"Nous surveillons tout le temps tous les mouvements de l’ennemi, parce que le principal ennemi que nous combattons est l’ennemi israélien", a-t-il dit.
Dans une interview exclusive à Al-Monitor, le chef du bloc parlementaire du Hezbollah au Liban parle de la guerre en Syrie et du rôle que joue le parti là-bas, de la guerre saoudienne contre le Yémen et de l’impasse présidentielle au Liban.
Al-Monitor a interviewé Mohammad Raad, un des fondateurs du Hezbollah et le leader du bloc parlementaire du groupe au Liban. Raad, licencié de philosophie de l’Université libanaise, a joué un grand rôle, à la fois dans le développement proprement dit du Hezbollah et dans la rédaction, en 1985, de sa « Lettre ouverte au monde », un document qui exposait les objectifs du parti. Par la suite, il est devenu une personnalité médiatique du Hezbollah et le rédacteur en chef du journal officiel du groupe, Al-Ahed. Puis il a été élu au Conseil de la Choura du Hezbollah qui détermine les lignes politiques et stratégiques du groupe. À ce moment-là, Raad était âgé d’une trentaine d’années.
Né en 1955 dans le quartier Musaytbeh de Beyrouth, Raad retrace ses racines familiales au village de Jbaa à Nabatiyeh, une région qu’il représente au parlement depuis 1992, lorsque le Hezbollah a décidé d’entrer dans l’arène politique libanaise. Cinq sessions parlementaires successives ont fait de Raad un vétéran du parlement et l’un des participants les plus importants aux tables de négociations libanaises.
Comme la plupart des responsables du Hezbollah, il a gardé sa famille à l’abri des médias, mais son fils aîné, Hassan, a été blessé en combattant avec le Hezbollah pendant la guerre d’Israël de 2006 contre le Liban. A l’intérieur du Hezbollah, Raad est considéré comme un leader majeur et influent du parti. Il a maintenu une relation étroite avec feu Imad Mughniyeh, le commandant militaire du parti assassiné en 2008.
Al-Monitor : Aujourd’hui, le Hezbollah se bat en Syrie, offre son expertise en Irak et est pris dans l’escalade au Yémen ... Où va le Hezbollah ?
Raad : Le Hezbollah s’intéresse à toutes ces arènes car il considère que, sur notre scène arabe, il y a un ennemi qui dépasse tous les autres, un ennemi qui n’a de cesse de nous nuire, un ennemi qui veut briser la région – en la divisant, la fragmentant et la déstabilisant.
Cet ennemi, c’est Israël qui occupe la Palestine. Et parce que la Palestine est au cœur de notre vision, nous suivons tous les événements et tous les développements de la région. Parce que nous nous préoccupons de la volonté du peuple, nous sommes solidaires de ces populations, nous soutenons leurs demandes et leurs actions. Nous ne voulons pas que nos pays souffrent du chaos et du désordre. Nous voulons, au contraire, qu’ils progressent et se développent pour pouvoir répondre aux souhaits du peuple, et nous voulons constituer une force de représentation populaire capable d’apporter la prospérité et le progrès à notre peuple. Pour atteindre ces objectifs, nous devons être présents partout où c’est nécessaire - en Syrie autant que possible, en Irak et au Yémen, dans de multiples arènes arabes.
Al-Monitor : Après trois années d’implications dans la guerre en Syrie, comment le Hezbollah évalue-t-il sa participation ? Les résultats valent-ils tous les sacrifices consentis, y compris le sacrifice d’une grande partie de votre public arabe ?
Raad : Nous ne nions pas que notre présence aux côtés du peuple syrien pour affronter le complot monté contre la Syrie – contre son armée, son État et son peuple - a eu un effet positif. Nous avons décidé de nous tenir aux côtés du peuple syrien quand nous avons vu les terroristes extrémistes brandir l’épée de l’injustice pour détruire la Syrie et anéantir l’aspiration du peuple syrien à réformer pacifiquement son État. Nous pensons que la Syrie - dans toutes ses composantes - est la victime d’une conspiration visant à l’affaiblir, pour qu’elle perde son rôle et sa position dans la résistance contre la volonté d’hégémonie d’Israël sur toute la région.
Le fait est que l’affaiblissement de la Syrie aurait des conséquences négatives sur la résistance contre l’occupation israélienne des territoires libanais, et qu’une Syrie affaiblie engendrerait un chaos et des tensions internes qui pourraient se propager au Liban et mettre à mal la spécificité libanaise consistant à maintenir la coopération dans le cadre de l’unité de l’entité libanaise. Pour toutes ces raisons, nous devions être présents en Syrie. Notre présence a donc pour but de défendre le Liban et sa formule politique qui préserve la diversité au Liban, et de défendre la souveraineté du Liban et les capacités de la résistance face à l’occupation israélienne.
