Les accusations contre cheikh Ali Salmane à Bahrein sont largement considérées comme fallacieuses et le processus juridique au bout duquel il a été condamné est profondément défectueux.
Le sectarisme est une arme exploitée par les extrémistes. Aussi, pourquoi les familles régnantes dans le Golfe l’emploie-t-elle avec tant d'insouciance ?
Un ami bahreïni passait par Londres le mardi 16 juin, le jour même où Cheik Ali Salmane a été condamné à quatre ans de prison. Cheik Salmane, le dirigeant d’Al Wefaq, la principale organisation d’opposition au Bahreïn, a été condamné pour insulte au ministre de l’Intérieur, pour incitation au viol de la loi et à la haine contre les citoyens sunnites. L’accusation d’avoir voulu renverser la monarchie et changer le régime politique a été abandonnée. Une condamnation sous ce motif aurait pu lui coûter un emprisonnement à vie.
Mon ami, un homme d’affaires laïc et libéral que je connais depuis de nombreuses années, était profondément préoccupé par la fracture sectaire dans son pays. Il me dit avec un sourire amer : « Tu sais, ce sont de bonnes nouvelles d’une certaine façon : on lui prend quatre ans, pas la vie ».
Autour d’un café, nous avons parlé d’un Bahreïn qui semble avoir disparu, où sunnites et chiites travaillaient ensemble, où des mariages intercommunautaires – des sushis comme on les appelle - étaient fréquents. La discrimination contre les chiites était constante mais elle était relativement légère comparée à ce qui se fait aujourd’hui. Les gens trouvaient une manière de subsister. A présent, craint-il, cette possibilité a disparu.
Les accusations contre Ali Salmane sont largement considérées comme fallacieuses et le processus juridique au bout duquel il a été condamné est profondément défectueux.
De nombreuses organisations internationales de défense des droits de l’homme avaient déjà dénoncé son arrestation - il était détenu depuis six mois au moment de son passage devant le tribunal - comme l’ont fait ses partisans au Bahreïn. Le jugement rendu n’a fait que renforcer leur sentiment de colère et de frustration, selon lequel la famille al-Khalifa agit de manière à faire taire et à punir toutes les voix d’opposition.
Le gouvernement des Etats-Unis avait pourtant exprimé sa « grande préoccupation » dans un communiqué de presse du département d’Etat, stipulant également que les « partis d’opposition qui expriment de façon pacifique leur critique du gouvernement ont un rôle essentiel dans les Etats et les sociétés inclusives et pluralistes. Les Etats-Unis croient que personne, où que ce soit, ne devrait être poursuivi ou emprisonné pour s’être engagé dans des prises de parole ou rassemblements pacifiques ».
Mais Ali Salmane a été emprisonné à un moment et dans une région où les tensions sectaires s’élèvent à un niveau incroyablement dangereux. Bien évidemment, Cheik Salmane est un musulman chiite et les chiites représentent la majorité des citoyens dans un pays sous la férule des al-Khalifas, une famille royale sunnite.
Juste au-dessus de la bande de terre qui relie le Bahreïn à la province orientale de l’Arabie saoudite, trois attaques perpétrées en l’espace de six mois par des terroristes sunnites contre des fidèles chiites ont soulevé de lourdes inquiétudes.
Les autorités saoudiennes ont dénoncé les attaques et ont appelé à l’unité, mais un responsable religieux chiite saoudien, Cheik Nimr Nimr reste sous le coup d’une condamnation à mort sur des accusations d’avoir voulu renverser la maison des Saoud.
Sa peine de mort a été prononcée en novembre dernier. Son arrestation en 2012 avait suscité de nombreuses manifestations dans la province à majorité chiite, et plus de vingt manifestants avaient été tués. Les autorités prétendent que ces manifestants étaient armés et avaient tiré sur la police et les forces de sécurité, tandis que leurs familles affirment qu’ils n’étaient ni armés ni violents.
Comme dans le cas d’Ali Salmane, les accusations contre Nimr Nimr manquent de crédibilité et le processus juridique qui a conduit à sa condamnation à mort a été fortement critiqué par les commentateurs indépendants et les organisations de défense des droits de l’homme. Ainsi, au Bahreïn comme en Arabie saoudite, les décisions des tribunaux ont contribué à approfondir les clivages sectaires, un fait que les extrémistes de l’un ou l’autre camp n’oublieront pas.
Les milices chiites en Irak ont été accusées d’avoir commis des atrocités contre les tribus sunnites et la reprise de Tikrit en mars de cette année a fait l’objet d’accusations d’attaques de vengeance contre les maisons et les entreprises sunnites. Ces faits font le jeu de l’autoproclamé Etat islamique (EI).
Tout bien considéré, la promotion du sectarisme est une arme d’une très grande utilité dans le formidable arsenal dont dispose déjà l’EI. Son idéologie fanatique est basée sur le concept du takfir ou de l’apostasie, sur l’idée que le seul et vrai musulman est le musulman qui accepte l’autorité de l’autoproclamé calife Abou Bakr al Baghdadi. Cette idéologie est vicieuse et pleine de haine, mais elle s’avère hélas très efficace.
L’EI tient fermement dans sa ligne de mire toutes les familles régnantes du Golfe, mais plus particulièrement la maison des Saoud. Comme les chiites, ces dynasties sont considérées comme non-islamiques et doivent être détruites.
Aussi, pourquoi, au nom de tout ce qui est raisonnable, ces familles régnantes ne cherchent-elles pas à calmer les tensions sectaires ? Pourquoi versent-elles toujours plus d’huile sur le feu ?
Elles prétendront que les cours de justice sont indépendantes et qu’elles ne les ont nullement influencées - une affirmation que personne ne prendra au sérieux.
A Bahreïn, l’inamovible ministre de la Justice est un membre influent de la famille al-Khalifa. En Arabie saoudite, le système judiciaire est fortement polarisé en faveur d’un pouvoir religieux qui pendant des décennies a permis au sentiment anti-chiite de prospérer.
J’ai demandé à mon ami comment la condamnation d’Ali Salmane était perçue par la communauté chiite de Bahreïn. Sa réponse m’a étonné et en même temps découragé. Il m’a répondu que la plupart des gens étaient apathiques. « Ils ont abandonné l’idée que quelque chose puisse changer. Ils pensent que les al-Khalifas ont gagné. »
Et la jeunesse bahreïnie en colère qui lançaient des cocktails molotov sur la police – que pense-t-elle ? « Cela », m’a-t-il dit, « est très inquiétant. Ils n’ont aucun espoir et ils voient la violence comme la seule manière d’aller de l’avant ».
Mon ami m’avait toujours paru un infatigable optimiste. Mais aujourd’hui cet optimiste craint qu’une guerre sectaire d’une férocité sans précédent et alimentée par des extrémistes des deux côtés, ne soit sur le point d’éclater dans toute la région. Et c’est en effet la source d’une terrible inquiétude.
Info-Palestine
Bill Law - Middle East Eye