Même John Kerry a utilisé la notion de boycott comme un atout dans les négociations, en 2014.
Malgré les récents succès, un travail important au niveau de la sensibilisation du public est nécessaire pour ouvrir la voie aux activitésde la campagne BDS et l’aider à prendre de l’essor, écrit Samah Jabr.
L’affaire Orange
L’affaire Orange ici, ce n’est pas la couleur orange menaçante des victimes de Guantanamo ou de l’État islamique – il s’agit de la société de télécommunication française Orange, et de sa récente affaire avec Israël.
Après avoir annoncé au Caire qu’Orange allait suspendre son contrat avec la société Partner d’Israël, le PDG d’Orange (suite à la pression israélienne sur le gouvernement français) est arrivé en Israël pour y rencontrer le Premier ministre Benjamin Netanyahu. Là, il a exprimé son démenti des articles qui avaient affirmé qu’ « il romprait les liens avec Israël ’demain’ si les ramifications financières n’étaient pas aussi graves que l’estime sa société ».
Le PDG a par la suite écrit une lettre à la ministre adjointe israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Hotovely, faisant l’éloge d’Israël en tant que « terre d’innovation et de dynamisme ». Il y déclare qu’Orange ne succombera pas à « la pression politique de certains mouvements ou organisations », et que la société « ne supportait aucune forme quelle qu’elle soit de boycott contre Israël ».
Avant cela, le professeur Richard Horton, rédacteur en chef de la revue médicale The Lancet, était lui aussi venu à Haïfa pour exprimer son repentir et son « profond regret » auprès des médecins israéliens de l’hôpital Rambam après la publication d’une lettre par sa revue aux lendemains de la guerre contre Gaza. Il a prétendu, « J’ai été personnellement horrifié devant le contenu antisémite de la vidéo offensive de deux des auteurs de cette lettre. La vision du monde exprimée dans cette vidéo est intolérable et doit être condamnée, et je la condamne ».
Ensuite, il a twitté : « Hier, j’ai eu l’immense privilège de visiter Acco et de rencontrer l’imam et le rabbin de la ville, et voir comment ils travaillent ensemble », dit-il. « À la fin, j’ai demandé à l’imam, ’Alors, que dois-je faire ?’ Et il m’a dit très directement (...), ’vous devez travailler avec les Israéliens, vous devez travailler avec les Palestiniens et vous devez travailler à encourager le rapprochement de ces deux peuples ». Contre son espoir d’ « ouvrir un nouveau chapitre » dans la relation entre The Lancet et Israël, une campagne visant à salir sa réputation est toujours en cours.
Congrès de la FIFA : quand les Palestiniens marquent un but contre leur propre camp
Après s’être vanté longuement de sa détermination à suspendre Israël de la FIFA, et quelques instants avant que le vote n’ait commencé au 65e Congrès à Zurich, le Président de l’Association palestinienne de football, Jibril Rajoub, a demandé l’autorisation de prendre la parole afin de retirer la proposition originale où il demandait la suspension de l’Association israélienne de football, IFA. Et de déclarer, « Je suis ici pour jouer au football, plutôt que jouer à la politique. »
Rajoub expliqua qu’il avait décidé d’abandonner la proposition de suspension en raison des nombreuses requêtes qu’il avait reçues de nombreux membres de la FIFA. La scène s’est terminée avec Rajoub et le président de l’IFA, Ofer Eini, en train de se serrer la main près du bureau de la délégation palestinienne, une fois le retrait approuvé. Le Premier ministre Netanayu a mis en ligne le résultat sur Facebook : « Notre effort international a fait ses preuves et il a abouti à l’échec de l’Autorité palestinienne à nous suspendre de la FIFA ».
Quand des dirigeants palestiniens se comportent de cette manière à la FIFA, on doit sérieusement s’inquiéter pour ce que les officiels palestiniens seront capables de réaliser à la Cour de justice internationale.
La raison d’être du mouvement BDS
Malheureusement, l’Histoire nous apprend qu’on ne peut attendre de justice pour les Palestiniens de la part des régimes officiels internationaux ou des Nations-Unies. Les Palestiniens ont dû s’organiser avec les sociétés civiles à travers les frontières, avec des nations qui ont vécu la colonisation et l’oppression, et avec des gens de conscience qui s’opposent à la position de leur propre gouvernement. Même si l’Amérique, en tant que pays, n’est pas disposée à faire pression sur Israël, à travers le BDS les Américains, à titre individuel, peuvent le faire d’eux-mêmes.
Face à de vaines négociations, la criminalisation de la résistance armée palestinienne, et l’incapacité à long terme des centres de pouvoir dans le monde à protéger les droits nationaux des Palestiniens, ce que nous voyons plutôt, c’est qu’Israël est l’un des plus fortement subventionnés de tous les alliés de l’Amérique, et que l’Union européenne, si elle a longtemps critiqué la colonisation, a accordé aux produits israéliens la dispense des frais de douane.
Le mouvement BDS est survenu en tant qu’organisation des sociétés civiles, avec un rôle moteur et sous l’égide des Palestiniens, en adoptant un outil stratégique non violent de long terme, pour améliorer les conditions de négociations et mettre en avant les violations par l’occupation des droits nationaux et humains des Palestiniens. La pression est portée sur l’occupation au moyen du boycott, du désinvestissement et de sanctions, pour obliger l’occupant au respect du droit international.
