22-11-2024 05:13 AM Jerusalem Timing

De Téhéran à Aden, le « croissant de la résistance » et un même front

De Téhéran à Aden, le « croissant de la résistance » et un même front

Selon un diplomate iranien

Au début du troisième mois de la guerre saoudienne au Yémen, au nom d'une coalition de plus en plus fragile, la situation semble se compliquer et les divergences entre le royaume wahhabite et la République islamique d'Iran s'approfondissent.

Connus pour leur diplomatie de longue haleine et pour leur souci de ne jamais rompre totalement les liens avec leurs ennemis et leurs adversaires (c'est ce qui leur a d'ailleurs permis de négocier pendant près de 12 ans avec l'Occident sur leur dossier nucléaire), les Iraniens ne cachent plus désormais leurs critiques à l'égard du régime saoudien.

Il ne s'agit plus de simples attaques verbales lancées par le secrétaire général du Hezbollah, ou par le président syrien. Ce sont désormais les plus hauts dirigeants iraniens, comme l'ayatollah Ali Khamenei, jusqu'aux responsables militaires et diplomatiques, qui ne ménagent plus ouvertement les dirigeants saoudiens. Ce qui est en soi un indice de la gravité de la situation et de l'impossibilité d'amorcer le moindre dialogue politique ou diplomatique entre ces deux puissances régionales.


Le seul dialogue en cours est donc celui qui se fait sur les scènes régionales, à coups de canon, de percées ou de replis.

Un diplomate iranien au Liban précise ainsi que le front commence à Téhéran et se termine au Yémen. Certains l'appellent « le croissant chiite » mais, selon le diplomate iranien, c'est une appellation injuste qui vise à donner à ce « front » une coloration confessionnelle, alors qu'il s'agit d'une forte alliance unie sur la base d'une vision commune qui comporte des groupes de différentes religions et confessions, comme les sunnites du Hamas, et donc, une branche des Frères musulmans, celle qui appuie l'esprit de la résistance.

Le diplomate iranien explique que si l'on veut comprendre la région, il faut la regarder dans son ensemble, et lorsqu'un coup est porté au Yémen, la riposte peut se faire au QalamounE ou ailleurs. De même, si le coup est porté à Palmyre ou à Jisr el-Choughour, la riposte peut se faire à Aden ou à la frontière saoudo-yéménite.

Ce front, ajoute le diplomate iranien, a peut-être la forme d'un croissant, mais il s'agit du « croissant de la résistance », et, s'il parvient à remporter une victoire au Yémen, c'est qu'il aura gagné ailleurs, puisque ce pays en constitue le dernier morceau.


Dans l'optique iranienne, la guerre du Yémen n'avait aucune raison d'éclater de cette manière. Ce ne sont pas les Iraniens qui ont demandé à Ansarullah de prendre Aden, ils l'ont fait d'eux-mêmes lorsqu'ils ont vu la volte-face de Mansour Hadi, à la demande des Saoudiens, contre l'accord qui avait été conclu sous l'égide de l'émissaire des Nations unies.

Au contraire, et les sources américaines le confirment, les Iraniens ont plutôt conseillé à Ansarullah la prudence et la retenue, mais les Saoudiens n'ont rien voulu entendre et n'ont laissé aucune place à l'entente.
Pourtant, ils n'en finissent pas d'essuyer les coups, le dernier en date étant l'utilisation par Ansarullah, deux mois après le début de l'offensive saoudienne, d'obus de missiles de moyenne portée (60 km) à la frontière avec l'Arabie.
Plus encore, une brigade entière saoudienne s'est rendue aux troupes yéménites, il y a une semaine. Les militaires ont pris la fuite, laissant sur place leurs équipements et leurs armes.


En dépit de ces faits et des condamnations internationales (au moins de la part des ONG humanitaires) de plus en plus nombreuses face à la férocité des bombardements aériens saoudiens, l'Arabie et ses alliés yéménites s'obstinent dans leur projet et refusent de faire la moindre concession. Ce qui, selon le diplomate iranien, les mènera forcément à un échec de plus en plus cuisant et pourrait même avoir des conséquences sur l'intérieur saoudien.

Le diplomate iranien évoque d'ailleurs des divergences au sein de la famille royale sur la guerre au Yémen et sur les nouveaux rapports de force au sein du pouvoir saoudien. Selon lui, le prince Saoud al-Fayçal n'aurait pas été démis de ses fonctions au ministère des AE à cause de son état de santé, qui existe depuis des années, mais parce qu'il s'est opposé à la façon dont le roi actuel a balayé les volontés de son prédécesseur, pourtant adoubées par la famille régnante, en changeant le successeur du prince héritier, remplaçant ainsi l'émir Moqren par l'émir Mohammad ben Salmane. Ce dernier dispose désormais de nombreux pouvoirs, alors que, selon des rapports diplomatiques, il serait trop jeune pour s'occuper des affaires du royaume, tout en dirigeant la guerre au Yémen. Il aurait d'ailleurs installé autour de son père, le roi Salmane, une sorte de réseau protecteur qui empêche ceux qui n'ont pas son propre aval de le voir.

La situation au royaume serait donc assez complexe, et les rumeurs de cour se multiplient, sachant que le pouvoir est désormais concentré entre Mohammad ben Nayef et Mohammad ben Salmane, autrement dit entre le prince héritier et son propre successeur qui ne veut pas que l'expérience de l'émir Moqren se répète...


Cette atmosphère pesante est confirmée par des diplomates occidentaux en poste à Riyad, qui affirment que bien que le pays soit opaque, le sentiment que la guerre au Yémen soit devenue un bourbier se précise, surtout face à l'impossibilité de lancer une offensive terrestre.

Le seul espoir réside donc désormais dans les efforts déployés par le sultanat d'Oman qui accueille une délégation d'Ansarullah et reçoit demain la visite du ministre iranien des AE. Mais il faudrait, pour que ces efforts réussissent, que les Saoudiens et leurs alliés soient un peu plus réalistes dans leurs exigences, selon le diplomate iranien.

En attendant, les scènes continuent de s'embraser, de l'Irak à la Syrie. Au Liban, le fossé s'approfondit, et si le dialogue entre le courant du Futur et le Hezbollah n'est pas rompu, les positions deviennent de plus en plus difficiles à concilier, notamment en raison de la pression de la rue, chauffée au rythme des combats dans le Qalamoune syrien...

 

Par Scarlette Haddad

Source: L'Orient-Le-Jour