L’historien français Emmanuel Todd critique "la diabolisation de l’islam en France qui répond au besoin intrinsèque d’une société totalement déchristianisée qui se réfugie dans un "laïcisme radical"
Quatre mois après les attentats contre Charlie qui ont couté la vie à 17 personnes, l’historien et démographe français Emmanuel Todd se penche sur la manifestation de soutien qui été organisée, « le plus important rassemblement de l’histoire moderne du pays », et perçoit dans un livre réquisitoire "des millions de somnambules se précipiter derrière un Président escorté par tous les représentants de l’oligarchie mondiale"
Dans son ouvrage intitulé « Qui est Charlie » qui devrait être publié le 7 mai, il tente d’observer l’origine régionale et sociopolitique des manifestants du 11 janvier en faisant parler les cartes et les statistiques.
Ce qu’il voit n’est pas destiné à plaire :
Un épisode de « fausse conscience » d’une ampleur inouïe.
Des millions de somnambules se précipiter derrière un Président escorté par tous les représentants de l’oligarchie mondiale, pour la défense du droit inconditionnel à piétiner Mohammad, «personnage central d’un groupe faible et discriminé ».
Un mensonge d’unanimisme aussi, car ce jour-là, les milieux populaires n’étaient pas Charlie, les jeunes de banlieue, qu’ils fussent musulmans ou non, n’étaient pas Charlie, les ouvriers de province n’étaient pas Charlie.
La manifestation imposture
Selon lui, la majorité des 4 millions de personnes qui ont défilé à Paris manifestaient en réalité pour des raisons "égoïstes" et "xénophobes", contre l'islam.
« Lorsqu’on se réunit à 4 millions pour dire que caricaturer la religion des autres est un droit absolu – et même un devoir ! –, et lorsque ces autres sont les gens les plus faibles de la société, on est parfaitement libre de penser qu’on est dans le bien, dans le droit, qu’on est un grand pays formidable. Mais ce n’est pas le cas. (…) Un simple coup d’œil à de tels niveaux de mobilisation évoque une pure et simple imposture», a-t-il écrit dans son ouvrage.
"C'est le droit de caricaturer le personnage central d'une religion de dominés (...) qui était défendu et en ce sens, cette manifestation était xénophobe", a-t-il redit cette semaine, rapporte l’AFP. "La diabolisation de l'islam répond au besoin intrinsèque d'une société totalement déchristianisée" qui se réfugie dans un "laïcisme radical", a-t-il lancé.
L'auteur insiste sur la surreprésentation des cadres et professions intellectuelles supérieures dans les manifestations, l'absence d'ouvriers, et surtout "l'imprégnation catholique" des provinces qui ont le plus manifesté.
Les musulmans d’aujourd’hui, comme les juifs dans le passé
« Ce qui m’inquiète n’est pas tant la poignée de déséquilibrés mentaux qui se réclament de l’Islam pour commettre des crimes, que les raisons pour lesquelles, en janvier dernier, une société est devenue totalement hystérique jusqu’à aller convoquer des gamins de 8 ans dans des commissariats de police», poursuit-il.
Sur l’antisémitisme présumé des banlieues, accusation attribuée aux français musulmans irrités par l’influence grandissante du sionisme en France, aux dépens du soutien réel et efficace à la cause palestinienne, il s’exprime :
« Je ne fais pas dans l’angélisme : l’antisémitisme des banlieues doit être accepté comme un fait nouveau et indiscutable. Ce que je ne peux pas accepter cependant, c’est l’idée qui est en train de s’installer selon laquelle l’islam, par nature, serait particulièrement dangereux pour les juifs. Il n’existe qu’un continent où les juifs aient été massacrés en masse : c’est l’Europe. »
En revanche, Todd assimile la condition en France des Musulmans d’aujourd’hui, à celle des juifs dans le passé.
« Qu’on les laisse tranquilles, les musulmans de France. Qu’on ne leur fasse pas le coup qu’on a fait aux juifs dans les années 30 en les mettant tous dans le même sac, quel que soit leur degré d’assimilation, quel que soit ce qu’ils étaient vraiment en tant qu’êtres humains. Qu’on arrête de forcer les musulmans à se penser musulmans. »
Charlie hebdo, "souvent anti islam", renie les faits
Hasard du calendrier, la publication de cet ouvrage fait écho à des critiques proférées au même moment par quelque 150 romanciers essentiellement anglo-saxons, dont l'Australien Peter Carey ou le Canadien Michael Ondaatje.
Ils ont boycotté ce week-end le gala de remise du prix PEN de la liberté d'expression à Charlie Hebdo en critiquant les choix éditoriaux du journal qui, selon eux, a dénoncé trop souvent l'islam.
Face à la charge de Todd, les journalistes et caricaturistes de Charlie Hebdo visant à démolir ses arguments n'ont trouvé rien d'autre que de renier les faits et de lui renvoyer la balle.
"Evidemment, il a le droit de caricaturer Charlie. Ce qu'il dit n'est d'ailleurs pas scandaleux. C'est tout simplement faux", a écrit dans une double page le journaliste Guillaume Erner, critiquant la "méthode" utilisée par l'historien, et son parti pris de prendre les 4 millions de manifestants pour des "crétins".
"La méthode de Todd ne révèle pas l'inconscient de la société française, mais le sien", ajoute M. Erner, dans un article entouré de caricatures peu amènes pour Todd, rapporte l'AFP.
L’agence rapporte aussi la critique du quotidien Libération qui a qualifié le livre de Todd de "blasphème contre le 11 janvier".
Et celui d’un collègue de Todd, le démographe François Héran, ancien directeur de l'Institut national d'études démographiques (Ined), lequel a choisi de réfuter le "déterminisme sociologique" de l'historien.
Todd "a finalement oublié que la France avait d'abord réagi à l'horreur du massacre de 17 personnes sans défense, tuées pour leurs idées, leurs fonctions, leur religion", a-t-il écrit dans une tribune.
Or aussi bien Héran que les autres omettent que la France est le pays occidental qui a le plus alimenté l’islamophobie durant ces trente dernières années, à coups de lois qui répriment les musulmans pratiquants, surtout les femmes voilées, et permettant toutes sortes de campagnes pour les harceler, les humilier et dénigrer leurs symboles religieux.
La toute dernière ilustration ne date pas de si longtemps: celle de la jeune adolescente Sarah, renvoyée à deux reprises de son collège la semaine dernière, pour la simple raison que sa jupe était trop longue !
une société hystérique jusqu’à convoquer des gamins de 8 ans
Sources: AFP, Egalité et Réconciliation.