La Déclaration du Caire ressemble plus à une alliance stratégique qu’à un accord de coopération entre deux pays.
«La présence de son altesse royale le Prince Mohammed bin Salman lors de cette célébration, représente un message important et fort adressé à tous les peuples arabes dans le Golfe arabe et ailleurs. A travers ce message, nous confirmons que nous resterons ensemble pour faire face aux défis et menaces qui pèsent sur notre région. Car nous ne réussirons à les surmonter que si nous restons soudés ensemble. Je tiens à souligner à cet égard que l'Egypte et l'Arabie Saoudite sont les piliers de la sécurité nationale arabe, tout comme j’assure à tous les peuples arabes qu’ils ne nous verront qu’ensemble ».
C’est à travers ces paroles que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi s’est exprimé spontanément en marge de son discours officiel lors de la cérémonie de remise des diplômes de l'Académie militaire.
Nouvel repositionnement régional?
Cette hospitalité égyptienne envers l'Arabie saoudite survient au moment ou l'accord nucléaire 5+1 avec l’Iran a provoqué un nouvel repositionnement des puissances régionales. Un repositionnement envers lequel l’entité sioniste s’est précipitée pour en faire partie en se présentant comme un «allié» sans équivoque de l’ Arabie saoudite, selon les termes du directeur général du ministère des Affaires étrangères israélien Dore Gold.
Cette réévaluation saoudienne de ses priorités dans la région n’implique pas uniquement l'Egypte , mais tout autant elle tient compte des nouvelles priorités de Washington qui se sont traduites par un renforcement du soutien militaire à Riyad et à Tel-Aviv et ce dans le cadre des "garanties offertes" en échange l'accord avec Téhéran.
On comprend dés lors la concordance de l'annonce par Israël de son alliance avec l'Arabie saoudite, avec celle du Pentagone qui a adressé au Congrès un avis d'approbation sur une affaire de ventes d’armes avec l'Arabie Saoudite d’une somme de 5,4 milliards de dollars . Et pas n’importe quelle arme !! Il s’agit d'armes et de munitions auxquelles Israël opposait son veto , soit 600 missiles de type «Patriot »de type de« PAC-3 ».
Cela dit, si l’on revient au discours officiel de Sissi, on constate une volonté sans précédent de renforcer les relations bilatérales : «Laissez-moi tout d'abord accueillir notre invité d’honneur , le prince héritier Mohammed bin Salman, vice-premier ministre et ministre de la Défense, dont la participation représente aujourd'hui un prolongement des positions du Royaume de l’Arabie Saoudite envers l'Egypte et son peuple et celles du Serviteur des Deux Saintes Mosquées, le Roi Salman bin Abdul Aziz, positions qui se sont traduites par la défense de l'Egypte en 1956, le soutien à l’Egypte dans la guerre en Octobre 1973. Une visite qui prouve la volonté commune et la détermination de renforcer les relations fraternelles entre les deux pays et les deux peuples frères .. ».
A vrai dire, la visite du prince Mohammed bin Salman est , selon les observateurs égyptiens la plus importante depuis la signature de l'accord nucléaire iranien surtout qu’elle survient après une série d’interrogation sur la consistance de la relation entre le Cair et Riyad sachant que la relation avec le Hamas constitue un point de discorde entre les deux pays.
A ce titre, la visite de Khaled Mechaal, à la tête d'une délégation de «Hamas» en Arabie et sa rencontre avec le roi saoudien a provoqué des questions sur l'avenir de la relation entre le Caire et Riyad, surtout que l’Egypte accuse Hamas de soutenir de façon permanente les groupes armés en Egypte.
Sans compter, que Riyad compte renforcer ses liens avec toutes les forces sunnites dans la région afin de contrer l'influence de l'Iran, y compris les forces auxquelles l’Egypte s’oppose comme le Hamas et les Frères musulmans au Yémen, en Syrie et en Libye. Mais aussi envers la Turquie, qui a effectué il y a quelques jours des raids aériens à l'intérieur de la Syrie au grand dam du Caire.
Toutefois , à chaque fois que les relations égypto-saoudiennes sont remises en cause, les deux pays s’empressent à prendre les mesures nécessaires pour lever toute ambiguïté sur l'importance stratégique des relations entre les deux pays.
La déclaration du Caire: une alliance stratégique?
