L’impact de l’accord sur l’Algérie
«Purifie-toi des attributs; du moi, afin de pouvoir contempler ta propre essence pure et contemple dans ton propre coeur toutes les sciences des prophètes, sans livres, sans professeurs, sans maîtres.» Jalal Eddine Ar Roumi, immense soufi iranien
Avec un suspense digne des films à la Hitchcock, le feuilleton iranien avec une superproduction qui a mobilisé pas moins de sept acteurs, s’est achevé sur une note optimiste, un accord à l’arraché où chacun était pressé de conclure. Cet accord sans qu’il ne soit parfait, ferme en théorie le champ à une éventuelle fabrication dont on nous a annoncé régulièrement dans les deux mois et ceci depuis cinq ans. Unanimement salué par la presse iranienne toutes tendances confondues et célébré dans les rues de Téhéran.
Que dit l’accord?
L’accord sur le nucléaire ouvre un nouveau chapitre dans les relations entre l’Iran et la communauté internationale, a déclaré mardi le président iranien Hassan Rohani, (…)
Par ailleurs, malgré les demandes visant à réduire drastiquement le nombre de ses centrifugeuses, l’Iran en maintiendra 5.000 dans l’usine de Natanz et 1.000 à Fordow.
D’après cet accord, l’Iran sera reconnu par les Nations Unies comme une puissance nucléaire menant un programme nucléaire civil pacifique, comprenant un cycle d’enrichissement d’uranium, D’après l’agence, toutes les sanctions financières et économiques de l’ONU seront levées en même temps via une nouvelle résolution de l’ONU. Les sanctions de l’Union Européenne et des Etats-Unis frappant les secteurs bancaire, pétrolier, gazier, pétrochimique, commercial, mais aussi de l’assurance et des transports seront levées dès que l’accord sera appliqué concrètement, tandis que des dizaines de milliards de dollars de revenus iraniens seront dégelés.
Cependant, l’embargo sur les armes sera remplacé par un régime surveillé d’importation et d’exportation de matériels sensibles qui durera cinq ans. L’Iran pourra également entreprendre une coopération internationale pour construire de nouveaux réacteurs nucléaires, des réacteurs de recherche et d’autres centrales nucléaires de pointe. En vertu de l’accord, le site d’Arak conservera son réacteur à eau lourde, mais sera modernisé et équipé des technologies les plus modernes et les plus sûres au monde, l’Iran sera reconnu comme producteur de produits nucléaires, notamment d’uranium enrichi et d’eau lourde.
Les conséquences de l’accord: changement d’alliance
L’accord de Vienne déplaît aux Israéliens, aux Arabes et au Congrès américain:
(( Ce qui alarme le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu écrit Joshua Keating ainsi que les dirigeants du Golfe, c’est au moins autant le programme nucléaire iranien qu’une convergence des intérêts iraniens et américains. Au cours de l’été 2012, quand les diplomates iraniens et américains commencèrent leurs pourparlers secrets à Oman, lançant le processus qui vient d’aboutir par un accord sur le nucléaire iranien, le Proche-Orient était très différent de ce qu’il est aujourd’hui. Quelques mois auparavant le dernier convoi de troupes américaines avait quitté l’Irak et leur retour à Baghdad apparaissait inconcevable. La chute de Bachar el-Assad, combattu par les rebelles syriens, semblait n’être plus qu’une question de temps. Al-Qaîda avait l’air totalement déconfite après la mort de Ben Laden (…) En d’autres termes, il y a trois ans, il était raisonnable de considérer que la question du nucléaire iranien et d’une éventuelle guerre régionale à son sujet, était le sujet le plus préoccupant du Proche-Orient. Le président des Etats-Unis évoque à présent l’accord comme un moyen de «voir si cette région qui a connu tant de souffrances, tant d’effusions de sang, peut emprunter une nouvelle voie.» L’accord sur le nucléaire iranien semble presque anecdotique.
