Alors qu’un demi-million d’enfants font leur rentrée dans la bande de Gaza, beaucoup ne disposent toujours pas des fournitures scolaires de base.
Dans cette salle de classe de Gaza, les enfants ne sont pas tous heureux. Beaucoup ne disposent même pas du matériel scolaire de base nécessaire à l’année scolaire qui commence.
Ce manque de matériel élémentaire ne relève ni de la faute des élèves ni de celle des parents : c’est la conséquence économique du siège actuel de Gaza par Israël, dans une société où l’éducation est généralement considérée comme un droit. Dans la bande de Gaza, un demi-million d’élèves ont repris le chemin de l’école.
Ashraf Abou Lebda, 48 ans et père de neuf enfants, est au chômage et souffre d’une maladie cardiaque. « Je n’ai pas les moyens de nourrir et de vêtir mes enfants », a-t-il déclaré à Middle East Eye. « Alors, comment pourrais-je leur acheter des fournitures scolaires ? » Assis sur le perron de sa maison à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, son désespoir s’exprime à travers ses larmes.
Six des enfants d’Ashraf Abou Lebda vont à l’école. Pendant trois années consécutives, ses enfants en pleine croissance ont utilisé les mêmes vêtements et cartables, qui tombent maintenant en lambeaux. S’ils ont de la chance, frères et sœurs peuvent partager un crayon en le cassant en deux et en coupant la gomme en deux morceaux. Ils ne rêvent que de stylos à bille et de nouveaux cahiers pour écrire leurs leçons.
Tous les deux-trois jours, la femme d’Ashraf Abou Lebda, Oum Jihad (45 ans), doit réparer les trous dans les vêtements scolaires des enfants, au point qu’il y a désormais plus de trous que de matériau utilisable. Elle a renoncé à essayer de réparer les cartables, dit-elle, ajoutant que ses plus jeunes enfants doivent utiliser des sacs plastiques.
Les élèves se mettent en rang pour le rassemblement du matin. Un certain nombre d’entre eux transportent leurs fournitures dans des sacs en plastique noir à la place de cartables (MEE/Mohammed Asad) –
Sami, âgé de 10 ans et élève assidu, avoue se sentir triste quand il voit d’autres enfants dans des vêtements neufs, portant leurs fournitures scolaires dans de vrais cartables, alors qu’avec ses frères et sœurs, ils ne peuvent pas se le permettre.
« J’aimerais être comme les autres enfants et avoir ne serait-ce qu’un cartable et un tout nouveau crayon pour l’école », explique-t-il en plongeant sa main à travers un trou béant dans son vieux sac à dos.
L’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) offre des services éducatifs à Gaza. La plupart des écoles de Gaza sont en fait gérées par l’UNRWA, la majorité de la population y étant constituée de réfugiés.
Dans sa maison où la chaleur est digne de celle d’un sauna, le père de Sami admet se sentir impuissant et incapable de résoudre la triste situation de ses enfants – mais étant donné le blocus israélien et ses conséquences sur la situation économique, il n’y a pas grand-chose à faire pour changer cela.
« Nous n’avons pas profité des vacances d’été et nous ne nous sommes pas préparés à retourner à l’école », raconte Sami.
La bande de Gaza est isolée, et la plupart de ses habitants ne trouvent pas assez de travail pour payer leurs factures, pour acheter du carburant et pour nourrir et vêtir leurs enfants correctement. L’approvisionnement des magasins étant insuffisant et les prix élevés, beaucoup ne peuvent s’offrir ne serait-ce que les biens de première nécessité.
Récession
Sur le marché du camp de réfugiés d’al-Shati, Jibril (11 ans) se tient à côté d’un étal qui vend des uniformes scolaires. Cependant, il n’a que 7 shekels (environ 1,5 euro) et ne peut pas se permettre d’acheter une chemise à cet étal pour commencer sa nouvelle année scolaire.
Le commerçant ne peut pas la donner au garçon : il doit lui aussi s’occuper de sa famille.
« Je suis désolé, mais la vie est dure pour nous tous », a-t-il dit à Jibril, dont le père est décédé il y a quelques années, obligeant Jibril à trouver du travail pour subvenir aux besoins de ses quatre frères et sœurs. Il travaille souvent sur le marché, portant des boîtes et des sacs, histoire de gagner de l’argent supplémentaire pour les besoins de la famille.
Tout ce qu’il économise, il le partage avec sa famille, sachant que l’UNRWA ne leur donne qu’une petite ration de nourriture. Il doit également acheter des biens de première nécessité que les organisations humanitaires ne fournissent pas.
« Parfois, je dois acheter du savon, afin que nous puissions nous laver. Ou quelques fruits, pour les vitamines. Si je travaille avec un vendeur de fruits, je peux avoir les restes à la fin de la journée », raconte le garçon sous le soleil brûlant. Il se faufile entre les étals, chaussé d’une vieille paire de pantoufles en lambeaux.
Maintenant que les vacances d’été sont terminées, Jibril veut lui aussi retourner à l’école.
