitant une action urgente comme ce qui s’est passé.
La personnalisation du pouvoir :
Tous les ordres que le roi Salmane a émis ont un caractère personnel voire ils transgressent les lois en vigueur en imposant une loyauté pour lui uniquement de manière personnelle plutôt que pour la famille royale. Cela est apparu clairement dans la deuxième série des ordres royaux où les ministres ont choisi la loyauté envers lui et envers son fils Mohammed Ben Salmane, loyauté d'ailleurs reconfirmée aujourd’hui par cette troisième série.
A titre d’exemple, Adel al-Jubeir, le nouveau ministre des Affaires étrangères, a outrepassé les règles de la fonction des ambassadeurs en envoyant ses rapports au roi directement, sans passer par son responsable direct soit le ministre des affaires étrangères Saoud al-Fayçal, renforçant ainsi l'idée de la loyauté personnelle envers le roi.
Renforcer la relation avec les Etats-Unis :
En observant les ordres du roi Salmane, on peut conclure que ce dernier s’est engagé avec les États-Unis dans une série de réajustements au sein du pouvoir sur la base d’une sélection de personnes proches de Washington (comme le ministre de l'Intérieur Mohammed Bin Nayef et le ministre des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir).
En fait selon Fouad Ibrahim, le roi Salmane veut prouver à Washington que contrairement à ses prédécesseurs , il est disposé à tout faire pour restaurer l'alliance stratégique entre Riyad et Washington, et les nouveaux visages qu’il a fait venir confirment cette tendance .
Autrement dit, les dossiers internes et externes de la famille royale sont désormais entre les mains des Américains.
Quels scénarios pour l’Arabie ?
Les scénarios possibles pour la prochaine phase s’inscrivent dans le même contexte initié par le roi Salmane depuis les premières heures de son accession au trône, soit deux:
Premièrement, le roi décide de se retirer du pouvoir et nomme Mohammed Ben Nayef comme successeur alors que Mohammed Ben Salmane devient le prince héritier. Il présidera néanmoins le conseil royal de la famille afin d'assurer un transfert de pouvoir en douceur sans éclatement de futurs désaccords.
Deuxièmement, la suppression du ministère de la Garde nationale avec la mise à l'écart du prince Metaab et la suppression de son poste de ministre de la garde, car il sera rattaché au ministère de la Défense assumé par Mohammed ben Salman, et Metaab se verra octroyer un poste honorifique.
Cela dit, l’ordre royal de transférer la Garde nationale à la frontière était intentionnel, dont le but était d’une part d'éviter toute réaction de la part du prince Metaab suite aux nouveaux décrets royaux, et d’autre part pour placer la Garde nationale sous l'autorité du ministre de la Défense.
Dans ce contexte, on comprend mieux le message du président américain Barack Obama au prince Metaab visant à contenir toutes réactions inattendues de la part d’une branche familiale qui s’est retrouvée en un temps record mise hors circuit..