L’Iran est parvenu à étendre son influence régionale sans posséder l’arme nucléaire. Les rebelles chiites soutenus par l’Iran sont en pointe de la lutte contre Daesh en Irak, Assad est toujours au pouvoir en Syrie et malgré des mois d’attaques aériennes saoudiennes les rebelles Houthis contrôlent toujours la capitale du Yémen. Le chaos de la région convient bien à l’Iran et les adversaires de l’accord affirment que la levée des sanctions va encore accroître son influence.))
La paille nucléaire iranienne et la poutre nucléaire israélienne
Sans surprise nous trouvons parmi les mécontents de l’accord, Israël, le Congrès américain et Hillary Clinton.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a dénoncé une «erreur historique pour le monde». «Israël n’est pas lié par cet accord (…) car l’Iran continue à vouloir notre destruction. Nous saurons toujours nous défendre», a-t-il prévenu. «Netanyahou, lit-on sur le site europalestine, fulmine après l’accord concernant le nucléaire iranien. (….)
Pourtant, on sait qu’Israël, contrairement à l’Iran, ne se prive pas d’attaquer ses voisins et de recourir à des armes prohibées extrêmement létales, bombes au phosphore, à fragmentations, gaz toxiques.. pour perpétrer ses massacres de populations civiles. Israël possède au moins deux sites nucléaires interdits, Dimona, un cadeau du gouvernement socialiste français de Guy Mollet en 1956, et le centre de recherches nucléaires de Nahal Sorek, à l’ouest de Jérusalem, offert par Eisenhower.
En 2007, un journal italien dévoilait un scandale d’importance: le professeur palestinien Mahmud Saâda, expert, et membre d’une commission internationale chargée de la «sauvegarde à l’égard des guerres nucléaires et des radiations», rapportait que des «radiations émanant du réacteur israélien de Dimona, et les scories nucléaires de trois dépôts souterrains adjacents étaient sans doute la cause de très rares formes de tumeurs aux yeux et au cerveau chez des enfants palestiniens à Daheriyeh, au sud d’Hébron.
L’augmentation de 60% de ces cancers ne s’expliquerait pas autrement.
Alors, pourquoi ne parle-t-on que de l’Iran? Et à quand les sanctions contre Israël? Ce pays qui a refusé de signer le traité de non-prolifération nucléaire et qui teste des armes effrayantes sur les Palestiniens, constitue le plus grand danger nucléaire de la planète.» (3)
Même le chef de la Ligue arabe a qualifié l’accord sur le nucléaire iranien de «premier pas» vers l’éradication des armes de destruction massive au Moyen-Orient, appelant néanmoins la communauté internationale à faire pression sur Israël considéré comme la seule puissance nucléaire du Moyen-Orient. «Le temps est venu pour la communauté internationale d’arrêter la politique des deux poids, deux mesures et de prendre ses responsabilités en faisant pression sur Israël pour qu’il adhère au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires» et «pour que ses installations nucléaires soient soumises au système de garanties de l’Agence internationale de l’énergie atomique».(4)
L’accord est «inacceptable», a lâché le président de la Chambre des représentants, John Boehner: «Si l’accord est aussi mauvais que je le pense à cet instant, nous ferons tout pour l’arrêter. Le Congrès, a le pouvoir d’en bloquer un élément central: la suspension des sanctions américaines, contrepartie des engagements iraniens… «. La candidate à l’investiture démocrate Hillary Clinton a affirmé que l’Iran n’aurait «jamais» l’arme nucléaire si elle était élue présidente des Etats-Unis.
La recomposition du Moyen-Orient
Il semble que les Américains soient lassés par l’Arabie Saoudite du fait de son exportation de la terreur salafiste. Ils se tournent alors vers l’Iran héritier de Darius, une relation plus amicale entre l’Iran et l’Occident peut ouvrir des avenues à d’éventuelles opérations sur d’autres questions, comme la résolution de la crise en Syrie.
