Depuis Aout 2014, quelque 2.275 frappes américaines rien que sur la Syrie, auraient fait plus de 450 victimes civiles au moins.
Frapper à la fois les troupes de Daesh et «défendre» contre «toute attaque» les groupes soutenus par les Etats-Unis, c’est la nouvelle stratégie qui vient d’être mise en œuvre par le Pentagone. Une inflexion qui soulève des interrogations.
Les Etats-Unis ont conduit des frappes aériennes en Syrie afin de porter secours au groupe armé Nouvelle Syrie, soutenu et entraîné par les Américains. C’est la première fois que les frappes américaines ont pour but de «défendre» des rebelles modérés [hostiles à Bachar el-Assad sans être des terroristes] attaqués par le groupe djihadiste al-Nosra.
Washington signe ainsi une inflexion stratégique qui n’a rien d’anodin. Toute la question est de savoir si, derrière cette nouvelle stratégie, les Etats-Unis ne cherchent pas un prétexte pour frapper directement les troupes restées fidèles à Bachar el-Assad.
Une décision unilatérale des Etats-Unis qui contestent toujours la légitimité du gouvernement de Bachar el Assad. D’autant que le secrétaire d’État John Kerry a clairement précisé que selon lui, le président syrien n’avait pas sa place dans l’avenir du pays lors d’une rencontre avec ses homologues saoudien Adel Jubeir et russe Sergueï Lavrov à Doha.
Une nouvelle stratégie américaine, frapper Daesh tout autant que les troupes loyalistes ?
Dès l’annonce de cette nouvelle stratégie, la Maison Blanche a donné le ton : le gouvernement syrien «ne doit pas interférer» avec les actions des forces entraînées par les Américains pour combattre Daesh. Au cas contraire, «des mesures supplémentaires» pourraient être prises pour les protéger.
Les responsables américains ont clairement indiqué que des frappes aériennes étaient aussi possibles dans le cas où l’armée régulière syrienne attaquerait les rebelles syriens formés par Washington.
Moscou a bien évidemment vivement critiqué cette nouvelle stratégie américaine, estimant que tout soutien aérien américain prodigué à des groupes qui combattent le régime de Bachar el-Assad revient, de fait, à entraver la lutte de Damas contre Daesh.
Quoi qu’il en soit, les Etats-Unis continuent d’entraîner des rebelles modérés en Amérique avant de les renvoyer sur le sol syrien. La Maison Blanche a notamment lancé, en mai dernier, un programme qui a pour ambition de former 5 400 combattants par an.
A la mi-juillet, au moins 54 rebelles entraînés, armés et équipés par les Etats-Unis étaient rentrés en Syrie. Se faisant appeler Division 30, ces hommes sont censés lutter à la fois contre Daesh en Syrie mais également contre l’armée syrienne.
Quid des risques d’un affrontement direct avec le régime syrien ?
L’administration Obama a semblé relativiser très vite la possibilité de voir les rebelles formés avec l’argent du contribuable américain être attaqués par l’armée syrienne, soulignant que celle-ci n’avait jamais tiré sur les avions de la coalition internationale menée par les Etats-Unis qui bombardent les djihadistes sur le territoire syrien.
«Pour l’instant, le régime d’el-Assad a respecté l’avertissement que nous lui avons donné de ne pas s’immiscer dans nos activités à l’intérieur de la Syrie», a ainsi déclaré le porte-parole de la Maison Blanche, Josh Earnest.
Cependant, depuis le début de la guerre syrienne, Washington n’a jamais caché vouloir écarter Bachar el Assad du pouvoir, de gré ou de force.
Quid des dommages civils «collatéraux» lors des attaques aériennes ?
Cette réorientation stratégique américaine relance également la question des victimes civiles engendrées par les frappes aériennes, au vu des dégâts causés par les frappes américaines précédentes.
En effet, les Etats-Unis et leurs alliés ont lancé, en août 2014, une campagne de frappes aériennes qui visait spécifiquement Daesh. D’abord limitée à l’Irak, elle a été étendue à la Syrie à partir de septembre de la même année.
Selon un rapport récent, plus de 5 700 frappes aériennes, dont 2 275 rien que sur la Syrie, auraient fait plus de 450 victimes civiles. Airwars, qui répertorie en temps réel les morts dus à ces frappes aériennes, évoque un chiffre qui dépasse 1 200 victimes, dont plus de 100 enfants.
Cette nouvelle approche des Etats-Unis induit de facto une intensification des frappes aériennes puisque celles-ci ne se limiteront plus uniquement à frapper Daesh, mais aussi, à «défendre» les groupes alliés des Etats-Unis dans le pays.
Quid du facteur turc ?
Dans cette nouvelle stratégie des forces aériennes, les Etats-Unis ont trouvé un allié de poids dans la Turquie. Ankara a en effet décidé de bombarder à son tour les positions de Daesh pour répondre à l’attentat de Suruç qui avait été revendiqué par l’organisation terroriste.
Fin juillet, un accord entre Américains et Turcs avait prévu la création d’une «zone de sécurité» dans le nord de la Syrie, pour garantir une meilleure protection de la frontière turco-syrienne. En échange, Ankara s’engageait à participer à la coalition contre l’Etat islamique mais également à permettre aux Etats-Unis de lancer des frappes aériennes contre Daesh à partir des bases qu’ils possèdent en Turquie.
Cependant, si la Turquie s’est engagée contre Daesh, elle en a profité pour poser ses conditions. Et celles-ci incluent la possibilité de frapper, non seulement Daesh, mais aussi le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) qui milite pour la création d’un Kurdistan libre sur une partie des territoires de la Syrie, de l’Irak, de l’Iran et de la Turquie. Un projet auquel Ankara est résolument hostile et qu’il a toujours combattu.
Or, Washington a soutenu pendant des mois les Unités de protection du peuple (YPG) qui sont la branche syrienne du PKK dans leur combat contre l’Etat islamique. Les Etats-Unis, pour satisfaire Ankara, ont donc dû opérer un retournement d’alliance.
Les Kurdes du PKK, longtemps présentés comme le dernier rempart contre les djihadistes, sont subitement redevenus des «terroristes» et, du coup, Washington a justifié les frappes turques contre leurs positions.
Selon les spécialistes de la région, Ankara, en bombardant Daesh et le PKK, empêche ainsi toute chance de fusionner les trois cantons de Kobané, Afrin et Djéziré dans une entité kurde indépendante en Syrie. Mais ce faisant, la Turquie fragilise paradoxalement la résistance à Daesh dans le nord de la Syrie.
Source : Russia Today