24-11-2024 10:43 AM Jerusalem Timing

Les arabes doivent-ils visiter ou non al-Aqsa sous occupation ?

Les arabes doivent-ils visiter ou non al-Aqsa sous occupation ?

Israël poursuit son plan de modification de la ville sainte et de ses monuments. Seulement 13% de Jérusalem al-Qods est sous contrôle palestinien.

Les autorités politiques et religieuses en Palestine maintiennent leur position à l’égard des visites à Jérusalem (al-Qods) des citoyens Arabes et Musulmans du monde entier. Ils sont divisés entre considérer ces visites comme un soutien affirmé à la Palestine ou comme une normalisation avec Israël.

Le 22 mai dernier, alors qu’il s’apprêtait à faire le prêche du vendredi, le juge en chef de Jordanie, Ahmed Halil, a été verbalement agressé par un groupe de fidèles dans la Mosquée al-Aqsa, l’accusant de s’y être introduit avec une autorisation israélienne, relançant ainsi un différend qui a, depuis toujours, divisé les Palestiniens et soulevé la question : les Arabes doivent-ils visiter ou non al-Aqsa sous occupation ?

D’un point de vue religieux et national, les Palestiniens ne sont pas d’accord avec les visites à Jérusalem des citoyens arabes. Alors que l’Autorité Palestinienne (AP) encourage de telles visites à condition qu’elles ne mènent pas à la normalisation des relations avec Israël, plusieurs personnalités nationales et religieuses estiment que ces visites encouragent et confortent davantage l’occupation israélienne, contribuent à la normalisation des relations et embellissent l’image d’Israël devant le monde.

Cette altercation a déclenché un nouveau point de discorde entre le mouvement du Fatah et le mouvement Hamas. Le premier considère que les visites à Jérusalem constituent une étape importante dans la bataille nationale et religieuse, tandis que le second estime que la visite à al-Aqsa ne doit pas justifier le risque de normalisation avec l’occupation.

Chaque parti se réfère à une fatwa religieuse pour appuyer son point de vue. L’AP, représentée par Mahmoud al-Habash qui est conseiller du Président pour les affaires religieuses a déclaré : « Visiter Jérusalem ne constitue pas une normalisation des relations avec l’occupation. » Il s’est, à cet effet, référé au Conseil de l’Académie Internationale du Fiqh Islamique (IIFA) qui a adopté la Résolution 216 sur la visite de Jérusalem et qui confirme que la Charia juge cet acte souhaitable et recommandé.

Mais certains opposants invoquent l’avis consultatif du président de l’Union Internationale des Savants Musulmans, Youssef al-Qaradawi, qui a interdit aux Palestiniens de visiter Jérusalem sous occupation israélienne.

Pour sa part, Cheikh Mohamed Hussein, le grand mufti de Jérusalem et de la Terre Sainte a expliqué à al-Monitor : « L’aspect jurisprudentiel de la polémique sur la visite de Jérusalem a été réglé lors de la 22ème réunion de l’IIFA qui a justement encouragé les musulmans et les arabes à visiter al-Aqsa en laissant les politiciens et les gouverneurs des pays musulmans évaluer les avantages et les inconvénients du voyage et d’en décider en conséquence. »

Hussein a exhorté les arabes et les musulmans à se rendre à al-Aqsa dans l’optique de remonter le moral des Palestiniens de Jérusalem et de les soutenir, face aux attaques et agressions israéliennes auxquelles ils sont quotidiennement confrontés et ce, en se basant sur la fatwa du Conseil de l’IIFA.

Le Ministre des Waqf et des Affaires Religieuses, Youcef Idees a confié à al-Monitor : « l’AP a réussi à inverser la situation et à faire changer la position qui rejette les visites à al-Aqsa, tout en s’engageant à ce que les délégations arabes et islamiques s’y rendent afin de lui conférer un caractère islamique, suite aux incursions quotidiennes dont est victime la Mosquée. » Il a ajouté : « l’AP est actuellement en train d’établir des contacts avec des délégations arabes et islamiques les invitant à visiter al-Aqsa durant le mois sacré du Ramadan qui débute ce mois de juin 2015, et a obtenu des réponses positives. »

Et de poursuivre : « Que nos frères Arabes visitent al-Aqsa ne constitue pas une normalisation des relations avec Israël. Bien au contraire, elle implique plusieurs dimensions. En effectuant des achats, notamment dans les magasins des marchands Palestiniens de Jérusalem, et en transmettant leurs souffrances au monde extérieur, les visiteurs auront remonté notre moral et auront soutenu notre économie nationale. »

Pendant ce temps, les opposants affirment que c’est l’économie de l’occupation qui tire profit des voyages des arabes à Jérusalem.

Dans son édition du 7 avril dernier, le quotidien Haaretz a souligné que le tourisme à Jérusalem a connu un ralentissement en 2014, avec une baisse de 20% des séjours hôteliers. Le journal a indiqué que la situation aurait été pire si ce n’est la hausse massive du nombre de touristes qui affluent des pays Musulmans, estimés à des centaines de milliers.

