La Turquie aussi s’inquiète de l’expansion kurde dans cette région, alors qu’il est question de la proclamation de "l’Etat kurde".
Le groupe Etat islamique (EI-Daesh) a subi son plus sérieux revers en Syrie après la capture mardi par les forces kurdes de Tall Abyad, ville frontalière de la Turquie et point de transit vital pour les jihadistes.
Après cinq jours d'une offensive appuyée par les frappes aériennes de la coalition antijihadistes dirigée par les Etats-Unis et des groupes rebelles syriens, les Unités de protection du peuple kurde (YPG) ont pris le contrôle de la ville à l'aube, après des combats qui ont fait fuir des milliers d'habitants.
Tall Abyad était l'un des deux principaux points de passage empruntés par l'EI, pour le transit des armes et des combattants, en dépit de leur fermeture par la Turquie. Sur cette frontière, il ne lui reste plus que celui de Jarablos, dans la province septentrionale d'Alep (nord), ainsi que des chemins secondaires.
La ville est désormais "entièrement sous le contrôle des combattants kurdes", a affirmé l'OSDH, un responsable kurde, Ahmed Seyxo, précisant à l'AFP que "l'EI s'était retiré sans opposer beaucoup de résistance".
"L'alliance anti-EI (kurde et rebelle) ratisse Tall Abyad pour permettre le retour des civils", a expliqué Cherfane Darwich, porte-parole du groupe rebelle Bourkane al-Fourat. "Il y a des mines et des voitures piégées partout".
Ville cruciale
"C'est certainement la plus importante perte pour l'EI jusqu'à présent", a affirmé à l'AFP Aymenn Jawad al-Tamimi, du centre de recherche Middle East Forum. Tall Abyad était une "importante route de transit pour les combattants, les armes et les marchandises de la Turquie vers le territoire contrôlé par l'EI".
La ville était notamment cruciale pour l'approvisionnement de Raqa (86 km plus au sud), devenue le fief du groupe et capitale de facto de son "califat" autoproclamé depuis qu'il s'en est emparé en janvier 2014. L'EI contrôle selon l'OSDH 50% de la Syrie, ainsi que de vastes régions de l'Irak voisin.
"C'est la plus grande défaite du groupe depuis la proclamation de son califat en juin 2014", affirme Rami Abdel Rahmane. "Désormais, les jihadistes dans la province de Raqa et Deir Ezzor (est) doivent parcourir des centaines de kilomètres pour parvenir à la frontière turque".
D'après Charlie Winter, spécialiste de la Syrie et des mouvements jihadistes à la Quilliam Foundation, cette victoire kurde est "plus importante à long terme que celle de Kobané", ville frontalière à l'ouest de Tall Abyad que les Kurdes ont reprise à l'EI en janvier.
Les forces kurdes "contrôlent désormais 400 km de frontière avec la Turquie allant de (Kobané) dans la province d'Alep jusqu'à la frontière irakienne" à l'est, selon Rami Abdel Rahmane.
"Les succès des Kurdes, rendus possibles par les frappes de la coalition, mettent à nu les capacités militaires de l'EI", a estimé de son côté dans un communiqué le Centcom, le commandement militaire américain au Moyen-Orient qui supervise les frappes de la coalition.
Crainte de la Turquie
Ce nouveau rapport des forces a suscité les craintes de la Turquie, qui redoute notamment qu'à l'instar des Kurdes d'Irak, les Kurdes de Syrie ne constituent un territoire autonome le long de la frontière turque.
Et lundi, le gouvernement turc a de nouveau accusé les Kurdes de Syrie de "nettoyage ethnique".
Les YPG entretiennent des relations avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui mène depuis 1984 une insurrection armée en Turquie et est considéré par les autorités d'Ankara comme un groupe "terroriste".
Les affrontements ont provoqué l'entrée de près de 23.000 nouveaux réfugiés syriens en Turquie entre le 3 et le 15 juin, selon l'ONU.
Halil el-Ahmed, 55 ans, est arrivé côté turc lundi. "Nous n'avons pas fui l'EI ou les YPG. Pour nous, c'est du pareil au même. Nous avons fui les bombes", a confié à l'AFP ce Syrien arabe.
"J'ai entendu un avion bombardier près de notre village (...) J'étais terrifié, alors j'ai fui avec ma famille".
La Syrie est ravagée depuis plus de quatre ans par un conflit complexe impliquant régime, rebelles, Kurdes et jihadistes.
Le président syrien a reçu mardi à Damas l'émissaire spécial de l'ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, qui mène depuis le 5 mai des "consultations séparées" avec les protagonistes de la guerre.