Preuve à l’appui : la Déclaration du Caire qui ressemble plus à une alliance stratégique qu’à un accord de coopération entre deux pays.
Cette déclaration intervient après des entretiens bilatérales entre Sissi et Mohammed bin Salman et dans laquelle il est fait mention que «l'Egypte a été et sera toujours prête à soutenir ses frères arabes et à défendre les droits arabes, la sécurité de la région du Golfe est une ligne rouge pour l'Egypte voire elle est une partie intégrante de sa sécurité nationale»..
En fait, l’ accord prévoit « la mise en place d’une série de mécanismes » pour développer leur coopération, selon un communiqué de la présidence égyptienne.
Les deux pays se sont notamment engagés à « développer la coopération militaire et œuvrer à la création de la force arabe conjointe ».
Les deux pays se sont mis d’accord sur la nécessité de « renforcer la coopération et les investissements dans les domaines de l’énergie » et « réaliser l’intégration économique entre les deux pays », selon le communiqué.
Dans une conférence de presse conjointe avec son homologue saoudien, Adel al-Jubeir, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Shoukry a déclaré : «Nous soulignons une fois de plus la profondeur des liens qui existe entre les deux pays ; ces deux piliers de la nation arabe et islamique pour la défense de ses intérêts et la garantie de sa sécurité ».
À son tour, al-Jubeir a affirmé : «Nous allons faire tout notre possible pour renforcer les relations historiques, stratégiques entre l'Egypte et l'Arabie Saoudite».
Il ne fait aucun doute que les relations égypto-saoudiennes font l’objet de haut et bas , affectées certes par la situation régionale .
Que veut l'Arabie de l'Egypte?
Interrogé par le quotidien asSafir, le Professeur en sciences politiques à l'Université du Caire Mustafa Kamel El Sayed affirme : «suite à la signature de l'accord nucléaire iranien, l'Arabie saoudite appréhende l'influence iranienne croissante, et donc elle estime nécessaire de renforcer ses liens avec l'Egypte , qui tout autant n’est pas encline à accepter un renforcement de l’influence grandissante de l'Iran dans la région »..
ELSayyed estime que «la volonté de l’Arabie Saoudite de renforcer sa relation avec le Hamas ne vise pas l'Egypte. Au contraire, il y a un danger sur Hamas à Gaza de Daesh et de plus ce dernier est une menace pour l'Egypte et donc il existe des intérêts communs entre l'Egypte et le Hamas. Le discours selon lequel l’Egypte accuse le Hamas de financer des groupes armés est incorrect. Certes, il y a des divergences d’opinions entre les deux pays concernant les Frères musulmans, mais je ne pense pas que l'Arabie saoudite souhaite mettre la pression sur l'Egypte sur cette question. En fait, il est fort probable que la relation de l'Arabie saoudite avec les Frères ait un impact positif. Ainsi, il n’est pas dans l'intérêt de l'Arabie saoudite d'avoir un conflit au sein du camp sunnite et donc elle s’efforcera à réduire les tensions entre l'Egypte et les Frères musulmans.. »
Cela dit, selon un professeur de sciences politiques à l'Université du Caire, Hassan Nafaa la visite de Mohammad ben Salman n’a rien de stratégique voire elle est «plus symbolique qu’efficace ». Selon lui, il s’agit d’ « une visite qui veut donner l'impression que les relations entre les deux pays sont fortes.. Car, s’il y avait une réelle volonté de régler les dossiers litigieux alors le roi Salmane aurait dû se réunir directement avec le président »..
Et de rappeler : « les positions entre les deux pays sont très différentes dans les dossiers syrien et yéménite. L’ Arabie saoudite a joué un rôle important en soutenant le régime égyptien il ya deux ans, on pensait que le nouvel ordre régional sera sous la direction de ces deux pays. Mais les deux pays se sont éloignés après le départ du roi Abdallah et l'arrivée au règne du roi Salman qui accorde moins d’importance aux relations avec l’Egypte. Surtout qu’il estime plus important de renforcer la coopération avec les Frères musulmans au Yémen et en Syrie, par opposition à la volonté de l'Egypte…».
Et de conclure « en fait , si l’Arabie cherche à établir de nouvelles relations avec l’Egypte, ce n’est pas en tant que partenaire mais en tant que pays qui la soutien dans ses positions quelles qu’elles soient ».