Pour l’écrivain et analyste de Jérusalem Rasem Obeidat « Ces visites entrent dans le cadre de la normalisation. Le premier bénéficiaire est l’occupation israélienne du moment où les touristes doivent impérativement passer par Israël. Ces visites apporteront des avantages à l’économie de l’occupant car c’est lui qui contrôle les infrastructures, les hôtels, les restaurants et les transports de la ville. »

Il ajoute : « Ces visites vont embellir l’image de l’occupation. Elles l’aideront à imposer sa légitimité et sa souveraineté sur la ville et lui donneront l’aspect d’une entité démocratique, tolérante envers les libertés de croyance. Or, sur le terrain, les Palestiniens de Jérusalem sont interdits d’accéder à al-Aqsa et la ville est soumise à une judaïsation systématique. »

Jamal Amr est professeur d’urbanisme à l’Université de Birzeit et membre de la Fondation Jérusalem. Il a dit à Al-Monitor : « Les visites des arabes à Jérusalem ne sont qu’un stratagème politique de bas niveau, destiné à exploiter al-Aqsa dans le but d’améliorer l’image de l’occupation qui est le seul bénéficiaire de ces visites. »

Amr a poursuivi : « Les arabes ne soutiennent pas Jérusalem. Cette question n’est pas inscrite dans leurs priorités. L’histoire retiendra le nombre infini de fois où les arabes ont laissé tomber al-Aqsa et l’ont déçue en n’honorant jamais leurs promesses et engagements envers elle. Alors pourquoi est-ce que Netanyahu qui ne cesse de répéter que Jérusalem n’est pas la capitale de la Palestine, ouvre grandes les portes d’al-Aqsa aux arabes pendant qu’il les ferme devant les Palestiniens ?

Amr a signalé que les visiteurs de Jérusalem ne séjournent pas dans des hôtels Palestiniens, n’obtiennent pas de visas palestiniens, ne mangent dans des restaurants palestiniens. « Tout cela n’est qu’une mise en scène évidente montée de toutes pièces par les régimes arabes désireux d’embellir l’occupation et de la présenter comme une entité démocratique et indulgente envers les libertés religieuses, soit tout à fait le contraire de la réalité. »

L’archevêque Atallah Hanna, métropolite de la Sébaste d’al-Qods pour les Grecs-Orthodoxes a déclaré à Al-Monitor : « Personnellement, je n’encourage pas ces visites, mais en ma qualité de représentant d’une institution religieuse, je serais embarrassé de refuser n’importe quelle invitation ou demande de visite. Ceci devrait être une décision politique. C’est l’objectif de la visite qui détermine si elle s’inscrit ou non dans le cadre de la normalisation. »

Et d’ajouter : « Les visites des arabes chrétiens ou musulmans possédant des passeports étrangers ne sont pas interprétées comme de la normalisation si elles visent à soutenir le peuple de Jérusalem. Cela ne s’applique pas aux arabes dont les pays n’ont pas de relations diplomatiques avec Israël, et par conséquent, il est déconseillé qu’ils se rendent en Palestine du fait que leur déplacement nécessite l’approbation israélienne, chose que leurs pays refusent. »

S’agissant du soutien des arabes à Jérusalem, Ahmed Rwaidy, le conseiller du Président palestinien pour les affaires de Jérusalem a expliqué à Al-Monitor : « Le soutien arabe et musulman envers Jérusalem est faible de façon globale et il ne comble pas les besoins économiques de la ville puisqu’il ne dépasse pas 5% [des revenus]. »

Rwaidy a indiqué que les besoins financiers de la ville sont estimés à 428 millions de dollars US pour trois ans, mais les arabes et les musulmans ne procurent que 5% de cette somme. Il a ajouté : « Seulement 3% des décisions prises lors du sommet de la Ligue Arabe de Syrte ont été mises en œuvre. La ville a reçu 50 millions de dollars au lieu du demi-milliard qui lui a été alloué. De plus, la ville n’a reçu aucun centime du fonds mis en place durant le sommet de Doha et qui s’élève à 1 milliard de dollars. »

En mars 2010, en marge du sommet de la Ligue Arabe tenu à Syrte, les ministres arabes des affaires étrangères avaient approuvé un projet de résolution présenté par la Palestine et la Syrie. Cette mesure était une tentative de sauver Jérusalem en appuyant et alimentant le fonds al-Aqsa qui, pour rappel, a été lancé en 2001 par l’Arabie Saoudite avec un montant de 500 millions de dollars.

S’agissant du soutien de Jérusalem qui tarde à être concrétisé, Rwaidy a indiqué : « Les arabes et les musulmans ont abandonné les Palestiniens dans leur lutte pour Jérusalem et pour al-Aqsa. Je suis en train de parler des secteurs privés et publics qui ferment les yeux sur les promesses qu’ils ont faites pour Jérusalem, et font la sourde oreille lorsque nous les invitons à honorer leurs engagements. »

Et pendant que les Palestiniens s’enfoncent davantage dans le débat autour de Jérusalem et continuent, chacun en ce qui le concerne, de chercher les raisons qui étayent chacune des positions, Israël poursuit son plan de modification de la ville et de ses monument. Seulement 13% de Jérusalem est sous contrôle palestinien, alors que le monde arabe et musulman tourne le dos à cette réalité, ferme les yeux sur le rôle qu’il devrait jouer et manque d’offrir le soutien réel dont la ville a grandement besoin.

Info-Palestine