Pour ce qui est de l’évaluation des résultats, il suffit de dire que les objectifs fixés par ceux qui conspirent contre la Syrie n’ont pas été atteints. Dès le début, nous avons dit que la solution en Syrie ne pouvait pas venir de la violence et des manifestations militarisées. Seule une solution politique peut résoudre la crise dans le pays. En d’autres termes, celui qui veut résoudre le conflit en Syrie en respectant l’agenda des puissances étrangères, n’aboutira à rien. Et celui qui veut le résoudre sans inclure un des seuls camps qui puisse garantir la mise en œuvre de cette résolution, n’aboutira à rien non plus. Ceux qui provoquent les bouleversements en Syrie se soucient peu de l’opinion publique, qui n’a pas plus de consistance qu’un nuage qui passe dans le ciel.
Premièrement, nous savons que les organes médiatiques de notre adversaire – je veux dire, de l’ennemi - travaillent contre nous jour et nuit. Ils ont un escadron des médias qui couvrent de larges pans de la société et de la planète. Mais, toute cette mobilisation médiatique contre nous n’entame pas notre conviction que notre cause est juste, et nous mettons toute notre énergie à assurer la victoire de notre cause, pendant que la horde médiatique fait de son mieux pour déformer notre image, troubler l’opinion publique et inciter à la haine contre nous – allant jusqu’à inventer une foule d’histoires et de scénarios pour détourner l’attention de ce que nous faisons vraiment.
Pourtant, notre cause fait vibrer les rues de toute la région arabe. Chaque fois que le Hezbollah remporte un succès, où que ce soit, le cœur de la rue arabe se met à battre. Parfois, les gens hésitent à l’avouer, à cause des conditions sur le terrain qui sont parfois terribles. Et parfois, les gens manifestent clairement leur solidarité, comme cela est arrivé à l’époque où [le Hezbollah a été] pris pour cible pendant l’opération contre Quneitra et les fermes de Chebaa. Si cela signifie quelque chose, c’est que la cause que nous défendons et pour laquelle nous battons concerne tous les peuples de notre région arabe.
Je pense que la fidélité à notre lutte nous a gagné le cœur de toutes ces personnes. Bien que le monde entier soit ligué contre nous, il n’est pas capable de détruire notre image que nous nous efforçons de garder propre en abordant avec droiture et sincérité les problèmes de notre nation [arabe].
Al-Monitor : Quels sont les résultats concrets de la dernière opération au Qalamoun en ce qui concerne le Liban et la Syrie ?
Raad : pour résumer ce que s’est passé au Qalamoun, les groupes terroristes étaient actifs dans la zone et représentaient une menace pour les villages libanais et les civils syriens résidant dans les régions syriennes de Qalamoun. Ces groupes étaient en contact avec des groupes terroristes des plaines arides d’Arsal et échangeaient avec eux des informations sur les explosifs et les tactiques terroristes. Ils préparaient des voitures piégées [pour les terroristes à Arsal], fabriquaient des explosifs pour eux, et les aidaient à attaquer les villages libanais voisins. Ils facilitaient également le mouvement des terroristes vers la région de Zabadani, ce qui menaçait l’autoroute internationale qui relie Beyrouth à Damas car Zabadani n’est pas loin de cette voie de passage. Du fait que la prolifération des terroristes dans la région du Qalamoun accentuait cette menace, nous avons été obligés d’agir pour sécuriser nos pays et rendre la tâche plus difficile aux terroristes.
Aujourd’hui, on peut dire que les objectifs que nous nous étions fixés dans le Qalamoun ont été atteints, mais la bataille n’est pas terminée dans le Qalamoun. C’est parce que les terroristes qui agissaient comme une extension des terroristes du Qalamoun - je veux parler des terroristes qui se trouvent dans les plaines arides de la ville libanaise de Arsa. L’État doit trouver à cette question une solution qui préserve la sécurité des habitants d’Arsal, ainsi que celle des habitants des villages voisins. L’État doit également assurer la sécurité et la stabilité du [Liban], parce que ces terroristes menacent la sécurité et la stabilité du pays. Nous allons suivre les événements et faire en sorte que la question soit prise au sérieux, car elle ne peut être négligée.
Al-Monitor : il y a environ deux semaines, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a parlé de la participation du parti dans des régions de la Syrie où il ne s’était pas encore impliqué. Verrons-nous le Hezbollah à Idlib et Palmyre, par exemple ?
Raad : D’abord, il est de notre devoir de rétablir la vérité et de clarifier les choses. Le Hezbollah joue un rôle positif dans le maintien de la sécurité de la Syrie. C’est l’armée syrienne qui préserve la Syrie, protège son peuple et remporte des succès. Parfois, ceux qui suivent le conflit de loin ont des réflexions qui font injure à l’armée syrienne dont les officiers et les soldats sont de vrais professionnels. Je pense qu’il faut vraiment prendre conscience qu’il n’y a aucun autre pays au monde où une armée a été capable de se battre, quatre années durant, dans une guerre pareille, avec autant de courage et de persévérance que l’armée syrienne.