Pour les Etats-Unis et leurs alliés, l’accord est un pari: celui que l’ouverture de conversations avec Téhéran va permettre de pacifier la région et de donner davantage la parole aux modérés du régime.
Une position partagée par le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov, selon qui l’accord rend possible une coalition «élargie» pour combattre ce groupe extrémiste sunnite, qui est hostile à l’Iran chiite autant qu’à l’Occident. «Le président américain voulait à tout prix cet accord historique. Il est conforté par l’opinion publique américaine puisque dans une enquête menée pour le Washington Post et ABC, 59% des personnes interrogées soutiennent l’idée de lever la quasi-totalité des sanctions à l’égard de l’Iran en échange d’un accord qui limiterait le programme nucléaire de façon à empêcher la production d’armes nucléaires.» (5)
Pour Gilles Munier: «C’est une indubitable victoire pour l’imam Ali Khamenei. Le mélange de fermeté, de souplesse et de pragmatisme a payé face à l’arrogance occidentale et aux menées occultes israéliennes. Laurent Fabius qui jouait le jusqu’au-boutiste a dû ravaler sa morgue. C’est aussi une victoire diplomatique pour Barack Obama, à 18 mois de la fin de son mandat.(…) L’accord signé à Vienne entrera en vigueur 30 jours après son adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU, c’est-à-dire vers la fin de cette année. Certes, l’Iran n’a pas obtenu tout ce qu’il demandait, mais les Etats-Unis non plus, et tout le monde devra faire avec, y compris les ennemis de Téhéran. (…) On peut compter sur la prochaine administration américaine pour traîner des pieds quand il s’agira de lever certaines sanctions, pour mettre en doute les rapports de l’Aiea qui se rendront en Iran, pour menacer à nouveau le pays.» (6)
Même l’Arabie Saoudite par le biais de son agence de presse SPA s’est fendu d’un communiqué rassurant: «Etant donné que l’Iran est un pays voisin, l’Arabie Saoudite espère bâtir avec lui de meilleures relations dans tous les domaines sur la base du bon voisinage et de la non-ingérence dans les affaires internes. Les tensions ont été vives récemment entre l’Arabie Saoudite et son principal rival régional, notamment sur le conflit au Yémen où Riyad mène une campagne de frappes aériennes contre des rebelles chiites soutenus par l’Iran. En Syrie, l’Arabie Saoudite soutient les rebelles qui tentent de renverser le régime alors que Téhéran demeure le principal allié régional de Bachar al-Assad.
Le marché pétrolier et le futur chaos des rentiers
L’Iran est un grand pays technologiquement avancé. Il détient la quatrième réserve pétrolière mondiale avec plus de 160 milliards de barils (13/14% des réserves) 34.000 milliards de mètres cubes gazeux 16% des réserves mondiales. La population est d’environ 80 millions. Le taux d’alphabétisation est de 93% pour les Iraniens de 19 à 40 ans, l’Indice de développement humain est 0,707 ayant été classé au 88e rang mondial. Le PIB par habitant 2013/2014) est de 4 748 dollars avec un produit intérieur brut (PIB (2013/2014 de 366,1 milliards $). Le PIB est ventilé comme suit: agriculture: 11,3% -industrie: 37,6%- services: 51%.
L’Iran est donc un pays industrialisé contrairement à l’Algérie où le taux d’industrialisation représente 5%. L’économie est dépendante cependant des revenus pétroliers 75% environ des recettes de l’Etat.
Pour éviter le gaspillage le gouvernement a mis en place des aides ciblées pour les couches à faible pouvoir d’achat et à commencé à arrêter progressivement les subventions sur l’énergie.