On peut voir la fierté dans ses yeux. La main dans laquelle il tient ses 7 shekels est moite tandis qu’il tend ses pièces à chaque étal pour tenter d’acheter son uniforme.
Jibril se rend compte que sa famille n’est pas la seule à souffrir. Les difficultés sont le lot quotidien à Gaza, où les gens se plaignent rarement à haute voix, gardant leur misère pour eux ou derrière des portes closes. Pour de nombreux habitants de Gaza, il n’est pas bon de se plaindre, peu importe le degré de souffrance.
La frustration grandit chez les familles et les commerçants alors que les fournitures scolaires n’arrivent à Gaza que de manière sporadique, au gré de la volonté d’Israël. Les ventes augmentent ou déclinent en fonction du chômage, de la situation économique et de la façon dont Israël contrôle la liberté de mouvement dans et hors de la bande de Gaza.
Après l’offensive meurtrière d’Israël contre Gaza en 2014, les ventes ont grimpé. Ceux dont les maisons et les biens avaient été détruits ont été contraints d’acheter ce qui leur manquait. Plusieurs associations humanitaires ont pu acheter du matériel pour les familles sans-abri dans le besoin, mais cette année, une quantité relativement faible d’aide est arrivée.
L’UNRWA a elle-même été confrontée à cette dure réalité et a connu des restrictions budgétaires qui l’ont contrainte à interrompre certains services essentiels, la laissant seule responsable aux yeux du public.
Cependant, le problème est beaucoup plus vaste que cela, a déclaré Phyllis Bennis, directrice du New Internationalism Project à l’Institute for Policy Studies de Washington DC.
« L’UNRWA n’est pas responsable de l’insuffisance de l’aide financière. Les responsables directs, ce sont les bailleurs de fonds de l’UNRWA, en premier lieu les États-Unis, qui se vantent de payer plus que les autres pays, mais qui sont encore très loin de ce que leur part de l’économie mondiale devrait exiger », a rapporté Bennis à MEE.
« Il est naturellement compréhensible que les réfugiés palestiniens – forcés de compter sur l’aide internationale parce que l’occupation d’Israël sous forme de siège interdit toute vie économique fonctionnelle – soient furieux que la reconstruction des maisons reste impossible après la destruction de la bande de Gaza par l’armée israélienne, a fortiori lorsque les rations ou l’accès à l’éducation sont réduits. »
« Impossible de satisfaire les besoins des enfants »
Il y a un mois, Yassin Shadah a acheté plusieurs centaines de cartables, dans l’espoir de les vendre. Toutefois, le marché est décevant cette saison.
« Beaucoup de gens viennent regarder, mais ne peuvent pas acheter », explique-t-il depuis son étal dans l’est de la ville de Gaza. Certains articles sont désormais couverts de poussière ; il n’y a pas grand-chose qu’il puisse faire pour le moment.
Si les gens ne lui achètent rien, il ne peut pas payer son fournisseur. Il est coincé entre le marteau et l’enclume : bien que la demande de fournitures scolaires soit forte, les clients n’ont pas d’argent pour les acheter, alors l’économie de Gaza frôle l’effondrement.
Abou Eyad Khayyat (46 ans), qui se tient à proximité avec sa femme et ses deux filles, raconte qu’il a à peine pu économiser l’argent nécessaire pour les vêtements et les fournitures scolaires de ses enfants. Il a fallu faire un choix entre de nouveaux vêtements ou de nouveaux sacs.
Le choix ne plaît pas à ses deux filles, et certainement pas à sa femme. Cependant, il est au chômage et il n’y a rien qu’il puisse faire tant que les frontières ne sont pas ouvertes et qu’il ne peut pas chercher de travail.
Par le passé, il a travaillé en Israël, gagnant jusqu’à 300 shekels (68 euros) par jour dans la construction, mais plus maintenant.
« Avant, j’avais les moyens d’offrir presque tout ça à ma famille. Mais aujourd’hui, je ne peux même pas me permettre d’acheter des chaussures ‘’made in China’’ pas chères », explique-t-il, tandis que sa femme regarde les uniformes scolaires pour leurs filles.
Avant, il pouvait acheter de bons produits pour ses enfants, mais il n’a pas quitté la bande de Gaza depuis neuf ans et ne peut donc pas faire plaisir à ses filles pour la nouvelle année scolaire.
« C’est difficile, en tant que père, de ne pas être en mesure de satisfaire les besoins de mes enfants. »
Son seul souhait, c’est que ses enfants et petits-enfants n’héritent pas de son désespoir. Cependant, et bien que ce sentiment puisse sembler bien optimiste dans les circonstances actuelles, il garde espoir.
Les commerçants doivent maintenant attendre l’année prochaine, avec l’espoir que l’économie et les ventes s’améliorent, afin de vendre les fournitures qui s’entassent et prennent la poussière dans la bande de Gaza déchirée par la guerre.
« Je ne cherche pas à faire de bénéfices, je dois seulement vendre mon stock de manière à ne pas finir en prison pour n’avoir pas pu payer mes fournisseurs », indique Shadah.
Source: Middle East Eye; traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.