Si l’AKP rafle les deux tiers (367) des 550 sièges de députés, il pourra voter seul la réforme constitutionnelle qui renforce ses prérogatives.
Les Turcs ont commencé à voter dimanche pour élire leurs députés dans un scrutin déterminant pour l'avenir du président Recep Tayyip Erdogan, qui espère une très large victoire de son parti, au pouvoir depuis treize ans, pour renforcer son emprise de plus en plus contestée sur le pays.
Près de 54 millions d'électeurs sont appelés aux urnes, ouvertes de 8h00 à 17h00 (5h00 à 14h00 GMT), au terme d'une campagne électorale sous tension après un attentat à la bombe qui a fait deux morts et une centaine de blessés parmi les partisans du principal parti kurde dans son fief de Diyarbakir (sud-est).
Les résultats seront connus en soirée et devraient se solder par une nouvelle victoire du Parti de la justice et du développement (AKP), qui a remporté l'un après l'autre tous les scrutins depuis 2002.
L'ampleur de son succès s'annonce crucial pour M. Erdogan, qui joue son va-tout dans cette élection.
Premier ministre à poigne pendant onze ans, il a été élu chef de l'Etat en août dernier et a rendu sur le papier les clés de l'exécutif et du parti à son successeur, l'ancien ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu.
Mais, bien décidé à garder les rênes du pays, il milite depuis pour la présidentialisation du régime et le renforcement de ses pouvoirs.
Malgré les critiques, il a ouvertement fait campagne pour "sa" réforme et son parti, contre la lettre de la Constitution qui lui impose un strict devoir de neutralité.
A la veille du scrutin, le chef de l'Etat a une dernière fois défendu samedi à Ardahan (est) ses convictions et étrillé l'opposition qui, a-t-il dit, "cherche à arrêter la Nouvelle Turquie en marche".
Pour réussir son opération, M. Erdogan a besoin d'un raz-de-marée électoral. Si l'AKP rafle les deux tiers (367) des 550 sièges de députés, il pourra voter seul la réforme constitutionnelle qui renforce ses prérogatives.
S'il n'en obtient que 330, il pourra la soumettre à référendum. Sinon, son ambition s'écroulera.
"L'issue de ce vote va probablement fixer les règles de la vie politique turque pour les années à venir", a commenté le politologue Sinan Ulgen, du Centre d'études des affaires économiques et diplomatiques (Edam) d'Istanbul.
Même si elles sont à prendre avec précaution, les enquêtes d'opinion suggèrent que M. Erdogan pourrait perdre son pari.
'Se débarrassser de +Tayyip+'
"J'espère que cette élection sera la bonne et que nous pourrons nous débarrasser de +Tayyip+ et de sa bande", a déclaré à l'AFP Ergin Dilek, un ingénieur de 42 ans venu voter avec son épouse dans le quartier résidentiel de Yildiz, à Ankara, qui vote traditionnellement pour l'opposition.
Tout en restant très populaire, l'AKP a vu son aura pâlir, victime du récent ralentissement de l'économie, jusque-là sa principale vitrine, et des critiques récurrentes sur sa dérive autoritaire.
Les derniers sondages créditent le parti au pouvoir de 40 à 42% des voix, en net repli par rapport aux 49,9% récoltés il y a quatre ans.
Le principal parti kurde, le Parti démocratique du peuple (HDP), constitue le principal obstacle sur la route de M. Erdogan.
S'il franchit la barre des 10% des voix, requise pour entrer au parlement, le HDP devrait obtenir une cinquantaine de sièges de députés et ainsi priver l'AKP de la majorité qualifiée qu'il convoite.
"Si le HDP entre au parlement, il bouleverse le jeu", résume Marc Pierini, ancien ambassadeur de l'Union européenne à Ankara qui est aujourd'hui analyste à la fondation Carnegie Europe.
A gauche, moderne et tourné vers les minorités, le parti kurde est emmené par un "quadra" charismatique, Selahattin Demirtas, qui espère profiter de son statut de "faiseur de rois" pour élargir son audience traditionnelle.
"Je ne suis pas d'origine kurde mais j'ai décidé de voter HDP pour que l'AKP ait moins de sièges", a confié à l'AFP Ilker Sorgun, un électeur d'Ankara venu voter à l'ouverture des urnes.
Les deux autres grands partis d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) et le Parti de l'action nationaliste (MHP, droite) ont dénoncé pendant toute la campagne la volonté de M. Erdogan d'instituer une "dictature constitutionnelle" et espèrent priver l'AKP de sa majorité absolue.