Les prochains mois et années seront pénibles pour les rentiers. Les exportations de brut iranien étant plafonnées à 1 million de b/j environ selon les termes de l’accord intérimaire de Genève. L’Iran produisait plus de 2,5 millions de barils/jour. Ces facteurs ajoutés à une production hors Opep (67%) importante l’entêtement de l’Arabie Saoudite pour ses parts de marché et le combat perdu contre les pétrole/gaz de schiste américain, et pour couronner le tout la non-reprise de la croissance de l’économie mondiale, peuvent aboutir à une dégringolade encore pire du prix du baril.
L’entrée en force de l’Iran sur le marché pétrolier et gazier mondial aura un impact sur l’économie algérienne. Pourtant, selon les calculs du FMI, la baisse des cours du pétrole devrait entraîner un manque à gagner de 300 milliards de dollars cette année pour les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG). La question est de savoir pendant combien de temps ces pays pourront financer leur déficit sans envisager de baisser leurs dépenses. D’autant que le pétrole ne semble pas décidé à remonter.
On dit que le malheur des uns fait le bonheur des autres. «Une manne tombée du ciel.». C’est ainsi que les analystes qualifient la chute vertigineuse des prix du pétrole sous le seuil symbolique des 50 dollars le baril. La facture énergétique de la France qui s’est élevée en 2013 à environ 66 milliards d’euros, pourrait considérablement s’alléger, on peut envisager une économie de l’ordre de 20 milliards d’euros sur les importations. De plus, l’encre de l’accord n’a pas encore séché que les investisseurs se préparent à revenir en Iran et c’est la course aux offres de service; de belles opportunités s’ouvrent aujourd’hui, particulièrement en matière d’infrastructures (eau, routes, énergie) mais aussi pour remettre en état l’appareil de production de pétrole et de gaz.
Les défis de l’Algérie
On le voit, si les pays du Golfe peuvent tenir du fait de leur matelas évalué à plus de 1000 milliards de dollars, ce n’est pas le cas de l’Algérie pour qui le retour de l’Iran avec seulement 1 million de barils risque de faire chuter le prix du baril à 40 dollars. Dans ces conditions, on sait que l’Arabie Saoudite, qui arme et finance le terrorisme international, a placé l’Algérie sur la liste noire des pays qui supportent le terrorisme.
Pour Eric Draitsen, l’État algérien subit l’assaut d’Al-Qaïda et d’autres groupes terroristes depuis longtemps. La guerre contre le terrorisme en Algérie remonte à plus de vingt ans. À ce titre, le gouvernement de l’Algérie doit comprendre clairement la menace sérieuse que l’Arabie Saoudite représente, car les Saoudiens sont les principaux bailleurs de fonds et les patrons des groupes terroristes, y compris Aqmi et beaucoup d’autres.
La nature robuste des structures militaires et policières algériennes a permis au pays de rester ferme face à la guerre permanente du terrorisme. L’Algérie demeure résolue à lutter contre le terrorisme quels qu’en soient les coûts, c’est précisément la raison pour laquelle elle est diabolisée par les Saoudiens. (7)
Il est regrettable de le dire, la transition énergétique vers le développement durable n’est pas encore opérationnelle. Une stratégie qui permet de freiner le gaspillage actuel, qui rationalise la consommation et qui investit dans les énergies renouvelables.
Un exemple? le Danemark a réussi à produire 140% de ses besoins en électricité… rien qu’avec du vent. Qu’attendons-nous pour mettre en place cette transition? Nous n’allons pas passer notre temps à guetter les mouvements erratiques d’un prix du baril. Le changement c’est maintenant. Un espoir?
Il est possible au vu des changements que l’Arabie Saoudite par réalisme du fait que l’Iran redevient le pivot de la nouvelle alliance des Etats-Unis, du fait aussi de son enlisement dans le dossier yéménite, du fait de son déficit abyssal, en vienne à faire raviver l’Opep avec une entente des grands, c’est-à-dire avec l’Iran pour raffermir les prix du pétrole.
Pr Chems Eddine CHITOUR
Source: L'Expression