Le New York Times a attaqué le manuel de "Droit de la guerre" publié par le ministère de la Défense américain pour museler le travail des correspondants en temps de guerre.
Le Pentagone a suscité la controverse en publiant un manuel de droit de la guerre affaiblissant potentiellement les protections dont bénéficient les journalistes correspondants de guerre, mais concède que le débat n'est pas clos.
Les défenseurs de la liberté de la presse ont exprimé leur inquiétude de voir que, selon ce manuel, les journalistes peuvent être traités comme des "combattants illégaux", comme des espions ou des membres de groupes extrémistes tels qu'Al-Qaïda.
"Le nouveau manuel prend une position dangereuse en énonçant que dans certains cas, le transfert d'informations (...) peut constituer une participation directe aux hostilités", a dénoncé cette semaine Christophe Deloire, le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), dans une lettre au secrétaire américain à la Défense Ashton Carter.
"Cette terminologie laisse trop de place à l'interprétation et peut ainsi mettre en péril le statut des journalistes", a ajouté Christophe Deloire.
Les Etats "ont le devoir de protéger les journalistes qui couvrent les conflits armés, comme le rappelle la dernière résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur le sujet", a-t-il encore indiqué.
A New York, le comité pour la protection des journalistes (CPJ) a exprimé la même inquiétude, tandis que le New York Times a fustigé dans un éditorial cette semaine des règles qui pourraient rendre la couverture de conflits armés par les journalistes "plus dangereuse, lourde et sujette à la censure".
'Juridiquement exact'
Heidi Kitrosser, professeur de droit constitutionnel à l'université du Minnesota, qui travaille en particulier sur les questions liées au secret d'Etat, estime également que les formulations du Pentagone peuvent contenir en germe une restriction de la liberté de la presse.
"Les implications potentielles sont inquiétantes", a-t-elle déclaré à l'AFP. Le nouveau texte poste question, parce qu'il est "en conflit avec les principes constitutionnels américains", et aussi parce qu'il peut "potentiellement être invoqué par des régimes autoritaires pour justifier leurs propres éliminations de journalistes", a-t-elle dit.
Steven Aftergood, un membre de l'influente Fédération des scientifiques américains également spécialiste des problématiques de confidentialité, relativise quelque peu les critiques, en soulignant que le texte ne fait que reprendre des lois ou des pratiques existantes.
"Cela dépend en grande partie de la manière dont ces lois sont interprétées dans la pratique", a-t-il déclaré à l'AFP.
"Ce qui semble clair, c'est que les positions extrêmes des deux côtés du problème sont fausses. La suppression totale de la couverture journalistique de la guerre est évidemment inacceptable. Mais la notion de liberté absolue de la presse l'est tout autant", a-t-il dit.
"Il y a probablement des secrets légitimes sur le champ de bataille que les militaires ont le droit de protéger. Mais la manière de naviguer entre ces positions extrêmes est moins claire et difficile à énoncer dans l'abstrait", indique-t-il.
"Aux Etats-Unis, au moins, nos valeurs constitutionnelles devraient nous conduire à donner la faveur à la liberté de la presse", a-t-il souligné.
Le Pentagone a pris acte des critiques, n'excluant pas que le manuel puisse être révisé dans certaines de ses formulations.
"Nous maintenons que le manuel est juridiquement exact", a déclaré le lieutenant-colonel Joe Sowers à l'AFP. Mais le Pentagone a commencé à prendre contact avec des responsables de médias pour "lancer un dialogue" sur le sujet, a-t-il ajouté.
La manière dont le manuel a été reçu "est une préoccupation majeure pour nous" et les commentaires que le Pentagone recevra "seront sérieusement pris en compte dans nos actualisations du manuel", a-t-il déclaré.