Il est vrai que nous intervenons en soutien, comblant un certain nombre de lacunes, mais notre présence est motivée avant tout par notre désir de défendre le Liban et la résistance au Liban. Et nous défendons aussi la colonne vertébrale de la résistance contre l’ennemi israélien. La crise syrienne va-t-elle nécessiter la présence du Hezbollah dans d’autres régions ? La réponse à cette question est que tant que nous défendons la Syrie pour l’empêcher de tomber entre les mains des terroristes, nous serons présents là où il faudra.
Al-Monitor : En ce qui concerne le Yémen, certains accusent le Hezbollah d’impliquer le Liban dans une crise qui lui est étrangère, en particulier à cause des tensions que cela entraîne avec l’Arabie saoudite. Qu’en pensez-vous ?
Raad : D’abord, le Liban est fier d’avoir participé à la Déclaration universelle des droits de l’homme. S’il y a une chose que le pays ne peut se permettre, c’est de prendre ses distances avec les droits de l’homme. Tout ce que nous avons fait, c’est condamner les honteuses violations des droits de l’homme au Yémen. Nous avons condamné l’agression saoudienne qui s’apparente à une guerre d’extermination du peuple yéménite sans aucune justification morale, politique ou juridique.
Si ce qu’ils voulaient c’est qu’on n’en parle pas et qu’on se rende complice de ce crime par notre silence, ce n’est certainement pas à la résistance qu’il fallait le demander. Parce que la résistance reflète la volonté d’un peuple libre et digne qui rejette l’autoritarisme, l’hégémonie et l’occupation de qui que ce soit. Parce que la résistance est l’émanation de peuples du monde dont la souveraineté est légitime et juste, nous ne pouvons pas rester silencieux devant une agression qui équivaut à une guerre d’extermination, dans son propre pays, d’un peuple souverain qui a des aspirations légitimes et rejette toutes formes d’autoritarisme et d’hégémonie de qui que ce soit.
Cette position peut avoir causé quelque tort [au Hezbollah], mais quelle que soit l’étendue des dommages subis, ils ne sont rien au regard de l’impact extrêmement positif de cette prise de position du point de vue de la morale, de l’histoire et de l’avenir, en particulier à la lumière des changements que l’avenir semble réserver à l’ensemble de la région.
Al-Monitor : Mais certains vous accusent de faire du deux poids deux mesures. Au Yémen vous dénoncez les crimes et en Syrie vous ne dites rien.
Raad : Nous sommes avec le peuple yéménite qui rejette l’hégémonie, et nous sommes avec le peuple syrien qui rejette le terrorisme. Parce que le peuple syrien a été victime d’une guerre terroriste, nous nous sommes battus à ces côtés. Et parce que le peuple yéménite a été victime d’une guerre d’agression, nous l’avons soutenu et nous avons sympathisé avec lui. Il n’y a pas deux poids deux mesures. Et ceux qui justifient le meurtre de populations, comment peuvent-ils dénoncer ceux qui se défendent contre des gangs terroristes dans leurs propres pays ?
Al-Monitor : Est-ce que la difficulté pour le Hezbollah de se battre sur plusieurs fronts ne met pas en danger son combat principal contre Israël ?
Raad : Le fait d’être prêt à affronter les menaces et les agressions de l’ennemi israélien, n’a rien à voir avec la décision d’intervenir ailleurs. La lutte contre Israël est une chose à part, elle a ses propres équipements, sa formation, ses provisions, ses armes et ses munitions. Elle a ses propres opérations qui ne s’interrompent ni le jour ni la nuit. Nous surveillons tout le temps tous les mouvements de l’ennemi, parce que le principal ennemi que nous combattons est l’ennemi israélien. Mais le but principal de la résistance est de s’opposer à l’ennemi israélien. Nous ne l’oublions pas.
Une de nos blagues favorites est de dire que ceux d’entre nous, qui ne luttent pas directement contre Israël sont des apprentis. L’ennemi sait que l’expérience que nous avons acquise en participant à la guerre en Syrie, par exemple, a élargi les horizons de la résistance - non seulement au plan géographique, mais en termes de combats, de qualité des armes et de tactiques de combat. Cela a peut-être pour effet de dissuader encore plus l’ennemi de faire quelque chose de stupide contre nous.
Al-Monitor : le Hezbollah est-il prêt pour une guerre à grande échelle dans les circonstances actuelles ?
Raad : Il est certainement prêt pour la guerre, même s’il ne la souhaite pas.
Al-Monitor : Aujourd’hui, le Liban est sans président, le conseil parlementaire a étendu son mandat et il y a un gouvernement intérimaire. Quand un président sera-t-il élu dans le pays ?
Raad : Nous avons un candidat que nous soutenons, et je pense que le pays ne pourra pas trouver de meilleur candidat : il s’agit du général Michel Aoun. Ceux qui entravent l’élection d’Aoun sont ceux qui ne veulent pas que le pays ait un président. Je pense que le principal parti qui s’oppose à l’élection d’Aoun est le bloc chrétien, ce qui affaiblit la position des chrétiens au pouvoir et engendre une crise présidentielle sans fin dans le pays.
Info-Palestine