Une loi jugée "liberticide" par ses opposants.
Les députés français devraient approuver mardi un projet de loi sur le renseignement, défendu par le gouvernement au nom de la lutte contre le terrorisme, en dépit d'oppositions de tous bords face à un "texte liberticide".
Fait inédit, le président François Hollande a annoncé qu'il saisirait le Conseil Constitutionnel au terme de la discussion parlementaire (qui doit encore se poursuivre au Sénat) pour apporter la "garantie" que ce texte élaboré après les attentats jihadistes de janvier à Paris est "bien conforme" à la loi fondamentale.
Cela n'a pas suffi à calmer les craintes qui s'exprimeront lundi lors d'un rassemblement de protestation contre l'instauration "de méthodes de surveillance lourdement intrusives".
Le thème de la manifestation prévue à 18H (16H GMT) aux abords de l'Assemblée nationale est "24 heures avant 1984", allusion transparente au roman de George Orwell décrivant un régime de surveillance généralisée.
Parmi les contestataires, l'extrême gauche mais aussi les écologistes et une multitude d'associations dont Amnesty International.
Le projet de loi définit à la fois les missions des services de renseignement (de la prévention du terrorisme à l'espionnage économique) et le régime d'autorisation et de contrôle de l'utilisation de certaines techniques d'espionnage (écoutes, pose de caméras ou de logiciel-espion, accès aux données de connexion, etc.).
Le Premier ministre Manuel Valls a rejeté les accusations de "loi de circonstance" après les attentats, soulignant que la précédente loi sur les écoutes remontait à 1991 "quand il n'y avait ni téléphone portable ni internet".
Pour autant, le gouvernement a fait de la menace terroriste un argument à l'appui de son texte. Après la découverte fortuite d'un projet d'attentat le 19 avril, le Premier ministre a ainsi jugé qu'il "aurait donné plus de moyens aux services de renseignement pour effectuer un certain nombre de surveillances".
L'homme soupçonné d'avoir projeté un attentat contre une église catholique à Villejuif, près de Paris, ne faisait pas l'objet d'une surveillance étroite des services de renseignements, malgré quelques indices pouvant laisser penser à une radicalisation.
L'adoption du texte à une large majorité ne fait guère de doute dans la mesure où de nombreux députés de droite ont indiqué qu'ils le voteraient, suivant en cela la position de l'ancien président Nicolas Sarkozy.
Mais les débats à l'Assemblée se sont révélés moins consensuels que prévu. Hervé Morin, l'ancien ministre de la Défense de Nicolas Sarkozy a déploré "la création de grands +filets dérivants+ collectant de l'information infinie". Le Front national de Marine Len Pen s'est également dit opposé à un "flicage généralisé".
'Boîte noire'
A gauche, les députés Front de Gauche et d'Europe Ecologie-Les Verts devraient voter contre ou s'abstenir, leurs partis ayant appelé à participer à la journée de mobilisation de lundi surnommée "24 heures avant 1984".
Au groupe socialiste, qui soutient le gouvernement, les débats ont été néanmoins vifs, notamment sur la possibilité donnée à des agents de l'administration pénitentiaire d'utiliser en prison ces techniques de renseignement.
Ce flot de critiques s'est ajouté aux craintes de la Commission nationale Informatique et Libertés, autorité administrative indépendante, de magistrats et d'acteurs du numérique, sur des pouvoirs "exorbitants" donnés aux services de renseignement.
Un point cristallise leurs inquiétudes: la mise en place, sur les réseaux des opérateurs, d'outils d'analyse automatique (un algorithme) pour détecter par une "succession suspecte de données de connexion", le profil de personnes pouvant présenter une "menace terroriste".
Le dispositif est qualifié de "boîte noire" par ses détracteurs, qui y voient le début d'une surveillance de masse.
Ces boîtes noires seraient installées directement chez les opérateurs et les hébergeurs internet et ne donneraient pas accès au contenu des communications, mais uniquement aux métadonnées.
L'exécutif met en avant le renforcement du contrôle des services avec la création d'une "Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement", composée principalement de parlementaires et magistrats.