Le BDS exige la fin de l’occupation par Israël des terres conquises en 1967 et le démantèlement de son mur en Cisjordanie ; la reconnaissance du droit des Palestiniens ayant la citoyenneté israélienne à une totale égalité ; le respect et la promotion des droits des réfugiés palestiniens à rentrer dans leurs foyers. Toutes ces revendications sont conformes aux lois internationales et, plus encore, le BDS, mouvement non violent, sert à fournir une alternative à la résistance armée que les médias internationaux appellent « terrorisme ».
La campagne anti-BDS d’Israël
En réaction, le gouvernement crie à l’ « holocauste » et emploie des ressources massives pour contrer la campagne BDS, tentant de la marquer comme une forme de « terrorisme » au niveau national et d’ « antisémitisme » au niveau international. En 2011, la Knesset a voté une loi qualifiant d’infraction civile tout appel public à un boycott contre l’État d’Israël. Selon cette loi, quiconque appelle à un boycott peut également être écarté des appels d’offre du gouvernement et être poursuivi et contraint de payer une indemnité indépendamment des dommages réels.
Les présidents des universités en Israël discutent actuellement avec le gouvernement pour contrecarrer le boycott universitaire. Un certain nombre de milliardaires pro-Israël, conduits par Sheldon Adelson, le milliardaire des casinos, s’organisent et prévoient de contrer le mouvement BDS. Le Congrès américain, le parlement canadien et d’autres parlements à travers le monde, votent des lois interdisant le boycott d’Israël et prévoient de sanctionner ceux qui recommandent ou participent au boycott d’Israël en tant qu’acte d’antisémitisme.
Un projet de loi exigeant que les fonds de pension de l’État se désinvestissent des sociétés qui soutiennent le BDS a été voté dans l’Illinois ; le Tennessee et l’Indiana ont suivi avec l’adoption d’une résolution condamnant formellement le BDS.
Il y a des tentatives innombrables pour étouffer la campagne BDS et entraver la participation du public par des procès.
Récemment, la loi pour le Commerce et le Développement commercial entre les États-Unis et Israël (US-Israel Trade and Commercial Enhancement Act) a été présentée pour influencer les négociations commerciales avec le but de décourager les partenaires commerciaux potentiels des USA de se livrer à un boycott économique contre Israël, en surveillant les activités pro-BDS des sociétés étrangères qui commercent sur les marchés boursiers, et en interdisant aux tribunaux américains de « faire exécuter les décisions rendues par des tribunaux étrangers contre les sociétés américaines uniquement en raison de leur conduite commerciale en Israël. »
Un autre projet de loi en préparation, « Boycottez nos ennemis, pas Israël », suggère que les entrepreneurs qui font affaires avec le gouvernement US soient tenus de certifier qu’ils ne participent pas à des boycotts contre Israël.
Des étudiants d’universités en Californie ont adopté des résolutions demandant à leurs universités de se désinvestir d’Israël, mais les présidents de ces universités se sont publiquement opposés au mouvement et se réfèrent à tout débat à propos du BDS sur les campus comme franchissant une « ligne rouge » et « offensive » et « incendiaire », même l’appel pour le boycott d’universités comme Bar Ilan, qui sont ouvertement complices de l’occupation et du processus colonial en Cisjordanie.
Des critiques plus légères contre BDS – qu’il serait « peu solide » et « inefficace » - ont été exprimées par certains intellectuels perçus comme pro-palestiniens, mettant en avant que la direction palestinienne ne soutient pas le boycott d’Israël et que la demande du retour des Palestiniens est irréalisable. Ils se demandent pourquoi se focaliser sur l’occupation israélienne alors qu’il existe d’autres régimes oppressifs ; l’Afrique du Sud n’était pas le seul ou le pire régime oppressif quand son boycott a été mis en place.
Même John Kerry a utilisé la notion de boycott comme un atout dans les négociations, en 2014, quand il mettait en garde le gouvernement israélien, disant « il y a des pourparlers de boycotts » pour le cas où il refuserait un accord de paix.
Pour ceux qui se sentent touchés par les violations israéliennes des droits humains, la censure du boycott est une aversion et une hypocrisie. Il est intuitif et psychologiquement important de démontrer sa désapprobation face à une action de l’oppresseur. BDS est non violent et c’est un droit d’y participer, dans une décision démocratique, libre, et privée. BDS choisit des cibles en tant que construction et institutions de l’occupation, et aucunement en tant qu’individus israéliens et population juive.
Si certains individus ou opportunistes commettent des erreurs au nom du BDS, alors cette erreur doit être signalée, discutée et corrigée par le BDS – mais de tels problèmes ne doivent pas délégitimer le mouvement dans son ensemble. Un travail important au niveau de la sensibilisation du public est nécessaire pour ouvrir la voie aux activités du BDS et l’aider à prendre de l’essor.
Il y aura quelques succès et beaucoup d’accusations, intimidation et pression. Ceux qui soutiennent le BDS se doivent d’être patients, car la nuit noire ne va pas durer toujours, le croissant va grandir et deviendra une pleine lune, certains jours.
Info-Palestine
Samah Jabr est jérusalémite. Elle est psychiatre et psychothérapeute et exerce en Palestine occupée.